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Son corps est aussi de pierre et de bois, c'est à peine s'il sait qu'il a froid.
Tout s’évanouit. Dans moi, je m’éteins. Je ne réfléchis plus, je ne pense plus. A ce que j’ai fais, à cet enfoiré qu’a volé le corps de Sage, à Sage qui ne m’écrit plus, à toutes ces choses morbides qui me tordent le ventre et qui me donnent envie de crever. Je ne pense plus à mon cœur qui ne bat qu’à moitié, à l’ivresse dans ma tête, à l’angoisse éreintante, à mes membres qui souffrent, à la fatigue qui me condamne paradoxalement à d’incontrôlables insomnies. Je ne me souviens plus de la dernière fois où je n’ai pas pensé à tout ça. C’est comme si j’avais oublié qu’il était possible d’exister en dehors de cette tristesse. Comme si ma détresse était devenue l’habit de ma vie et que j’avais oublié qu’on pouvait vivre en dehors de ça. Que j’avais oublié que j’étais vivant, que je pouvais encore trouver la force de sourire, de m’échapper, de fantasmer des illusions plus agréables. Et cette fille là, elle ne le sait pas. Elle ne le sait pas qu’elle me rappelle tout ça. Que quand je la regarde, mon envie de l’étrangler se disloque et se transforme petit à petit en fascination. J’ai osé lui demandé de ne pas s’en aller, je ne voulais pas qu’elle s’en aille. En fait, là, tout de suite, je ne peux pas m’imaginer être ailleurs qu’avec elle parce qu’avec elle au moins, tout parait distant, tout parait lointain. Elle me perturbe, et ça me débecte. Autant que ça m’obsède. Cette manière statique que j’ai de la fixer, comme un fou à lier qui s’accroche à un rocher en plein naufrage. Je ne veux pas penser à la première fois qu’on s’est rencontrer, je ne veux pas avoir à dire ce qu’il y a eut là dans mon ventre quand je l’ai vu. Je ne saurais pas le dire, je ne saurais pas l’exprimer. Pas plus que je ne saurais expliquer l’effet nocif et réconfortant qu’elle a sur moi. Une plaie, putain de plaie, et je me complais à la caresser parce qu’elle apparait comme une faille dans ce brouillard. Peut-être qu’en la décomposant elle, c’est moi-même que je cherche à déconstruire. Et de cet air assuré qui ne veut pas lui laisser paraitre le moindre signe de faiblesse, je crache ma fumée au vent. Ça me fait presque plaisir quand je remarque qu’elle rougit, quand je me dis qu’elle s’enlise autant que moi dans cette situation. Et je finis par détacher mon regard, je crois que je pourrais l’user de mes yeux à force. La voix de l’animateur m’interpelle, elle coupe court au malaise qui commençait à s’installer et je me tourne vers elle de nouveau. Son prénom, je veux son prénom. Parce qu’elle n’est pas Echo, je le sais maintenant, je le saisis. Et que je veux mettre un nom sur la fille qui me sauve. Celle qui me voit détruit. Accroché à ses lèvres, dans l’attente, je me trouve tout à coup emporté avec elle sur la piste. Pas le temps de riposter, pas le temps de réaliser, et me voilà face à elle avec la musique qui se lance. Je sens le poids des regards sur nous et moi pourtant, je ne suis plus capable de lever les yeux vers elle. Mon dieu, c’est tellement bizarre, tellement étrange. Je n’ai jamais aimé danser, jamais aimé la proximité, je devrais leur dire d’aller se faire foutre et partir sans me retourner. Mais … mais je ne peux pas. Tout au fond de moi, y a ce petit truc qui fait que pour une fois, je ne me dégonfle pas. Je ne fuis pas, peut-être parce que je n’ai pas envie de fuir. Peut-être parce que derrière ce malaise, il y a cette chose qui se passe entre elle et moi et qui me fait dire que ce soir, je ne suis pas tout à fait seul. Je ne veux pas être seul. J’ai tellement mal, j’ai tellement peur et … Gauche, maladroit, raide comme un piquet, je m’approche d’elle posant doucement mes mains sur ses hanches. Ça se sent qu’on n’est pas dedans, qu’il y a quelque chose de profondément retenu. Mais qu’à la fois, on ne cherche pas tout à fait à se repousser. Je racle ma gorge, plus gêné que jamais, ça me parait interminable : « C’est … moi qui le suis … », à voix basse, en un murmure. Tandis que je me mettais à guider la danse doucement, sans jamais la regarder. Et malgré moi, je sentais mon corps se décrisper, peut-être parce que d’autre couples nous ont rejoins, ou peut-être parce que sans me l’avouer … je ne trouve pas ça désagréable. Je crois même que mon corps s’est rapproché du sien, qu’elle peut sentir mon souffle au dessus de son oreille et mon parfum. Moi je le sens, son parfum dans les cheveux, celui que j’avais senti dans cette ruelle déjà. Elle me dit son prénom, et je ne réponds rien. Dans ma tête, il se répète. C’est comme s’il donnait à cette fille une existence propre, comme si tout ça devenait tout à coup réel. Je ne me retiens plus, je sombre à moitié. Me rapprochant encore plus d’elle, mes mains qui glissent délicatement de ses hanches au bas de son dos, mon visage baissé qu’efflore la côte du sien sans le toucher. Et dans ce brouillard, au milieu de cette foule informe, il y a cette fille, Lara, qui danse avec le diable, et ce garçon, Noah, qui se perd avec elle.
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