(L&L) ✽ I had to fall, To lose it all

C'était une belle journée, le soleil rayonnait dans le ciel. Pour moi, c'était une bonne journée aussi ; avec une douce chaleur et un temps radieux, les gens sortaient, prenaient leur temps, ce qui me faisait autant de personnes susceptibles de me lâcher quelques centimes. Je me dirigeai vers le centre commercial, la rue avant était généralement bondée. Un rapide regard alentours me permis sans problème de constater qu'aucun autre personne était venue mendier, chose importante. Après tout on donne rarement deux fois nos centimes à la suite, à quelques mètres d'intervalle. Me mettant un peu en retrait à l'ombre pour ne pas me faire assommer par le soleil, j'ouvrai mon étui de guitare au sol, récupérant l'instrument et laissant la boîte ouverte avec quelques pièces à l'intérieur. Les gens ne s'en préoccupaient pas et l'espace d'un instant, je repensai à cet autre sans-abri que j'avais croisé avec une pancarte "finalement c'est nul d'être invisible". Je ne comprenais que trop bien le sentiment qu'il ressentait. Allait-il mieux ? Va savoir. Je me concentrai finalement sur ma guitare et démarrai un morceau d'Ed Sheeran, une valeur sûre pour attirer l'attention. Après tout, qui ne l'aime pas ? Et j'aimais bien chanter ça. Je passerais à la piscine avant la fermeture, à cette heure, il y aurait probablement beaucoup trop de monde, mais j'avais besoin de me vider la tête après cette désastreuse entrevue pour les démarches sociales dans la matinée.

Bientôt quatre mois que j'étais arrivée à Harvard. En quatre mois, quatre putain de mois, je n'avais vu Tom qu'une fois. Il était resté sur Washington et il était trop occupé dans ses trucs et ses activités personnelles, comme le football américain. Je ne comptais pas le quitter par sms ou par appel, je n'étais pas ce genre de fille, mais j'en pouvais plus et je n'avais même pas l'impression d'être en couple. Il ne m’appelait pas, il se fichait de comment se déroulait mon arrivée dans cette nouvelle fac, enfin bon..

Du coup, je sortais de cours en pleine après-midi, j'avais du temps devant moi donc je n'allais pas rentrer à l'appartement tout de suite, j'irais en ville pour balader.
Je prenais donc le chemin du centre-ville, il était temps que j'achète deux trois trucs pour l'été puis si je voyais des petites annonces pour un job étudiant, ça pourrait être intéressant de poser une candidature. Bien que mon père avait quand même de l'argent pour m'aider, je ne voulais pas compter sur lui, ni sur personne. J'allais peut-être même laissé mon appartement pour aller vivre complètement à la Dunster House si jamais je me faisais des amis là-bas.

Arrivée vers le centre commercial, je remarquais déjà du monde, il devait y avoir des promotions ou soldes? Mh. J'entendais des bruits de guitares, quelqu'un qui chantonnait et cette voix m'interpellait, je la connaissais. Je passais au milieu de plusieurs personnes et en tournant la tête, je t’apercevais, à l'ombre. Toi. Ta guitare. J'avalais ma salive et je m'arrêtais net. Tu ne me voyais pas mais.. j'étais choquée. C'était donc toi que j'avais croisé il y a de ça quelques semaines en ville? J'avais cru rêver.
Fronçant les sourcils, je comprenais pas. Tu en étais arrivé à devoir faire ça..? Mendier? J'inspirais, attendant que les gens soient moins nombreux pour m'avancer vers toi et déposer un billet de 5 dollars dans ta boîte. Tu allais relever ton regard sur moi et je n'avais aucune idée de ta réaction. Salut..

