new york ♥

Je ne pouvais pas forcer la main de Sloan. Il n'était pas à l'aise avant, il ne semble pas plus à l'aise maintenant... et j'ai déjà beaucoup appris sur lui aujourd'hui, je ne voudrais pas être trop gourmande ! Alors je lui propose gentiment de me retrouver à l'hôtel après être allé au cimetière tout seul... je pense vraiment que ça peux lui faire du bien de retrouver sa maman... enfin, sa mémoire, tout du moins. Lorsque je prend sa main, Sloan me fait un petit sourire et je sens mon cœur fondre en l'écoutant me dire qu'on devrait y aller. Mais... ensemble ? vraiment ? J'étais étonnée mais ne laissait pas du tout transparaître ma surprise. À la place, je lui affiche un doux sourire. Je ne voudrais pas lui mettre de pression. D...D'accord alors. Sloan appelle le taxi et je tue le temps à regarder les voitures qui passent. Lorsque la voiture jaune s'arrête pas très loin devant nous, je marche jusqu'à elle pour entrer à l'intérieur et attend mon mari pour qu'il en fasse de même. Le chauffeur s'est mis en route vers notre destination, je sentais Sloan nerveux rien que par son silence... Alors je tend la main pour la poser sur sa cuisse. Tu peux changer d'avis bébé... je ne le prendrais pas mal, tu sais. Je préférais qu'il change d'avis oui, s'il n'en est pas certain... je veux qu'il se sente prêt, entièrement, complètement.

C'était assez surprenant de la part de Sloan d'accepter que Suzy vienne avec lui au cimetière. Lui qui refusait catégoriquement que l'absence de sa mère n'empiète sur son quotidien, il se retrouvait vite submergé par son manque et par le deuil qu'il n'arrivait vraiment pas à faire. Prétendre le contraire serait de l'inconscience. Il savait qu'il n'arrivait pas à passer outre, il y pensait plusieurs fois par jour et rarement dans le bon sens. Il en voulait énormément à sa mère d'avoir succombé à la maladie et de l'avoir abandonné, un peu comme son père. Elle l'avait laissé tout seul sans prévenir, sans même une solution. Pendant deux mois, il lutta contre le coma de sa propre mère, en espérant qu'elle se réveille d'une seconde à l'autre. Il lui parla à travers son sommeil, il se dévoila entièrement à un corps inanimé et n'eut aucune réponse. Le jeune Bushnell vivait très mal ce qu'il s'était passé et avait fondé beaucoup trop d'espoir en un quelconque réveil. Malheureusement pour lui, sa mère n'ouvrit jamais les yeux et parti dans un sommeil éternel sans lui avoir dit le moindre au revoir. C'était ça dont il avait besoin .. un dernier adieu en bonne et due forme. Un vrai adieu, avec quelques conseils avisés de la femme qui le comprenait mieux que quiconque sur terre. Elle était parti et avait prit, avec elle, toute la bienveillance qui rendait Sloan beaucoup plus docile. Le choc de son coma fut trop brutal et l'attente de son départ beaucoup trop long pour l'ancien Eliot qui en a, fatalement, souffert. Lorsque le taxi arriva à leur hauteur, Suzy s'en approcha pour entrer dedans, suivit de près par son mari. Le trajet fut assez lourd, la brunette essaya de désamorcer la bombe mais il ne répondit pas. Une fois sur les lieux, il descendit du taxi et posa ses yeux sur l'entrée du cimetière. Un calme olympien s'émanait de cet endroit si paisible, par contre, à l'intérieur du jeune homme, c'était l’apocalypse. Il se sentait mal, au bord de la crise d'angoisse. Sans un mot et sans même se retourner, il entra à l'intérieur. Il traversa une bonne partie du cimetière pour s'arrêter devant une pierre tombale où deux noms étaient inscrits, celui de son père et, juste en dessous, celui de sa mère.

Il a droit de changer d'avis, il a le droit de dire non, de fuir et de vouloir retourner à l'hôtel finalement. Ma main sur sa cuisse, je le caresse en lui disant exactement ça... Mais le silence a englobé tous les mots, Sloan semblait pensif. Je n'allais pas interrompre le fil de ses pensées, en fait, je n'allais pas dire un mot. Sloan devait prendre ses propres décisions et s'il avait envie que je l'accompagne, alors je l'accompagnerai... J'espère juste qu'il ne regrettera pas. J'vais rencontrer sa mère putain... et je sens mes mains devenir moites, je me sens nerveuse. Je suis parfaitement consciente qu'on va à un cimetière et que l'ambiance risque d'être vachement morbide... Mais j'avais besoin de ça, j'avais besoin de payer mes respects, de savoir où elle se trouvait. Elle va devenir grand-maman, après tout et elle est aussi ma maman maintenant qu'on est marié. Elle est la famille que j'ai choisi, celle avec qui j'aimerais finir ma vie... Pour moi c'est important. Mais je comprends Sloan de ne pas être prêt à partager tout ça avec moi.

