(Lux) Spotted.

Les choses sont devenues étranges avec ma nouvelle collocation. Certes, je n'avais pas prévu d'y rester toute une vie, mais espérais tout de même ne pas avoir à affronter ce genre de malaise. Notre première soirée ensemble aura également été notre première cuite partagée, notre premier baiser... Je suis finalement soulagé que mes souvenirs restent flous ; je sais que je l'ai vue presque nue, mais peine à me rappeler de tous les détails de ses formes, ses courbes, son corps. Je secoue vaguement la tête en entrant dans l'amphi. Ca fait quelques jours, déjà... L'on a habilement esquivé le sujet. En fait, je m'étonne même de notre capacité commune à nous éviter, et à tout faire pour ne pas prendre le temps de se parler. Poliment, bien sûr, et toujours avec le sourire. Ahh...

Bon nombre d'étudiants sont déjà installés ; je pose mes affaires sur le bureau en saluant tout ce beau monde d'un simple "Messieurs dames, j'espère que vous avez passez de bonnes vacances..." Je m'en fous, bien entendu, mais il faut bien commencer quelque part. Je déballe un carnet, une télécommande, active le rétroprojecteur : c'est parti pour Le Caravage.

Je vous passerai les détails de mon discours, puisque finalement, ça n'a pas tellement d'importance. J'y glisse quelques anecdotes amusantes, quelques notes d'humour pour conserver l'attention de mon audience. Il doit y avoir deux cents personnes à peu près, buvant mes mots ou roupillant tranquillement. Chaque chose que je dis est prise pour une vérité : une certaine pression parfois, mais que j'apprécie, puisqu'elle me donne le rôle privilégié de la voix à suivre...

Ça fait quelques jours que la rentrée à repris, que tu es repartie pour suivre les cours docilement, sans faire de faux pas, et ça vaut mieux pour toi. Tu as toujours été une bonne élève, mais dernièrement le moral n'était pas vraiment au rendez-vous. Tu préférais ne pas y penser, ça faisait aussi quelques jours que tu n'avais pas pu reparler à Nick. Et puis avec votre soirée passée ensemble, et le fait d'avoir failli coucher avec lui, tu ne savais plus trop où tu en étais avec lui. Et si il y avait quelque chose entre vous deux. Ou bien tu te faisais des films.

Histoire de l'art, ton premier cours de la journée et pour bien commencer la journée tu avais eu du mal à te lever, et forcément tu étais en retard. Un léger mal de tête qui avait commencé la matinée et tu ne te sentais pas vraiment d'attaque pour aller en cours, mais bon comme c'était un de tes cours préféré. L'amphithéâtre. Tu poussais la porte et voulut te faire discrète. Tu connaissais cette voix, et ce visage...ces lèvres, ces yeux... "Merde !" que tu lâchais nerveusement, quelques étudiants se tournant vers toi.

"Et c'est ainsi que leeeee..." Je me retourne vers la classe, délaissant le petit pointeur laser qui va s'enfourner dans les narines du cadavre dépeint sur l'écran. Et je fige. Au fond de l'amphi, Lux vient d'entrer, m'a de toute évidence reconnu étant donné le regard tout aussi stupéfait que le mien qu'elle m'adresse. "... le..." What the fuck ? Qu'est ce qu'elle fout ici ? Oui, je mets mon discours en pause, tandis que mes neurones s'agitent. Ne me dites pas qu'elle fait partie de ce cours... Sur tous les domaines d'enseignement d'Harvard, il aurait fallu que ce soit pour ma pomme ?

"Le clair-obscur ?" tente de me rattraper une étudiante du premier rang. Je la regarde, reviens à Lux puis au tableau. Me râclant rapidement la gorge pour tenter de reprendre le fil des événements, je me tourne un instant dos à mon public pour poursuivre. "Ouais, le clair-obscur..." Je passe une main sur mon visage, provocant -je l'imagine très bien- la déroute de mes chers spectateurs. On se reprend... On se reprend. On verrait pour elle, après. Je me retourne finalement, avise un regard à la principale intéressée, espérant sincèrement qu'elle ne s'échappe pas et que l'on puisse prendre le temps de délier cette situation on ne peut plus délicate. Et Je reprends mon cours, me privant bien d'expliquer ce léger moment de flottement et faisant au mieux pour ne pas me perdre encore.

