Tommy ✻ take my hand

Le temps aide à oublier. La trahison, la colère, la peine. C’est un fait. Tom avait passé de mauvaises vacances et si ses émotions n’étaient pas aussi intenses que ces derniers jours, elles n’avaient pas disparu pour autant. Il ne restait rien pour la fin du spring break alors il avait suivi un groupe jusqu’aux îles de Pacques. Tout derrière, il traînait des pieds, la gueule de bois lui faisait un peu tourner la tête. Et puis il sentait comme une secousse et puis des cris. Il avait cru les imaginer au début, mais c’était réel. Une main s’agrippait à son bras et il se retournait. Il pris une seconde pour la reconnaitre, son regard n’était pas autant rempli de peur la dernière fois. Ils étaient prêts de la mer, il y avait un risque de tsunami, et les pierres se mettaient à rouler à leurs pieds. Fout le camp. Et ne la laisse pas tomber. Dans tous les sens du terme. ”Ne me lâche pas”, il criait avant de se mettre à courir, levant le bras pour glisser sa main jusqu’à la sienne histoire de mieux l’attraper. Ils ne s’appréciaient peut-être pas mais ce n’était pas le moment de faire les durs. Un panneau d’indication s’effondrait devant eux et il s’arrêta brusquement devant elle avant de le contourner et de continuer sa course.

Il n’avait pas eu le temps de sentir ses doigts entrelacés avec les siens. Il n’arrivait même pas encore à se rendre compte de la situation ou de son ampleur. C’était presque apocalyptique quand on y pense. Les cris, les pleurs, les gens qui courraient, la terre qui tremblait. Un truc qui n’arrive que dans les films. Un truc qui ne semblait pas pouvoir arriver en vrai. Surtout quand on a passé les précédentes journées à boire. À chaque pas qu’il faisait, il se promettait de ne pas l’abandonner. Elle était un peu étrange comme fille. Elle ne l’avait jamais vraiment aimé, pour une raison qui lui échappait. Elle le regardait toujours de travers alors il n’avait jamais vraiment cherché à l’apprécier, non plus. Mais elle était coincée et il ne pouvait pas se résoudre à la laisser derrière lui. ”Non”, il lui disait en la fixant avant d’attraper sa jambe, essayant tant bien que mal de la dégager du trou. Derrière lui il pouvait entendre des choses tomber, des personnes leur hurler de bouger parce qu’il y avait trop de choses autour d’eux et qu’ils étaient en danger. Quelque chose avait écorché sa joue, une branche d’arbre peut-être, il n’avait même pas levé le regard, trop concentré. Il pouvait sentir le sang, par contre. Il criait un peu sous l’effet de l’effort mais il arrivait enfin à libérer son pied. ”Tu as mal? Tu peux courir?” Il était déterminé à ne pas la laisser.

Tommy, c’était dans sa nature. La compassion, l’empathie. Alors oui, il était prêt à venir en aide à une fille dont il se foutait pas mal il y a de ça quelques minutes, quitte à risquer sa propre vie. Il avait pensé à aller chercher sa chaussure au fond du trou mais c’était une cause perdue et ils n’avaient pas le temps. Il lui tendait la main pour qu’elle puisse se relever avant de se remettre à marcher. Seulement, elle était un peu lente et il se disait qu’elle avait sûrement mal mais qu’elle ne voulait pas le lui dire. ”Tu es sûre que ça va?” Il pouvait la porter. Courir, c’était ce qu’il savait faire, ce qu’il connaissait le mieux. Il avait été sprinteur et champion du monde alors il était rapide, très rapide. Dès le début il avait adapté sa course à celle d’Emma pour qu’elle puisse le suivre. ”Bientôt, j’espère”, il criait au-dessus du bruit. Ce n’était pas un petit séisme, il pouvait le sentir. Mais ça ne pouvait pas durer très longtemps, pas vrai? Une femme avait trébuché devant lui et il l’aidait à se relever avant qu’elle ne se remette à courir sans même lui adresser un regard. Il tirait Emma un peu plus vers lui, essayant tant bien que mal de se frayer un passage au milieu de la foule.

Parfois, c’était facile de prendre les bonnes décisions. Il n’y réfléchissait pas à deux fois, venir en aide aux autres était sa priorité. Pourtant, il n’était pas parfait, Tommy. Il ne montrait aucune émotion, il vous énervait à coup d’indifférence et de je-m’en-foutisme, vous détruisait en regard froid et en mots sanglants dès que vous osiez le contrarier. Il se faufilait au milieu des personnes affolées, tentant de garder son sang-froid pour lui mais aussi pour Emma dont la main tremblait. Et puis le séisme semblait enfin s’arrêter et il soufflait. Il lâchait la main d’Emma avant de se retourner vers elle. Elle le prenait dans ses bras et il restait paralysé pendant un moment. Déjà parce qu’il ne s’attendait pas à ça de sa part mais aussi parce qu’il n’était pas tellement expressif ou tactile comme gars, mais il finissait par enrouler ses bras autour d’elle. Il ne se rendait compte que maintenant de ce qu’il s’était passé, il pensait à sa jumelle, si elle était en sécurité elle aussi, si quelque chose lui été arrivé et ce n’était que maintenant qu’il commençait à flipper. Il souriait à ses paroles. Il ne savait pas vraiment s’il l’avait sauvé, elle aurait sûrement pu se débrouiller toute seule mais il ne regrettait en aucun cas son geste. Elle se détachait de lui et il lui souriait en la regardant. Et puis il sentait à nouveau le sang sur sa joue. Il portait sa main à sa peau, l’entaille était un peu plus profonde que ce qu’il pensait. Il s’en occupera plus tard. ”Em…il faut faire quelque chose à ta cheville avant que ça n'enfle”, son état allait sûrement s’aggraver. ”Dis le moi si t’as mal”, il continuait avant de se baisser et d’exercer une petite pression par-dessus sa chaussette.

Le sang ne la rendait pas confortable. Il pouvait reconnaître du dégoût quand il en voyait. Il devait sûrement beaucoup saigner. Elle criait et il était presque sûr de ce que c’était. ”Je crois que c’est une entorse”, il disait et elle venait essuyer sa joue avec un bout de son t-shirt. Ça changeait un peu des gens à Harvard qui vénéraient leurs habits de marque. Il la regardait faire, les yeux ne quittant pas son visage. Et puis il attrapait le tissu de sa main pour qu’elle n’ait pas à voir le sang. ”Reste ici, j’arrive.” Les personnes s’étaient regroupées autour d’eux. Il fallait croire que certains avaient été assez rapide pour aller jusqu’aux bus avant de ramener les trousses de secours. Il se frayait un passage dans la foule et piquait un bandage élastique dans le tas avant de revenir vers Emma. Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire pour sa joue, alors il pressait le tissu contre sa peau, en espérant que ça ne s’infecte pas. Il s’accroupissait avant de retirer la chaussette de la jeune femme. Il s’était déjà fait plusieurs entorses quand il était encore sprinteur, il savait comment les traiter. Il enroulait doucement le bandage autour de sa cheville, faisant attention à ne pas lui faire mal, avant de se lever et de s’asseoir à côté d’elle. ”J’arrive pas à y croire”, il murmurait en voyant les gens devant eux.