taste me ϟ darcy

Je suis né à Bibury, un petit village anglais situé dans le district de Cotswold et le comté du Gloucestershire. Dans le Sud de l'Angleterre, si vous préférez. C'est un peu paumé, je dois vous l'avouer. Il y a quand même un prétendu artiste qui est venu le qualifier comme le plus beau village d'Angleterre .. il faut le faire quand même, non ? M'enfin, vous devez vous en douter, là-bas y a pas d’hôpital. Alors allez vous amuser à y pondre un lardon de 3, 5 kilos ! C'est comme ça que je suis né, en urgence sur le canapé du salon, pendant que mon très cher paternel était en voyage d'affaires. C'est la vieille voisine qui a fait office de sage-femme. En entendant les hurlements de ma pauvre mère, elle était venue espionner par la petite fenêtre, lorsqu'elle a finalement compris ce qui était en train de se passer. On ne pouvait pas dire qu'elle portait ma mère dans son coeur, si elle lui est venue en aide, c'est pour mieux se vanter par la suite d'avoir mit au monde le nouveau-né du village. Que ferait-on sans les vieux et leurs commérages ? Dire que c'est la fierté d'une vieille taupe qui m'a sauvé la peau, ça me donne des frissons et de légères nausées. Pas vous ?

Deux semaines après l'anniversaire de mes sept ans, le cancer a emporté ma mère. Cela n'a apparemment pas perturbé mon père, qui voyageait constamment. Il m'arrivait de ne pas le voir pendant des mois entiers, il avait alors engagé une nounou H24. En effet il avait les moyens de se payer une bonne femme pour s'occuper de la maison et éduquer son gosse, c'est probablement ça qui lui permettait de ne pas culpabiliser de jouer le rôle du père absent. Ce qu'il ignorait, c'est qu'au bout du compte ce n'était pas la nounou qui m'éduquait, mais moi qui l'éduquait. Elle n'arrivait à rien, soumise aux caprices d'un enfant de riche, et littéralement manipulée par le bambin joueur que j'étais, elle ne pouvait faire un rapport de la sorte à son employeur, au risque de se faire renvoyer. Et puis, j'étais sa seule famille, il fallait la comprendre.

Alors plus les années passaient, plus je m'affirmais. Livré à moi-même, j'allais et venais, je vivais ma vie comme je l'entendais. La nounou qui autrefois m'encadrait était désormais devenue qu'une simple femme de ménage, faute d'avoir assez d'autorité. Puis j'ai commencé à avoir de mauvaises fréquentations, qui m'ont incitées à boire, à fumer, à me battre, à vivre une vie de débauche. Malgré moi et contre tout, j'étais devenu un voyou réputé pour avoir le sang chaud et la main dure. Je n'allais plus en cours et passais mes journées dans lieux incertains. Le jour où, pour la première fois, mon père vint me chercher au poste de police, il tenta de me raisonner avec de belles paroles et de longs discours, pourtant inefficaces sur moi. Les autres fois, il régla ça à coup de poings. La « nounou-femme de ménage » avait déserté les lieux depuis longtemps, je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles. Je ne l'ai jamais regrettée, de toute façon.

Après une période particulièrement difficile, mon père a su me convaincre de reprendre ma vie en main. En réalité je crois que je n'avais pas vraiment le choix. Une fois par semaine, j'avais rendez-vous avec un des meilleurs psychologues de la région. Mon père m'a inscrit dans une école catholique privée et enfin, j'ai pu intégrer un club de football américain qui régulièrement, me permettait de faire sortir toute la rage qui chaque jour, grandissait en moi. Ainsi, tout allait pour le mieux, j'étais même devenu un bon élève, assidu, et tout ce qui allait avec. Parfois, mon père se faisait convoquer au bureau du proviseur afin qu'ils puissent discuter de mon impulsivité et de mon incapacité à garder mon calme lors de situations qui favorisaient le conflit. Mais du moment que je gardais un bon niveau scolaire, mon père se foutait royalement de ce que je pouvais faire subir à mes professeurs, ainsi que du pauvre garçon à qui j'avais légèrement effleuré le visage à l'aide d'un mug lors de la pause du déjeuner. Et puis il n'avait aucun soucis à se faire quant à mon avenir dans l'établissement, ni aux conséquences que mon comportement pouvait engendrer, car sa méthode à lui était de soudoyer l'administration, et personne ne pouvait lui refuser quoi que ce soit.

Jusqu'au jour où j'ai décidé de m'envoler jusqu'à Cambridge, dans le Massachusetts, afin d'intégrer le grande université d'Harvard. Je crois qu'il n'a jamais été aussi fier de moi. Si fier, qu'il s'est mit à picoler pour fêter ça, picoler comme il n'a jamais picolé de sa vie. Si fier, qu'il a décidé de prendre la voiture pour se rendre chez sa maîtresse, si fier que, quelques jours plus tard, un gars m'a téléphoné pour m'annoncer son décès suite à un grave accident de la route. J'ai alors hérité de toute sa fortune, de quoi m'assurer un bon avenir. Même si je n'ai jamais su ce que c'était que d'avoir un père, même si je lui en ai voulu un nombre incalculable de fois, j'ai pris la noble décision de poursuivre mes études à Harvard afin d’honorer sa mémoire. C'est probablement le seul geste que je ferais pour lui.