C'est une mauvaise blague c'est ça ? T'arrives pas à y croire, tu aurais jamais imaginé que Nick puisse être prof, et surtout ton prof...d'histoire de l'art. T'essaies de pas trop attirer l'attention des autres, et ce malgré toutes les images qui revenaient au moment où tu croisais le regard de Nick. Tu te sentais rougir, gênée, et finalement tu optais pour t'asseoir au fond de la salle. Du moment que le prof ne te posais pas de questions ou qu'il te demande de participer au cours, tu ferais tout pour l'ignorer et tout pour que les autres non plus ne se posent pas de questions. Mais toi, t'en as quelques unes qui te trottent dans la tête et surtout si c'est une bonne idée qu'il soit encore ton coloc après la fin du cours...

Les dernières minutes qui te séparent de la fin du cours te paraissent très très lentes, comme si ce calvaire ne prendra jamais fin, et pourtant lorsque ça sonne enfin, tu ramasses rapidement tes affaires pour partir avec les premiers qui quittent l'amphithéâtre... T'as même pas le courage de l'affronter tellement tu te sens honteuse d'avoir failli coucher avec un prof...

Elle se casse, nom de dieu. Je la suis du regard, bien incapable de quitter la pièce aussi rapidement que le flot d'étudiants qui se précipite vers les grandes portes. Alors je soupire, éteins le projo, rassemble mes affaires dans ma sacoche et prends tout de même le temps d'affronter les quelques questions que l'on me pose. Plus que sur le contenu, la curiosité est davantage axée sur ma présence en remplacement de l'ancienne prof, et ma souplesse quant à la notation... Je réponds en prenant soin de rester vague, passant la hanse de mon sac avant de me diriger vers la sortie, dispersant un à un les étudiants qui me suivent à coups de réponses brèves.

Et enfin, je suis seul. Ce serait bien compliqué de retrouver Lux au hasard dans les couloirs de l'université. Je me résigne à aller prendre un café ; sur le chemin, je me permets tout de même de l'appeler. Le téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille, j'entre les sous dans la machine, espère qu'elle finisse par me répondre.

T'es partie comme une voleuse après la fin de son cours, qu'est ce que t'allais pouvoir bien lui dire après ces jours de silence suite à votre soirée un peu trop alcoolisée ? Tu ne pouvais pas l'éviter toute la journée non plus puisque vous vous retrouveriez le soir à l'appart. Et tu ne pouvais pas non plus demander aux amis que tu avais sur le campus de te loger quelques jours dans leur piaule ou appart sur Cambridge. T'étais partie prendre l'air après la fin du cours, te préparant mentalement à ce que tu allais pouvoir bien lui dire ou à encaisser l'idée qu'il décide de quitter votre appartement... Après tout un prof et son élève colocs, c'était sûrement mal vu à la fac. Dehors il faisait super froid et forcément tu savais que tu n'y resterais pas bien longtemps, surtout quand ton portable se mit à sonner dans la poche de ton manteau. Le prénom de Nick s'affichait, et tu laissais sonner quelques secondes avant de lui répondre " C'était pas toi hein tout à l'heure ? Rassure moi, t'as un frère jumeau sur le campus hein?" de l'autre côté de l'appel, il pouvait clairement entendre ta voix trembler, et un début de larmes arriver...

Elle répond. Sa voix me semble trop fragile. Je fronce le regard, prends mon misérable café et reprends mont téléphone en main, toujours contre mon oreille. J'esquisse un léger sourire à sa remarque, mais comprends rapidement que la situation est loin de lui convenir. Comme à moi. Presque à voix basse, me voulant clairement rassurant, je me lance. "Hey, c'est pas un drame..." J'avance, lançant quelques regards perdus aux étudiants qui me reconnaissent. "C'est juste un cours... J'ai été surpris de te voir, mais... Je sais pas, on n'est pas obligés de se braquer pour ça, si ?" J'suis paumé. Si bien que j'essaie de me convaincre davantage moi-même. Je prends la porte de sortie, me retrouve devant l'entrée du bâtiment, à descendre doucement les marches. "Je ne resterai pas éternellement chez toi, de toutes façons..." Chez toi, oui ; j'ai bien trop de mal à me sentir à ma place dans cet appartement. Plus comme un amant refoulé que l'on planque dans un placard. J'ai déjà couché avec certaines de mes étudiantes. Plusieurs fois même, en Angleterre. Ca ne s'était pas ébruité. Mais il faut dire que la direction était bien moins cul-serrée que ces connards d'américains. Et surtout, je ne logeais pas sous le même toit que l'une des concernées.

Je descends encore quelques marches, et finalement reconnais sa silhouette, plus loin. Je la regarde, fixement, tandis qu'elle me tourne le dos. Que j'ai pourtant sa voix, juste là, au creux de l'oreille. Si près et pourtant c'est à présent un putain de fossé qui nous sépare. "A propos de l'autre fois..." Je marque une pause, cherche mes mots, sans la quitter des yeux. "On pourra simplement éviter de boire autant, à l'avenir. Et apprendre à se tenir." Un léger rictus assez pathétique étire mes lèvres. Je ne regrette pas, non. Mais j'espère que cette expérience ne gangrènera pas nos existences respectives.

