(laurandy) ✽ You learn to take life as it comes at you... to make each day count.

J'avais énormément pensé à Andy depuis notre rencontre. Ça pouvait paraître superficiel surtout dans ma situation, mais je prenais le soin de me rendre à la piscine municipale avant de venir ici, juste au cas où je la verrais. Quand bien même je m'arrangeais pour me doucher souvent, j'essayais de faire au mieux. J'avais passé des heures à me repasser ses mots dans la tête, en langue étrangère mais je n'avais toujours pas réussi à traduire. Il me semblait en répétant les syllabes entendre le prénom Andy mais je n'étais finalement même plus sûr de me répéter la phrase correctement, alors j'étais peut-être à côté de la plaque. Ça faisait un peu moins de deux semaines qu'on ne s'était pas revus, je faisais traîner les choses un peu en longueur. J'avais bien fini saoul avec une pote dans sa rue, parce que j'avais eu le malheur de lui confier que j'avais son adresse et ma pote m'avait traîné jusqu'ici alors qu'on avait un coup dans l'nez. Est-ce qu'elle nous avait vus ? J'en avais aucune idée. J'espérais pas. Je passais régulièrement dans sa rue depuis deux-trois jours, on n'allait probablement pas tarder à se voir du coup. Après deux jours à passer du temps ici, le troisième serait peut-être le bon ? Je m'installai sur un banc et m'allumant une cigarette, j'entrepris de peaufiner mon dernier dessin, celui d'une femme enceinte que j'avais vue au Mount Auburn Cemetery. J'avais été touché par son expression et par l'amour qu'on lisait dans ses yeux face à la pierre tombale qu'elle fixait. Un instant, j'expirai profondément cette fumée de cigarette qui m'aidait à me détendre dans cette jungle qu'était la vie dans la rue, et me passai une main dans mes cheveux encore humides en fixant mon dessin. Un truc me gênait, mais j'arrivais pas à trouver quoi.

Si deux semaines se sont écoulées depuis la dernière fois qu'on s'est vu, je ne pourrais pas dire. Je suis tellement à fond dans ma nouvelle routine et passe beaucoup de temps à l'hôpital, à assister à des chirurgies. Mais dire que je n'ai pas pensée à toi ce serait mentir. Les premiers jours en tout cas, j'espérais que tu ne sois pas trop loin de chez moi, que je te verrai en tournant un coin... Mais à force de ne pas te voir, j'suppose que j'ai fini par m'adapter, par oublier.

Je m'apprêtais à aller faire quelques courses, pour remplir mon pauvre réfrigérateur qui ressemble à absolument rien là. Il y a encore quelques semaines avant le début du fameux Summer Camp, donc encore quelques semaines où je dois m'assurer d'pas crever de faim quoi. Bref ! Je dévale les escaliers du bloc appartement et ouvre enfin la porte pour prendre un grand bol d'air frais. Quelques pas plus loin, alors que je ne m'y attendais plus, je t'aperçois assis sur un banc. Toute ton attention est sur ton dessin, c'est plutôt mignon en fait, de voir tes yeux briller comme ça. Je m'approche alors, les mains derrière mon dos. Lauri. Prononçai-je timidement, incapable d'effacer mon petit sourire niais.

J'étais concentré sur mon dessin, je n'avais rien d'autre à faire de toute manière. Je corrigeais certains détails, gommaient certaines choses et en rajoutais d'autres. Je serais bien incapable de dire depuis combien de temps j'étais là, dès que je dessinais j'étais absorbé par mon travail et je perdais la notion du temps. Je fus finalement tiré de mes pensées par un petit "Lauri" d'une voix que je reconnaissais bien, même si je ne l'avais pas entendue depuis deux semaines. Je relevai le nez pour la regarder, un sourire se dessinant aussi sur mes lèvres. Ça fait un bail, dis-je, amusé. Finalement, heureusement qu'elle avait un peu forcé sur le karma. J'avais été pas mal surpris ces derniers temps entre Loïs, Camila, Nausicaa... je n'avais pas nécessairement dormi dehors ni passé mes journées à mendier devant Harvard. J'ai le malheur de t'annoncer que je donne ma langue au chat, j'ai pas déchiffré ton dernier message. Je rangeai mon dessin en tirant sur ma cigarette puis reportai de nouveau mon attention sur elle, comme si je ne pouvais pas m'en défaire trop longtemps. Ça m'avait seulement permis de confirmer qu'elle n'était pas américaine avec son petit accent mais j'étais bien incapable de savoir lequel c'était et encore moins de traduire ce qu'elle avait pu me dire, aussi courte qu'eut été sa phrase.