Il commençait à faire vraiment chaud, et ça m'allait très bien comme ça. Je préférais cuire dans ma voiture et avoir des nuits courtes plutôt que me les geler à -20°C l'hiver, sans hésiter. Cela faisait quelques temps que j'avais quitté Boston pour Cambridge, quelques personnes s'étaient déjà habituées à me voir mais il y en avait encore tellement que je n'avais jamais vu. Ça me semblait être une ville pas mal, les gens donnaient assez facilement, même si c'étaient des petits montants ça me permettait de subvenir un peu à mes besoins. A la fin de ma chanson, quelques personnes s'avancèrent pour laisser des pièces ou des petits billets. Je prenais le soin de regarder chacun d'entre eux, les remerciant d'un sourire, jusqu'à ce qu'une personne me salue. Tous les autres étaient partis et j'étais incapable de détourner mon regard de la personne qui venait de laisser quelques dollars dans mon étui à guitare. S'il y avait bien UNE chose dont j'étais certain concernant Loïs, c'était que je détestais l'idée qu'elle voit où j'en étais aujourd'hui. Après un instant silencieux, je reposai ma guitare dans son étui par-dessus l'argent et me relevai pour faire face à Loïs alors que je sentais mon ventre faire des nœuds. Notre histoire s'était terminée avec de tels fracas que nous n'avions jamais eu l'occasion de reparler calmement, de nous dire les choses. Salut, répondis-je finalement. Qu'est-ce que je pouvais bien lui dire ? Je rebaissai brièvement les yeux vers ma guitare avant de relever les yeux vers elle. C'est bien la première fois que tu me paies pour te chanter quelque chose. J'essayais de briser la glace. Que faisait-elle ici ? Elle avait probablement réussi les concours d'entrée à Harvard finalement, et c'était mérité. Elle méritait vraiment de réussir.

Les beaux jours arrivaient, le soleil, la chaleur et j'adorais ça. Je ne venais pas d'un pays bien chaud, l'Angleterre était plutôt connu pour ses averses et son mauvais temps. Mais tout le monde appréciait de pouvoir prendre des couleurs et j'aimais bien que les quelques rares tâches de rousseurs que j'avais, ressortaient.
J'avais prévu de faire les magasins mais ce n'était sans compter que je venais de te voir là, en train de jouer de la guitare en chantant une mélodie que j'aimais beaucoup en plus. Ta voix me tordait le ventre. La dernière fois que nous nous étions vu, tu étais mal, tu venais de perdre ta mère et tu ne voulais juste plus de moi, de notre couple. Je n'avais jamais compris, j'aurais pu t'aider et t'as tout simplement préféré être seul, et me jeter.

Je te fixais, j'étais comme handicapée, incapable de bouger mes jambes pour partir. J'voulais comprendre ce qu'il se passait. Et c'est bien la première fois que.. je regardais tout autour de nous, déglutissant à nouveau. .. je te vois dans cet état là Lauri. biensûr que j'étais sous le choc. Comment t'avais pu en arriver là? Je pris une profonde inspiration en haussant les épaules, me ressaisissant. Bon, je te paye un café et quelque chose à manger et.. tu vas me raconter ce que j'ai loupé. oui je t'en voulais toujours. Mais non, je ne pouvais pas te laisser ça et continuer ma route comme si de rien était. C'était impossible.

Loïs savait que je n'étais pas qu'un jeune en galère qui arrondissait les fins de mois. Elle n'avait pas eu la fin de l'histoire mais elle avait eu droit à une grande partie et cette femme, en plus d'être magnifique, était loin d'être une idiote. J'allais pas risquer de l'insulter en faisant comme si elle se trompait. Je ne répondis rien, que pouvais-je dire ? Moi, ça faisait un peu plus de deux ans que je vivais dehors, alors je m'étais fait à cette nouvelle image. Non pas que je l'appréciais, mais j'avais au moins arrêté de me voiler la face, c'était déjà pas mal. Je soupirai en décroisant les bras. Ok... J'avais franchement faim, j'allais pas cracher sur à boire et à manger, d'autant plus qu'il était clair que nous devions parler tous les deux. J'suis désolé que tu m'vois comme ça, ça doit te faire... bizarre. Bizarre, c'est bien faible comme mot. Je refermai mon étui, vérifiai de ne rien avoir oublié sur place et une fois la guitare sur le dos, je me mis à marcher avec Loïs. Y avait pas mal d'endroits possibles pour manger et boire un verre par ici, il n'y avait que l'embarras du choix. Je me contentai de la suivre dans son choix et m'installai à une table en prenant le menu, non sans gêne. C'était un petit café sans prétention avec des plats rapides, ça ferait très largement l'affaire. T'as été acceptée à Harvard alors ? demandai-je finalement. J'étais peut-être dans une situation de merde, mais je m'intéressais largement plus à la sienne qu'à la mienne. Qu'était-elle devenue après notre rupture ?

C'était inconcevable de te voir comme ça. Je n'avais rien contre les sans-abris et bien au contraire, j'aider les autres quand je le pouvais. Mais là c'était toi. C'était mon premier amour et tu n'avais pas ta place dans la rue, ni même je ne sais où ailleurs où tu pourrais avoir froid et faim. Depuis combien de temps tu faisais ça? Depuis que tu avais eu des dettes pour ta mère? J'attendais les réponses à mes questions après le café que je te proposais. Tu me suivais et on choisissait le premier café plus ou moins tranquille, en s'asseyant en terrasse. Tu attrapais le menu et même si j'avais envie de te sourire ou te montrer que j'étais plus qu'heureuse de te revoir, je n'allais rien faire de tout cela. Trop de sentiments se bousculaient en moi. Tu étais désolé et je ne répondis rien. Je laissais mon regard se perdre sur ta personne, complètement perdue. Oui.. j'avais été acceptée à Harvard, j'avais de très bons dossiers donc j'avais quand même eu mes chances.

