Prends-moi comme un sens interdit (Aaron)

Abé me soutenait que la mather house c’était le mal, que les verts étaient les ennemis à abattre et je déchantais un peu. J’étais arrivée en décembre, je n’avais eu peu de temps pour assimiler les rouages des confréries et les tensions/alliance qui les animaient. Nos alliés étaient les eliots, ce qui tombait bien car mes meilleurs amis s’y trouvaient, et même l’une de mes sœurs désormais. Sauf que, moi, de mon côté, j’avais tissé un lien particulier avec Amare, ce type qui me faisait perdre mes moyens au point que j’avais été à deux doigts de coucher avec lui dans cette salle de classe l’autre fois… Et puis y’avait Gaga aussi, la petite de Belgique, une amie de longue date avec qui je m’entendais bien. Je n’arrivais pas à me dire que je devais éviter cette confrérie alors me voilà, le soir tombé, me faufilant jusqu’à la mather house. Petite robe noire élégante, boucles blondes tombant sur mes épaules, j’avançais timidement parmi les étudiants présents, en mode incruste, espérant en découvrir un peu plus sur cette confrérie interdite, le fruit défendu en quelque sorte. Ne regardant pas où j’allais, un peu perturbée, je percutais quelqu’un et m’excusai alors aussitôt : « Désolée, j’suis un peu paumée… »

 J’étais un peu intimidée, moi la princesse aux paillettes, exilée pendant quelques années dans ce pensionnat religieux, débarquée à Harvard quelques mois plus tôt et découvrant les rouages de la vie étudiante, découvrant les soirées, les abus, les excès, découvrant la vie…  C’est donc bien moins assurée que lors des galas de charité et autres pompeuses réceptions auxquelles j’avais coutume que je me faufilais jusqu’à la mather house, entrant rapidement dans un garçon. Mon regard s’arrêta un instant sur sa bière, alors que ses yeux à lui me détaillaient quelque peu. Est-ce que que ça se voyait sur mon front, que j’étais perdue, que je n’étais pas à ma place, que j’étais novice ? Probablement, alors autant ne pas nier, autant lui souffler combien je me sentais paumée. Et je souris en l’entendant me répondre, me proposer son aide. Ils n’avaient vraiment pas l’air des grands méchants loups qu’on voulait me faire croire, ces mathers. « C’est la première fois que je fais une soirée ici, alors oui, j’imagine que je veux bien me faire guider un peu. » Il me proposait à boire, et une petite voix me soufflait que c’était une mauvaise idée. J’étais pas une habituée des boissons alcoolisés, en quelques verres, je risquais d’être pompette. Mais qu’importe au final, l’ivresse était l’effet recherché non ? Il me fallait bien me lancer, expérimenter de nouvelles choses. « Tu me proposes quoi ? »  Pas du jus d’orange ou de la limonade à mon avis…  

Je butai dans ce garçon, occupée que j’étais à laisser mes yeux trainer partout, curieuse de découvrir cet univers qu’Abélard, un ami Eliot, m’avait dépeint comme un lieu de vices où il m’avait fortement déconseillé d’aller. Mais l’interdit m’attirait comme un aimant et j’avais tellement envie de me faire ma propre idée. J’en avais tout simplement marre qu’on décide pour moi du chemin que devrait être ma vie. Alors oui, ce soir, je faisais mes propres choix. Qu’ils soient bons ou mauvais. Et en quelques secondes d’échange avec le jeune homme, je me fis déjà la réflexion qu’il n’avait pas l’air si méchant ou dangereux que ça. Souriant, jovial, sympathique… Il parut amusé de mon manque d’expérience alors je pris un peu la mouche, redressant le menton comme si ça allait me grandir un peu, me donner l’air moins novice. « J’ai déjà fait une soirée à la Cabot House… » Une soirée pyjama entre nanas, voilà qui allait me rendre tellement plus crédible aux yeux de mon interlocuteur c’était sûr. « Merci. » soufflai-je lorsqu’il me souhaita la bienvenue, touchée qu’il se propose ensuite d’être mon guide et de commencer par prendre un verre. Je n’avais jamais véritablement bu, trempant mon verre, à l’occasion, dans une coupe de champagne lors des réceptions et galas familiaux, alors autant dire que l’option –commencer doucement- me parut la bonne. « Va pour une bière c’est parfait. Merci beaucoup. » Je passai nerveusement ma main dans mes cheveux, essayant de reprendre un peu d’assurance dans ce monde des soirées étudiantes que je découvrais tout juste. J’avais de la chance d’être tombée sur lui, parce qu’il semblait vraiment adorable et entamait d’ailleurs la conversation. « Je suis arrivée en décembre. Et toi tu es ici depuis longtemps ? » questionnai-je avant de réaliser une chose : je n’avais même pas décliné mon identité : « Je m’appelle Cassandra au fait. Enfin, tu peux m’appeler Cassie. »