Te revoir me faisait sourire, surtout que maintenant, je sais qu'on ne se revoit pas par hasard. Après tout... je t'ai donné mon adresse. Il est donc fort probable qu'aujourd'hui, tu t'es levé de ton lit en pensant à moi, en ayant envie de voir ma petite tête blonde. C'est une belle surprise et même que les courses peuvent attendre un peu ! Je prononce ton prénom, afin de capter ton attention. Tu lèves aussitôt les yeux vers moi, le sourire aux lèvres. C'est vrai. Combien de temps déjà ? Deux semaines ? Ouais, environ ça. On s'est vu le jour de mon dernier examen, qui était il y a deux semaines. Tu m'avoues tout de suite ne pas avoir réussi à déchiffrer mes derniers mots de la dernière fois et je rigole en m'asseyant à côté de toi. Je vais te le répéter une dernière fois... et plus doucement. Je m'humecte les lèvres en te regardant droit dans les yeux, un petit sourire en coin. Je m'appelle Andy. Prononçais-je, dans la langue de Molière. Mais je reprend aussitôt en anglais pour que tu me comprennes bien : Apprend-moi trois choses sur toi... et je te fais la traduction gratuitement. Enfin... pas si gratuitement, puisque je t'ai demandé quelque chose en échange. Mais bon, on s'en fou non ?

Elle s'assit à côté de moi, toute souriante et visiblement fière de m'avoir posé une colle. Je levai les yeux au ciel devant sa tête satisfaite, incapable de masquer mon amusement face à ce sketch. Je plantai mon regard dans le sien alors qu'elle répétait, me concentrant. Hey, c'est pas exactement ce que tu m'avais dit. Ca ressemblait davantage à... éma, c'est Andy, répétai-je phonétiquement avec des sons très approximatifs. Je me redressai à sa proposition. Peut-être que t'aurais du faire du commerce... Elle perdait clairement pas le nord et grattait chaque information possible. Puis j'eus le déclic en me repassant les deux phrases dans la tête. Le seul point commun, c'était la fin. Andy ? demandai-je, malicieux mais incertain. Je préférais encore deviner plutôt que lui donner trois informations sur moi si gratuitement. Ce serait bien trop simple. J'aurais pu me dire que je l'avait faite attendre, elle me faisait galérer pour son prénom, match nul... mais je ne pouvais pas accepter un ex æquo. Et puis ça me plaisait bien de jouer à ce jeu-là avec elle, elle semblait être une adversaire de taille... peut-être même meilleure que moi ?

Non, ce n'est pas exactement ce que je t'avais dis... il y a bien une faille dans mon petit jeu et tu l'as vu tout de suite. Cela dit, les deux phrases veulent dire exactement la même chose au bout du compte. Je sourire lorsque tu tentes de prononcer les mots que je t'ai dis la dernière fois, en français. C'n'est pas trop mal ! Tu me fais une blague et me dit que j'aurais dû faire commerce, je plisse un peu les yeux en souriant. T'es drôle. Je peux voir dans tes yeux que tu te concentres, que tu réfléchis. Puis, au bout de quelques secondes, tu prononces mon surnom et je relève le menton. Huh ? Je ne compte pas te donner la réponse, surtout que t'as l'air incertain ! Je tire la langue et me lève du banc. Trois toutes petites informations... penses-y ! Je me positionne de nouveau devant toi. À moins que tu aies mieux à m'offrir ? Te demandai-je, amusée par la situation.

