Tommy ✻ take my hand

Ce n’était que maintenant qu’il réalisait ce qui était arrivé. Il avait tellement été submergé par l’instinct de survie qu’il n’avait pas eu le temps de traiter les évènements dans son esprit. Il avait vécu une catastrophe naturelle. Et Emma ouvrait la porte et il se rappelait qu’il n’était pas seul. Elle avait été là pendant tout ce temps à l’accompagner dans sa précipitation. Il avait tellement été occupé à regarder son corps se déplacer qu’il n’avait même pas remarqué la chambre qui leur avait été attribuée. Une pièce de colonie de vacances mais ça ne le dérangeait pas. Le grand luxe ça n’avait jamais vraiment été pour lui. ”Non, vas-y”, il lui répondait avant qu’elle ne disparaisse dans la salle de bain. Il se laissait conduire jusqu’au miroir. Il avait les cheveux bouclées ébouriffés et une légère barbe de trois jours qui témoignait de son laissez-aller dès le début du spring break. Sa joue gauche était dans un mauvais état et il pouvait deviner les plaies derrière les pansements. Il avait quelques tâches de sang et de saleté sur son t-shirt gris. Il y avait une petite fenêtre dans la chambre et il s’y dirigeait. Il faisait presque nuit mais il pouvait encore apercevoir les dégâts du séisme dehors. Il entendait encore les cris bourdonner dans ses oreilles. Il souhaitait pouvoir oublier ce qu’il avait vu mais c’était impossible. Il fermait les yeux pendant un moment, se concentrant sur le bruit de l’eau et il se retournait avant de s’asseoir sur le lit, celui du bas parce qu’il ne voulait pas vraiment monter pour le moment. Il attendait, les mains sur le visage, essayant tant bien que mal de gérer ses souvenirs tous frais.

Il lui offrait un petit sourire avant de se lever. Elle ajoutait qu’elle se sentait seule et il la regardait, adossé contre l’encadrement de la porte de la salle de bain en lui offrant un regard désolé. Ça allait sûrement être la même chose pour lui. Et puis il disparaissait dans la pièce. Il ôtait ses vêtements avant de faire couler l’eau chaude contre sa peau. Ça le faisait frissonner et il essayait d’arrêter de penser à ce qui avait bien pu arriver à ses proches en passant ses mains le long de son visage. Il frottait sa peau jusqu’à ne plus voir une trace de saleté, jusqu’à ce qu’il puisse oublier ce qui était arrivé mais il n’y arrivait pas. Ça tournait en boucle dans son crâne. Il n’avait pas pris très longtemps à se doucher, la solitude ne l’aidant pas vraiment. Il remettait son caleçon et son pantalon parce que le deuxième peignoir n’était pas vraiment propre non plus avant de laver son t-shirt. Il séchait rapidement ses cheveux avec une serviette avant de la laisser retomber autour de ses épaules. Quand il ouvrit la porte, elle était sur son téléphone. Et puis elle levait la tête et il se rendait compte qu’il était torse nu. ”Est-ce que ça te dérange?”, il demandait, un peu gêné. ”Il fait vraiment chaud dans cette chambre”, il expliquait, ce qui était loin d’être faux.

Emma ne lui avait jamais réellement souris avant ce moment. Oui, ils avaient échangé des petites sourires depuis qu’ils étaient en sécurité mais ils traduisaient seulement leur anxiété, leur envie de réconfort. Il ne l’avait pas remarqué auparavant mais elle avait un jolie sourire et il se disait que si le soir il fermait les yeux et qu’il revoyait les images de cet après-midi il allait les remplacer par son sourire. Elle le complimentait et il avait un tout petit rire. Il ne répondait pas parce qu’il avait toujours du mal à flatter son ego, sauf quand il blaguait, mais son regard lui disait merci. Il ne communiquait pas beaucoup avec les mots, il fallait dire. Et puis il la quittait des yeux et escaladait jusqu’à son lit avant de s’y allonger. L’air de rien, la fatigue ne retombait que maintenant que l’adrénaline était passée. ”Dis pas ça”, il disait doucement. Pour lui les femmes pouvaient faire ce qu’elles voulaient et il n’était personne pour les en empêcher. ”Tu peux faire ce que tu veux.” Il avait terriblement sommeil, ou peut-être que ce n’était que de la fatigue, mais il savait qu’il n’allait pas arriver à fermer les yeux. Alors, il fixait le plafond sans un mot, se concentrant sur le silence. Peut-être que si elle arrivait à dormir, il y arriverait lui aussi.

L’atmosphère était redevenue étrange tout d’un coup. Il ne savait pas si c’était le silence qui les accompagnait à présent ou le poids de ce qu’ils avaient vécu ensemble. C’était un sacré revirement de situation, aussi. Il y a quelques heures ils étaient destinés à se détester et puis leurs chemins s’étaient croisés. Dehors, ils pouvaient entendre l’agitation, les ambulances, les pleurs. À l’intérieur, il y avait le bourdonnement des moustiques, son propre souffle régulier et les rideaux qui bougeaient au rythme du vent parce qu’il avait laissé la fenêtre ouverte. Et puis elle brisait le silence et il lui en était reconnaissant. ”Hmm?”, il disait en remarquant une fissure sur le plafond. Alors, elle ne dormait pas. Ça le rassurait. Il ne voulait pas se détacher de sa compagnie, pas maintenant. Demain, ils allaient repartir et il ne la reverrait sûrement plus. Il laissait la serviette sur son lit et descendait avant de s’asseoir sur le lit d’Emma. ”Tu veux que j’aille te chercher quelque chose? Des glaçons?”, il demandait, en référence à sa cheville. Des volontaires avaient distribué des bouteilles d’eau pendant qu’ils attendaient dans le hall de l’hôtel mais il se rendait compte qu’ils n’avaient rien mangé depuis. Il n’avait pas faim de toute façon.

Il avait compris quand elle s’était redressée. Il ne savait pas vraiment quoi en penser et il ne cherchait pas à comprendre. Il avait un peu ressenti la même chose. Dès qu’il s’était assis, il avait souhaitait revenir en arrière et s’allonger à ses côtés à la place. Il avait su dès le début qu’il n’allait pas réussir à s’endormir tout seul. Pourtant, quand il la regardait placer ses cheveux derrière ses oreilles il n’était plus très sûr de vouloir s’endormir, sans insinuer autre chose, bien sûr. Quand elle lui disait qu’elle allait mieux, il avait du mal à sourire. Il ne savait pas vraiment à quoi elle jouait et la tension ne faisait que s’intensifier au fil des secondes. Tu es gentil. Ça ne lui faisait pas extrêmement plaisir comme remarque. Parce que parfois il était tellement gentil qu’on ne le voyait que comme ça et on se permettait de lui faire du mal. C’était ça qu’il y avait derrière sa carapace de gars mystérieux et impassible. Elle plongeait son regard dans le sien et il se rapprochait inconsciemment d’elle. Il pouvait voir le bleu de ses yeux même dans la nuit. Elle sentait le gel douche de l’hôtel à la vanille et il pouvait voir son épaule nue du coin de l’oeil. Tout d’un coup, le bruit dehors n’était plus tout à fait existant. Il allait s’avancer encore plus mais il se rappelait de la réaction qu’elle avait eu quand ils s’étaient attrapés la main. Il avait juste du mal à retirer les yeux de son visage.