La voiture s'arrête devant ce qui semblait être notre destination. Sloan s'est occupé de la facture, puis est sorti de la voiture. Je le suis dans le plus grand des calmes, je devine que ce n'est qu'éphémère. Je ressens la tension, la tristesse, le chagrin, la douleur... Dès mon premier pied à l'intérieure du cimetière, mon sang ne fait qu'un tour. J'ai vraiment les pieds ici ? C'est vraiment entrain d'se produire, j'rêve pas ? Sloan marche jusqu'à s'arrêter devant une pierre tombale, qui se trouve dans l'un des coins les plus éloignés du lieu de repos. Le nom de sa maman est écrit à côté de celui qui semblait être le nom de son père. Les deux, ils sont là les deux. Si y'a bien un truc auquel je ne m'attendais pas bizarrement, c'était de faire face à mes deux beaux-parents, en même temps. Pourtant j'aurais dû... Je jette un rapide coup d’œil à Sloan qui reste placide, puis reporte mon attention vers la dalle funèbre. Je me penche, me mets à genoux, m'assois sur mes talons et prend une grande inspiration. Je n'arrive pas à prononcer un seul mot, ma mémoire est vide, ma gorge est sèche. Puis finalement... Je m'appelle Suzy Underwood. J'suis née quelque part en Russie... ou en France... J'sais pas exactement. J'ai été adoptée, ça, je sais. Mes parents, que j'appelle mes grands-parents, sont très âgés... Tous les deux à la retraite. Ma grand-mère Lorie était couturière, mon grand-père Edward a travaillé toute sa vie pour la compagnie familiale... J'suis en santé, hum, je suis médecin interne dans une hôpital de Boston, j'ai de bonnes notes... E... Enfin vous savez tout de moi maintenant, je pense... À part que j'aime votre fils. Je suis tombée amoureuse de lui il y a sept mois environ, dans l'une des périodes les plus grises de ma vie. Il était là et il est fantastique, votre fils. Vous seriez tellement fiers de voir ce qu'il est devenu vous savez... on attend un bébé. Sloan pense que ce sera une fille mais nan, laissez-moi vous dire que ce sera un petit homme ! Je me met à rire doucement. Évidemment, fille ou garçon, je n'ai pas de préférences. J'essayais d'alléger un peu l'ambiance... Enfin, le bébé est en santé aussi... Sloan est entre de bonnes mains... Je me mords la lèvre inférieure et prend une petite pause pour réfléchir. J'passais surement pour une folle à dire tout ça, peut-être que ça énervera même Sloan, ou lui foutra un stress de malade. Quoi qu'il en soit... fallait que ça sorte de mon système. Merci... grâce à vous deux, j'ai trouvé l'homme avec qui j'ai envie de passer ma vie. Vous m'avez fait le plus beaux des cadeaux, je ne vous serai jamais assez reconnaissante... Je cesse de parler, puis me remet sur pied.

Le regard de Sloan se posa machinalement sur la pierre tombale qui portait le nom de sa mère mais également celui de son père. Ne l'ayant jamais vraiment connu, le deuil de son paternel fut beaucoup plus facile à faire que celui de sa mère. Lorsqu'il pensait au père Bushnell, c'était uniquement pour se demander s'il était comme lui, si, lui aussi, avait eu des problèmes de comportement. Sloan aurait aimé en parler avec son géniteur mais le destin l'avait écarté de sa route, il devait donc faire cavalier seul et affronter sa bipolarité sans les conseils avisés de son père. Allez savoir pourquoi mais il pensait que c'était un truc de famille, qui se transmettait de générations en générations. Son futur enfant, surtout si c'était un garçon, allait donc en subir les frais. Sa mâchoire se crispa lorsqu'il lu les deux noms dans leur intégralité. Dans la fatalité, il était seul, il n'avait plus de parents et avait hérité d'un beau-père dont il se serait, volontiers, passé. L'ancien Eliot prit une grande inspiration et serra sa mâchoire en apercevant Suzy bouger à côté de lui. Elle vint se mettre à genoux et commença un long, très long, monologue qu'il écouta attentivement. Chaque mot parvint à son esprit et s'encra dans sa mémoire. Sa respiration était régulière et anormalement longue. Ce discours était puissant et prenant, ses tripes se tordaient dans tous les sens et le stress grimpait en lui. Vous seriez tellement fiers de voir ce qu'il est devenu vous savez. Si seulement cela pouvait être vrai. Sloan fixait l'horizon droit devant lui avec une furieuse envie de foutre le camp mais par respect pour le discours de sa femme, il ne le fit pas. C'était étrange comme émotion, il voulait pleurer, s'énerver, s'attendrir, tout ça en même temps. Mais comme à chaque fois, trop d'émotions l'empêchaient d'en éprouver une seule correctement. Ils attendaient un bébé, oui, aussi fou que cela puisse paraître, le jeune Bushnell allait être père. C'était simplement dingue. Il glissa ses mains dans son manteau lorsque sa femme vint contredire une pierre tombale sur le sexe de leur futur enfant. Sloan leva les yeux au ciel, ils étaient humides mais aucune larme ne coulait. C'était dur là, vraiment dur. A la fin de son discours, Suzy se releva et vint se placer à ses côtés. « Merci .. » lâcha-t-il, faiblement. Merci d'avoir eu les mots qui lui manquaient à chaque fois qu'il venait ici. Merci d'avoir eu le courage de déballer tout ça à une tombe. Merci d'être présent pour lui. Merci de croire en lui. Merci pour tout en fait. Pour la première fois depuis longtemps, ce merci était vraiment sincère et venait du fond de son coeur meurtris.