Pas un drame...d'un côté tu sais qu'il a parfaitement raison, et puis c'est pas ton genre de dramatiser pour si peu. C'est pas comme si ça te manquait de l'embrasser ou comme si t'avais envie de recommencer ça avec lui. T'es son élève, il est ton prof -un prof sexy soit- mais ça s'arrête là.
[color=crimson]"Tu as raison, excuse moi d'être partir comme une voleuse tout à l'heure. C'est juste qu'on s'est évités ces derniers jours et ça m'a fait bizarre de te voir là à la place de mon ancienne prof..." Ta gorge se serre quand il te dit qu'il ne restera pas éternellement chez toi, pas chez vous... Donc quoi ? Ça veut dire qu'il va partir ? T'y es pas préparée et pour le moment t'as pas envie d'y penser parce que tu ne veux pas t'imaginer toute seule dans cet appart bien trop grand pour une personne... "Si tu veux partir je comprendrais tu sais...je sais même plus si je dois te vouvoyer ou te tutoyer maintenant..." Et quand tu lui parles t'as cette impression qu'il est tout prêt de toi, et tu décides de te retourner, il est là devant toi. Tu te mords la lèvre inférieure, il est encore plus craquant que d'habitude. Tu raccroches " C'est bizarre, j'ai pas envie que tu quittes l'appartement ou même que tu sois mon prof...je devrais peut-être quitter ton cours et changer de cursus, non ?"

Il y a ce truc qui flotte entre nous, indéniablement. Lux est belle, mais elle est aussi et surtout le genre de fille que l'on n'a pas envie de briser. Elle se retourne. Je baisse doucement mon téléphone, le coupe et le glisse dans la poche de ma veste. Mon café n'est déjà plus que tiède. L'air est glacé.

Je souris à sa proposition, me doute qu'elle plaisante. "Je ne suis pas beaucoup plus vieux que toi, tu peux me tutoyer, ne t'en fais pas. Ecoute..." Je me pince les lèvres, ne sais pas exactement où me mettre, mais tente de garder mon assurance habituelle. "Je pourrai te faire réviser à l'appart, te servir d'encyclopédie sur pattes... Qui ira vérifier avec qui je vis, hein ? Ca ne regarde personne d'autre que nous." Allez, crois-y, Nick. Toute cette histoire, c'est pas gagné. "Ne laissons pas les choses devenir bizarres entre nous, d'accord ?" Je baisse doucement le ton de ma voix pour être plus discret et ancre mes yeux dans les siens. "Pas de dérapages... Pas de baisers... Pas de sexe." Mon regard descend fatalement sur ses lèvres. Les images de notre soirée folle me reviennent. Les contacts. Son parfum. Son souffle qui se tord délicieusement sous mes caresses... Stop, stop stop. Hop, arrêt d'urgence ; je cligne des yeux, me raccroche aux siens. J'ai terriblement envie de la prendre, putain, ici et maintenant. Calme tes ardeurs, mon vieux. Tu n'auras de toute évidence rien de plus.

Tu as encore le goût de ses lèvres en tête, ses caresses, et le silence ensuite qui s'est installé entre vous ces derniers jours... Tu ressens un petit pincement au cœur mais tu préfères ne pas parler de tes sentiments ou ni même y penser. Parce qu'il te prendrais probablement pour une fille dérangée qui a déjà des sentiments pour lui. Ce qui est faux, du moins pour le moment. Il est là, et y'a comme un gouffre qui s'est installé entre vous deux depuis que tu as découvert qu'il était ton prof. Puis tu souris bêtement quand il te propose de te faire réviser les cours, un peu comme un traitement de faveur ou un truc qui y ressemble. "Pourquoi pas, mais je te préviens, je suis une élève compliquée et qui a de temps en temps du mal à bien se concentrer... Et avec toi, ça sera encore moins facile..." Pas de dérapages, rien, tu essaierais de tenir le coup à condition que lui aussi, sinon tu seras incapable de te tenir correctement. Puis tu sens son regard, accroché au tien, il te trouble tellement que tu ne sais même pas où te mettre. Et des étudiants passent pas loin de vous, tu détournes le regard histoire de ne pas être totalement grillée, puis un silence s'installe entre vous deux... "Je devrais probablement y aller, j'ai réservé la salle de danse pour un entraînement, tu...tu veux m'accompagner ou bien tu as un cours ?"