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Son corps est aussi de pierre et de bois, c'est à peine s'il sait qu'il a froid.
J’ai l’impression d’avoir vécu vingt ans en une seule nuit. C’est ce qui m’étourdit présentement. Vingt ans d’émotions, j’crois que j’suis passé par tous les stades. De la rage dévastatrice, à la haine, la colère, et puis la peur, la terreur, l’indifférence, la sensibilité, la perte de contrôle, la dévotion, la culpabilité. Et maintenant l’espièglerie. Fausse innocence quand je me mets à la narguer, quand j’insiste sur son image de reine des glaces et balance, comme si ça n’avait aucune importance, que jamais elle ne pourrait me plaire. Jamais elle ne pourrait me plaire, je m’en convaincs. Ce n’est pas comme ça que je la conçois, ce n’est pas comme ça que je la vois. Et quoiqu’il en soit … je refuse de m’avouer qu’elle m’a touché. Coulé Noah, te voilà enchaîné. Au besoin impérieux de sa présence à tes côtés, comme si elle était l’antidote à tes plaies. Elle n’a pas de forme Lara, elle est le bien et le mal à la fois. Le bien qui fait du mal, le mal qui fait du bien. Affalé sur cette banquette, face à elle, je la dévisage. Je ne m’en retiens pas, je ne peux pas m’en empêcher. Je ne la comprends pas, je ne la comprendrais sans doute jamais, et je suis bien incapable de retenir mes yeux de la sonder. En fait, j’crois que je ne saisis pas tout à fait ce qu’il se passe. Je m’habille d’une nécessité superficielle de ne pas me laisser sombrer, de m’ancrer à la réalité, pour ne pas m’avouer l’inavouable. Je suis encore trop fermé pour percevoir l’évidence de notre connexion et à cette seule pensée, j’ai envie de lui arracher la tête. Elle m’est totalement inconnue. Et à la fois, j’ai l’impression de la connaitre par cœur. C’est ce que je lui ai fais croire dans ce bar, ce que je cherche encore à faire savoir. Que de nous deux, je suis le loup. Pourtant, elle sort les crocs. Elle joue au même jeu que moi, celui du sarcasme, celui de la défiance, elle cherche à m’atteindre à son tour. Intérieurement, ça me fait sourire : « C’est parce que … ton visage … », je fais mine de tendre la main, effleurant sa joue sans la toucher, avec cet air faussement mielleux, la narguant vraiment de toute mon arrogance : « tu es irrésistible ». Et j’appuie sur l’ironie de ma phrase pour la pousser encore plus dans ses retranchements, roulant des yeux au plafond comme pour signifier que même moi, je ne crois pas une seule seconde à ce que je dis. Je repose ma main sur ma cuisse et ne cesse toujours pas de la fixer. De ce regard froid, que je ne sais contrôler, celui qui ne laisse rien transparaitre, qui veut la déstabiliser. Et voilà Noah le joueur, incapable de résister à la pression du défit. Même si je lutte pour ne pas me laisser dominer par la provocation, ma bouche n’y fait rien. J’avale ces putains de gorgées de vodka et repose un visage grimaçant sur elle en lui tendant la bouteille. Presque fasciné quand je la regarde faire, je ne retiens pas le sourire insolent qui s’esquisse sur mes lèvres. En coin, comme j’essaye de le pincer, et quand elle me répète qu’elle n’a pas peur de moi, je sens une vague de nervosité m’envahir : « C’est un nouveau défis ? ». Quoi ? Tu veux que je te montre à quel point tu devrais avoir peur ? Je la fixe quelques secondes avant de me détourner. Ma nuque appuyée sur la banquette, je fixe le vide devant moi, comme si je l’ignorais de nouveau : « Bois encore. »
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