C'est écrit dans le ciel, de nous deux, je suis celle qui a nettement plus de facilité à communiquer ses émotions. Je ne suis pas parfaite, je suis même très loin de l'être... mais lorsque j'ai besoin de dire quelque chose, de faire le ménage dans ma tête, j'le fais. J'suis la première à lui avoir dit que je l'aime, la première à m'être mise à nue devant lui, à m'être rendue vulnérable pour lui. Je l'aime autant, mais différemment. C'est normal... nous n'avions pas été élevé dans le même milieu. Sloan a grandit dans un environnement sans amour et lorsque sa mère s'est remariée, eh bien elle s'est remariée avec un homme influant, riche. Tout le contraire de Sloan, d'Iris et de sa mère et sans doute son père aussi. L'amour, il ne l'a pas vu de la même façon que moi : j'ai été adoptée par deux personnes âgées qui n'ont jamais pu avoir d'enfants, mais qui sont très très amoureux. Ils m'ont partagé cette vision de la vie, celle où il est possible d'être heureux à deux, amoureux et d'obtenir ce qu'on veut dans la vie même si c'est seulement qu'à nos 40 ans. Je ne suis peut-être pas 100% heureuse maintenant, peut-être que Sloan non-plus... mais à 40 ans ? À 40 ans, on sera bien. Peut-être à 50, peut-être même l'an prochain ou demain... qui sait ? La vie ne s'arrête pas là, elle ne s'arrête pas jusqu'au jour où elle s'arrête. On a survécu à une rupture, peut-être qu'on ne survivra pas à cette deuxième chance, peut-être que si... en fait, seul le temps peut nous le dire. Mais dans tous les cas ? J'suis fière de Sloan, fière de qui il est. Je me relève, j'ai fini mon discours... j'ai dis ce que j'avais à dire à ses parents. Sloan me remercie, mais je sais ce qu'il se passe dans sa tête. Oh oui, j'sais c'qu'il s'passe. Aujourd'hui j'me rends compte que j'le connais plus que jamais, je sais que demain je le connaîtrai encore plus... Je sais ce qu'il se dit, là tout de suite. J'suis vraiment fière de toi, Sloan. J'le pense. Lui dis-je, avec mon air le plus sérieux. Il y a 7 mois, il ne se serait jamais affiché avec une fille, il n'aurait pas épousé une fille, il n'aurait pas pensé à devenir père, il n'aurait pas pensé à contrôler son humeur avec la boxe, il n'aurait pas partagé ses émotions avec quelqu'un, pas de la façon qu'il le fait avec moi. Et là ? Il m'a emmené au cimetière où ses parents reposaient... je sais pas. J'suis ultimement fière de lui, je peux mourir en paix. J'peux mourir en sachant que tout ira bien, que Sloan ira bien. En parler à une personne, rien qu'une seule, ça peut tellement faire une différence. Juste au moment où je troque mon air sérieux pour un sourire, une légère brise souffle sur nos visages et fait virevolter mes cheveux. Je replace l'une de mes mèches derrière mon oreille et agrandit mon sourire en voyant quelques flocons flotter autour de nous. Et on dirait bien qu'j'suis pas la seule... Est-ce qu'il croit au destin ? À l'au-delà ? Parce que moi oui... et j'pense que ça ne peut pas être un hasard, qu'il se mette à neiger seulement maintenant... Seulement après avoir visité sa maman. Notre maman.