Pas trop mal ? Il va falloir que tu me donnes des cours, je sais même pas quelle langue c'est, dis-je avec un rire. Français ? Italien ? Ça me semblait être une langue européenne, mais les phrases n'étaient clairement pas assez longues pour que je puisse me faire un véritable avis dessus. Pour l'heure, elle ne confirmait pas mais n'infirmait pas non plus s'appeler Andy, elle ne faisait que tourner encore autour du pot en me disant de réfléchir à sa proposition... Je me rappuyai contre le banc, l'air déterminé. Je t'offre déjà ma personne ici présente et un futur dessin travaillé avec soin, ce n'est pas assez ? Je la fixais alors qu'elle se tenait bien droite devant moi. Une position de domination très clairement mais ça ne me posait pas de problème, j'aimais les jeux. Sois pas trop gourmande, Andy, ajoutai-je en penchant la tête. Puisque tu ne veux pas me répondre, je vais rester sur ce prénom, j'espère que tu l'aimes bien. Moi je trouve qu'il te va bien, adjugé vendu.

Tu ne sais pas quelle langue c'est et c'est bien dommage parce que je ne compte pas te donner la réponse sans obtenir ce que je veux ! Pourtant, je ne t'en demande pas beaucoup tu sais... Trois infos, ça pourrait être très bien ton numéro de téléphone, ta couleur préféré et l'nom de ton chien. Alors que je me lève pour te regarder de haut, toi, ça ne t'affecte pas du tout puisque tu te redresses. Tu t'offres toi, ta présence et un futur dessin. Peut-être. Peut-être pas. Je ne sais pas en fait. Après le dessin, est-ce que tu vas faire comme avec tous tes autres modèles et tout simplement continuer ta vie ? Ne sois pas trop gourmande "Andy". Maintenant tu me défis du regard, la tête penché avec un air de vainqueur. J'aime bien les jeux aussi, alors je garde le sourire. Si ça t'amuse. En attendant, je sais maintenant trois choses sur toi : T'es une tête de mule, tu voulais me voir aujourd'hui et t'as même l'intention que je te ramène chez moi pour que tu me dessines. J'ai, moi aussi, une tête de championne. Si tu m'accompagnes pendant les courses, j'te donnerai une invitation.

Quand même, même si j'aimais bien le prénom Andy, ça ne m'empêchait pas de vouloir savoir comment elle s'appelait réellement. Forcément, je voulais savoir qui elle était. Je ne réagissais pas lorsqu'elle énonça trois choses à propos de moi. Têtu, je voulais la revoir, et j'avais l'intention d'aller chez elle pour la dessiner. Bien sûr qu'elle avait vu juste, et elle le savait. Très bien, je viens. Je coinçai ma cigarette entre mes lèvres le temps de ranger mes affaires dans ma pochette et me relevai, écrasant la cigarette sur la poubelle à côté avant d'y jeter le mégot. Tu sais que je ne pourrais accepter l'invitation que si tu me dis d'où tu viens ? lui demandai-je avec un regard en coin. Elle ne semblait pas beaucoup aimer parler d'elle, ce qui me rendait d'autant plus curieux je devais bien l'avouer. Je l'étais peut-être un peu trop... ou peut-être pas ? Je m'intéressais réellement à elle. Je te parlerai de moi. Juste... plus tard. Si t'es sage ? J'avais déjà ma petite idée pour être honnête. Vu qu'elle ne parlait d'elle, j'allais devoir sortir mes cartes. Mais pas maintenant.

Alors pour m'accompagner jusqu'à chez moi, la condition c'est que tu m'aides avec les courses. Tu acceptes de me suivre et après avoir écrasé ta clope, tu me donnes une condition aussi. C'est moi ou on se lance la balle depuis le début de nos retrouvailles ? Je pouffe de rire. France. C'est pourtant évident, l'accent français est assez facile à reconnaître. Mais c'est vrai que je n'ai pas dit grand chose et que tu ne peux pas deviner. Je commence à marcher à tes côtés, les yeux sur le trottoir. J'suis toujours sage ! Déclarai-je, avant de rire. L'épicerie n'était pas bien loin de chez moi et nous y sommes arrivés en quelques minutes seulement. Je nous prend un chariot et te laisse la place de conducteur, pour que je puisse aller m'asseoir dedans. J'ai mal aux pieds, j'ai fais une chirurgie toute la journée hier ! Tu me pousses ? Puisque je suis déjà dans le caddie, ça ne lui laisse pas trop le choix en fait. Et ouais, j'ai bel et bien conscience que je n'ai plus 5 ans, merci.