 « Une soirée pyjama ? » rigolai-je quand mon interlocuteur me souffla qu’il avait un point commun avec moi : les soirées Cabot. Il raconta ensuite que ce genre d’event pouvait être mouvementés et intéressants. « Ha oui ? Je ne me rends pas vraiment compte, comme je suis arrivée il y a peu. Dis moi tout, c’est quoi les soirées à ne pas manquer ? J’ai entendu que le bal de fin d’année était immanquable, et que fallait pas faire l’impasse sur le spring break aussi. » Je voulais tout savoir, tout découvrir, mais si je pouvais apprendre de l’expérience d’un autre étudiant, j’étais preneuse. Surtout qu’il était sympa, ce garçon, il me décapsulait de manière galante une bière avant d’engager la conversation. Je portai la boisson à mes lèvres, pris quelques gorgées, essayais de faire la grande sans trop grimacer puis je me concentrais ensuite sur sa question : « J’ai l’impression qu’une multitude d’opportunités s’ouvrent enfin à moi. » racontai-je avec des petits yeux brillants et un large sourire. « C’est super excitant. » avouai-je en me mordant la lèvres avant d’ajouter : « …et un peu flippant aussi. Mais j’aime ça. » Le danger, l’adrénaline, le mouvement. Tellement mieux que la vie plan plan du couvent. D’ailleurs, je n’en disais rien à Aaron, mais certains de mes amis criseraient de me savoir ici, en pleine soirée, dans cette confrérie. Je pensais notamment à Abé qui avait été très formel dans ses recommandations. « J’ai un grand manitou de la fac comme guide alors ? C’est un honneur. » soufflai-je en apprenant qu’Aaron était ici depuis six ans. On trinqua et je demandais ensuite, curieuse : « Tu me fais visiter ? »

J’appris donc que mon interlocuteur connaissait bien les soirées roses, pour s’y être incrusté une fois, celle de septembre, pour un défi. « Je regrette de ne pas avoir pu voir ça alors. » Parce qu’il avait l’air super enthousiaste rien que d’y penser, ça devait donc être un bon souvenir pour lui. Et puis, profitant de son expérience, je questionnais le garçon sur les soirées à ne pas manquer. Il confirma pour le bal et le SB, ajoutant que le summer camp était sympa également, me parlant des voyages organisés par les confréries. Mon sourire s’élargissait à mesure qu’il parlait : oui, ce mec savait vous vendre Harvard. « Et toi ça va pas te manquer ? » Il venait de me dire qu’il était en dernière année, alors il était en droit d’avoir une pointe de nostalgie en me racontant tout ça. En attendant, il était toujours là et en tant qu’ancien étudiant, j’avais donc le meilleur des guides, surtout qu’il m’assurait vouloir faire de son mieux pour me satisfaire. « Je suis très exigeante attention… » rigolai-je en me risquant à une nouvelle gorgée de bière, qui passa déjà mieux que la première. Novice en la matière, il fallait surement que mon palais s’habitue aux saveurs particulières de l’houblon. Une visite de la mather house. Voilà ce que je réclamais à mon guide et il me fis signe en prenant la direction de l’extérieur, qui selon lui valait le coup en soirée. Je suivis ses pas, curieuse d’en découvrir plus sur cette confrérie qui faisait tant jaser…