Je te regardais lire la carte. Prends ce que tu veux.. si tu voulais manger beaucoup, fallait te faire plaisir. Je posais mes avants bras sur la table, signe que j'avais envie que l'on parle. Depuis quand t'es dans la rue? fronçant frénétiquement les sourcils, je voulais comprendre, ça me révoltait bordel. Personne ne t'aidait? T'avais pas une petite-amie depuis? T'avais fini gay? Je soupirais en secouant la tête. J'te laisserais pas repartir je ne sais où dehors ce soir. Laisses-moi t'aider au moins pour ce soir, et cette nuit.. tu étais en moi, et ça depuis que j'étais tombée amoureuse de toi. C'était du passé certes, mais tout refaisait surface. Le serveur arrivait Je vais prendre un café.. te regardant, c'était à ton tour de commander.

Félicitations, répondis-je en lui décochant un léger sourire. Mais de toute évidence, elle n'avait pas l'air d'avoir trop envie d'en parler. Je pouvais comprendre, ça la perturbait de me voir avec cette tronche et j'pouvais pas lui en vouloir d'être un peu abrupte, y a pas trente-six manières de réagir à une telle nouvelle de toute façon. Elle ne s'attendait probablement pas à ça en se levant ce matin, et moi je n'imaginais pas avoir à ré-évoquer ces mauvais souvenirs cet après-midi. Je n'avais finalement que peu parlé du décès de ma mère et des événements qui en avaient découlé. Du moins je l'avais fait, mais généralement à d'autres sans-abris que je n'avais jamais revu, parce que ça fait partie des choses qu'on se raconte. "Pourquoi t'es là toi ?". Je gardais les yeux fixés sur la carte en écoutant Loïs, avant de finalement la reposer sur la table. Ça fait deux ans. Un peu plus... Je perdais un peu la notion du temps avec ce bordel, ma montre m'avait lâché depuis bien longtemps. J'avais bien un calendrier dans ma voiture, mais comme toutes les journées se ressemblaient pour moi, je me fichais pas mal qu'on soit en semaine ou en week-end. Tu sais t'es vraiment pas obligée, t'as pas à te sentir forcée de quoique ce soit, vraiment. Je relevai les yeux vers le serveur. Un américano pour moi aussi... avec des œufs et du pain perdu. Pas très original mais j'avais essayé de taper dans le moins cher et un truc qui me tienne un minimum le ventre. Le serveur repartit et je reportai mon attention sur Loïs, m'enfonçant un peu dans le fauteuil. Après le décès de ma mère j'ai reçu une notification de mon assurance... ils ont rien voulu payer. Si j'étais dans cette merde intersidérale, c'était bien leur faute. J'ai pensé me battre un moment et les attaquer en justice mais c'était bien trop la merde. J'avais plus les moyens de me payer quoique ce soit et si j'avais perdu le procès... disons qu'on sait déjà tous que les frais médicaux sont hors de prix aux Etats-Unis et il en va de même pour les frais de justice. Si j'avais ne serait-ce que réussi à aller jusqu'au procès, j'avais aussi peu de chances de le gagner. Et ma note déjà salée n'en aurait été que plus dure à avaler. Je tapotais nerveusement sur la table du bout des doigts, la mâchoire serrée. On parle beaucoup de l'American Dream, mais peu de ces personnes qui se font broyer par le système, comme moi. Pourtant j'étais loin d'être le seul.

Biensûr que tes félicitations me touchaient et m'allaient droit au coeur, mais je n'oubliais pas ce que tu m'avais fais et à quel point tu avais été lâche. Je n'avais pas envie d'être complètement rancunière aujourd'hui par contre, je voulais t'aider, juste un peu. J'ai jamais été forcée de vouloir t'aider, rentre toi le dans la tête.. pour ne pas être agressive, je me retenais en serrant ma mâchoire, tu m'avais rejeté une fois, pas deux. Le serveur vint prendre les commandes et tu prenais à manger, bien. Il repartait et tu me confiais que ça faisait deux ans que tu étais sdf, donc presque depuis qu'on était plus ensemble.. génial. les attaquer en justice pourquoi? expliques-moi.. on avait tous les deux été dans des études de droit, et j'y étais encore à l'heure actuelle. Si je pouvais t'aider, de n'importe quelle manière, c'était certain que j'allais le faire.

