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Son corps est aussi de pierre et de bois, c'est à peine s'il sait qu'il a froid.
C’est étrange. Le temps qui disparait. L’espace qui s’envole. Etrange de marcher aux côtés de quelqu’un qui semble avoir perturbé tout ça, sans pour autant en prendre conscience. Je ne connais pas ces rues, je ne connais pas ces toits. Pas plus que je ne connais ce truc bizarre et dérangeant dans mon ventre quand je cherche à me cacher de moi. Quand je me force à me cacher d’elle. J’ai baissé les armes. Malgré moi. Devant elle. Peut-être que ce soir je les trouvais trop lourdes, peut-être que ce soir j’avais envie de paix, de me reposer, de … je ne sais pas, qu’on me dise que tout irait bien. Et le décalage qu’il y a entre ce qu’il se passe dans ma tête et ce que j’affiche est complètement déroutant. Je me vois, présentement, comme un chien pleurnichard, quémandant ce qu’il n’a plus, l’attention, le courage d’être regardé en face, d’être pris pour autre chose qu’un minable. Je me vois comme un mec foutrement banal qu’à juste du mal à se tenir debout tant tout semble s’écrouler, tant il a mal. Et j’ai mal. Et je déteste ce que je présente, je déteste être comme ça. Faible, fragile, touché, incomplet, incertain, peiné, en détresse. Humain. J’crois que c’est ça, je déteste être humain parce que quand on est humain, tout, absolument tout nous atteint. La perte d’un être cher, la fuite d’un amour perdu, la crainte de la mort qu’on aurait pu orchestrer ou de celle qu’on attend impatiemment de subir. Quand on est humain, on est vrai, on ne peut plus se cacher, on ne peut plus taire les battements intempestifs d’un cœur atrophié, et on subit. On subit ses envies comme des besoins vitaux. Comme cette fille que je ne connais pas, que j’ai insulté par les mots et par les yeux trop de fois déjà. Comme son cou que je n’ai pas pu m’empêcher de chercher, ou son corps dans lequel je me suis réfugié le temps d’une chanson. Quand on se présente humain, alors tout le monde peut nous voir nu, dépecé, désossé. Laid, misérable, avec comme seule vérité ses suffocations de douleur. C’est comme ça que je me vois, comme ça que je crois que je me vois, alors je me braque. Parce que je méprise le pleurnichard que je suis, je méprise l’humain que je suis. Et je me hais de mépriser tout ça. Je me hais de me contenir, parce que je me leurre encore. On étouffe dans une carapace, on est à l’étroit dans une armure, on est encore plus lourd, encore plus lâche. Tout dedans est à l’opposé de ce qui transparait. Ce visage blême, froid, dur ne m’a pourtant pas quitté. Pas plus que mes silences, pas plus que mes absences d’esprit. Et je me bats contre moi, parce que je ne sais pas comment être. Je ne sais pas comment paraitre. Va-t-elle me détester si elle me voit pleurer ? Si comme elle dit, je sombre, va-t-elle s’en aller ? Se moquer de moi ? Me laisser là comme un chien perdu ? Je n’en peux plus d’être rejeté, je n’en peux plus d’être abandonné. A chaque fois, c’est pareil, je deviens humain, elles deviennent cruelles. Alors, je ne peux pas. C’est plus fort que moi, de l’auto-défense, du krav maga des sens. J’suis là, figé dans ma stature prétentieuse à organiser le prochain décalage horaire. Cette nuit n’a été faite que de ça. De décalages horaires, de temps imparfaits couper à l’intérieur du temps lui-même. D’interstices, d’échappées. Je ne sais pas où on était tout les deux, mais on n’était pas là. Je ne veux pas redescendre là. Je m’énerve, contre moi-même. Toute cette colère et cette frustration retenue. Je veux la provoquer, je veux qu’elle réagisse, qu’on reparte encore en vadrouille des pensées, qu’elle me fasse oublier, et puis qu’elle ne me laisse pas. Elle est entrain de me laisser, elle est entrain de redescendre. Sans moi. Et ça me rend fou. La voilà qui s’énerve d’un « lâche-moi », et je déteste l’effet que me fait sa main qui se retire. Je me sens misérable, presqu’honteux. Et comme tout être imparfait, je transforme ces sentiments douloureux en arrogances, impétueux, redoublant de diablesse pour mieux me supporter moi-même. Ma chienne ? Ma pute ? Putain, mais, non. Tu n’as rien compris, arrête ça. Arrête de faire comme si tu ne saisissais pas ce que je voulais, arrête de vouloir m’entendre dire ce que je n’ai pas envie de répliquer. Et comme j’ai peur de ce qui pourrait sortir de ma bouche, je me fige. Je ne dis rien, me mords violemment l’intérieur de la joue et la fixe d’un air sévère. Va te faire foutre. Mes yeux rougissent, mes narines se déploient. La nervosité à l’état pure. Contre elle ? Contre moi ? Contre tout ça ? Je n’en sais rien. Et si d’ordinaire je recherchais ce genre d’adrénaline, là, elle devenait trop brutale pour mes viscères : « Dis-moi que t’as pas envie de rester. Dis-moi que tu veux partir. », et c’est moi qui fait un pas de plus vers elle : « Dis-moi encore d’aller me faire foutre et j’irais le faire de bon coeur. Comme ton chien, ou ta pute. ». Face à face, droit dans les yeux, à quelques centimètres seulement de son visage. Je la fixe, imperturbable. La limousine ralentit à côté de nous, Keneth est arrivé. Pourtant je ne bouge pas. Vas-y Lara, dis-moi que tu ne veux pas monter avec moi. Je te défie.
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