Le serveur revenait et nous posait nos commandes, je lui tendis un billet pour payer le tout et j'attrapais entre mes doigts fins, mon café. Où était passé le jeune homme que j'avais connu? Celui qui sentait bon, qui prenait soin de lui? Tu devais avoir vécu des choses vraiment horribles en deux ans et je n'avais même pas envie d'imaginer à quel point t'avais pu souffrir. J'en avais l'estomac retourné et à peine ai-je bu une toute petite gorgée de mon café que je le reposais en te regardant. A cet instant, j'oubliais tous mes "faux" problèmes du moment, Tom, Gillian ma sœur qui ne voulait toujours pas que l'on parle. Puis le fait qu'il me manquait des vêtements pour l'été.. je me retrouvais complètement bête face à cette situation.

Je sais. Loïs était une femme généreuse et j'en avais jamais douté, mais cette situation était gênante et m'héberger n'était pas forcément quelque chose dont elle rêvait. Je savais qu'elle ne me souhaitait pas de mal même si elle était remontée parce que j'avais préféré rompre, elle ne se serait jamais réjoui du retour de bâton et n'aspirait pas à la vengeance. Elle n'avait pas besoin de ça pour savoir se défendre. Merci en tout cas... Je haussai les épaules quand elle me demanda pourquoi j'avais songé à les attaquer en justice. T'as vu dans quel état j'étais. Une vraie passoire, j'ai perdu le contrôle sur tout. Je voulais pas croire que ça puisse être aussi injuste, mais le fait est qu'on avait une assurance de merde qui ne remboursait presque rien. J'aurais probablement perdu plus que je n'aurais gagné si j'les avais poursuivi pour les forcer à payer. Je soupirai, me passant une main dans mes cheveux déjà en bataille. Presque deux cents mille dollars. Rien que ça, ajoutai-je avec un léger rire. Ils ont saisi mon appart, tout ce qu'il y avait dedans. Et j'ai juste rien pu faire. Je regardai l'assiette que le serveur venait de déposer devant moi. Désormais je savais que ce n'était pas le droit des affaires qui me conviendrait le plus. Je rêvais de pouvoir reprendre mes études pour devenir cet avocat qui pourrait défendre les malchanceux comme j'avais pu l'être aussi. Mais ce n'était clairement pas pour tout de suite. Je fais mes démarches sociales pour avoir un logement et une aide pour me réinsérer mais tu te doutes bien que c'est le bordel. Si ça ne tenait qu'à moi, il était évident que le problème serait réglé depuis longtemps mais les démarches traînaient en longueur, encore et encore... ça n'en finissait pas et la moindre virgule dans le dossier était sujette à problème.

Tu savais? Et pourtant, ça ne t'avait pas empêché de me jeter comme une merde alors qu'on était ensemble depuis quatre ans. C'était pas rien, et t'avais fais ça vraiment maladroitement, ce n'était ni le lieu ni le moment pour en parler, mais j'espérais que tu n'oubliais pas. Certes, tu avais souffert, mais justement j'aurai pu comprendre car j'étais aussi orpheline d'une mère. Elle n'avait pas été malade, je l'avais perdu d'un jour à l'autre. Cette pensée me mit la boule au ventre, donc vite, je me reconcentrais sur ton explication. Je sais.. que dire de plus? J'étais étudiante de droit et pourtant je savais que les lois n'étaient pas toujours juste. Puis le système américain était onéreux. C'était assez difficile de perdre quelqu'un qu'on aime, sans se soucier en plus de devoir lâcher des tonnes de billets..

Tu avais maintenant devant toi à manger et à boire alors que je terminais mon café. J'avais qu'une envie c'est que tu me suives jusqu'à mon studio et que tu prennes une douche. Tu te sentirais mille fois mieux. C'est compliqué les démarches puis.. à mon souvenir, t'es pas le meilleur dans tout ce qui est administratif. enfin un fin sourire prit place sur mon visage. D'ailleurs, quelqu'un t'aide? je voulais un peu savoir où en était ta vie sociale, si tu voyais des gens, tout ça. J'en revenais toujours pas de te voir là, en face de moi. Je comprenais à cet instant précis que tu m'avais manqué, et que j'étais heureuse de te savoir dans la même ville que moi, aussi bizarre que cela puisse paraître.