Exposé : Alie-Jane Lovat Fraser

 Bien entendu, Noah était quelqu'un de froid, de distant, très porté sur les apparences et l'attitude. Son air hautain et arrogant étaient tout autant de masque qu'il portait pour ne pas se laisser approcher de trop près. Il était convaincu qu'en gardant cette distance là, qu'en passant pour un sot, imbécile, présomptueux et manipulateur, les gens le fuiraient. Ainsi, il n'aurait pas à s'attacher. Ainsi, il ne serait pas blesser.

De plus, il n'en restait pas moins un homme, avec toute la testostérone, l'adrénaline, et le manque d'endorphine que cela entraine. Il trouvait Alie-Jane très jolie, et malgré ses premiers a priori, elle semblait en réalité, plutôt sûre d'elle et affirmée, ce qui était loin de lui déplaire.
"Tu crois ça toi ?", Noah ne pu s’empêcher d'esquisser un sourire en coin lorsqu'elle lui eut posé cette question, et la regardait dans les yeux en acquiesçant. Un regard plus amusé que sérieux, qui voulait dire, "j'en suis presque certain".

Jouer aux pirates ? Quelle idée. Alors, il repensa au film Pirate des Caraïbes, et pour rebondir sur sa référence, il lui lança une réplique de Jack Sparrow, en l'adaptant à lui-même, et au contexte : "Je suis une canaille, un maudit pirate ! Trinquons ma jolie". Sitôt fait, il haussa les épaules en riant, et s'adossa plus à sa chaise, de manière à prendre de l'ampleur, et à ne pas se recroqueviller.

Il la regarda avant de répondre : "Nouveau, et libre comme l'air, si c'est la question que tu te pose".
Noah sourit. Peu importe le fait de passer pour un séducteur, après tout, il l'était, et préférait jouer le jeu à fond, ne pas lésiner sur les sous-entendus.

"Au fait", il se baissa, attrapa son sac, et en sortie quelques feuilles, "comme je ne savais pas avec qui j'allais devoir travailler, et que je craignais de tomber sur un rustre illettré, j'ai pris de l'avance sur l'exposé. J'avais déjà étudié ça au lycée en Hollande", il lui tendit les trois pages qu'il avait rédigé. Puis, s'accouda sur la table, se rapprocha d'elle, et reprit sa voix suave, légèrement teintée de taquinerie : "Comme ça, si tu ne veux pas te joindre à moi pour travailler notre exposé dans un bar, tu pourras toujours le faire pour me remercier, au moins".
 

 L'ambiance s'était adoucie. C'était même, en réalité, presque agréable de se retrouver ici. Lui qui pensait s'ennuyer à en mourir en travaillant sur cet exposé, se retrouvait finalement à plaisanter avec une jeune inconnue qui était loin d'être désagréable à regarder.

"Tu vas sûrement trouver de jolies nanas ici. Les filles se battent pour avoir les mecs ici". Noah haussa les épaules en signe de désaprobation et de désintérêt, avant de répondre : "Les filles se battent pour avoir des mecs ?", il fit une mou étonnée avant de reprendre : "Tu crois vraiment que ce genre de fille puisse intéresser un garçon comme moi ? Ou n'importe quel garçon qui se respecte ? Je veux dire ... d'une part, ça veut dire qu'elle ne choisisse pas le garçon en question pour ce qu'il est, mais uniquement par défaut. Et personnellement, ça ne me t'intéresse pas ce genre de relation, je ne suis là ni pour combler les vides, ni pour boucher les trous ...". Il marqua un petit temps de pose lorsqu'il se rendit compte de la vulgarité des propos qu'il venait de tenir. Il fit comme ci de rien n'était, et repris : "D'autre part, si toutes se battent pour des mecs comme tu dis, et qu'elles se retrouvent seule, c'est qu'aucun mec avant moi n'aura voulu d'elles. Alors pourquoi j'en voudrais ?". Il haussa les épaules avant d'ajouter : "Non, je crois que je préfère encore me contenter de regarder, même s'il ne se passe rien". Il sourit en dévisageant la jeune fille.

Noah aimait séduire, mais pas chasser comme un vulgaire animal. La nuance entre les deux mots était fragile, mais claire : collectionner les filles sans se souvenir ni de leur prénom, ni de leur visage, ça ne l'intéressait absolument pas. Au contraire, Noah était attiré, profondément attiré, par la beauté qu'il décelait en toute chose : si une jeune fille qu'il ne connaissait pas avait une voix qui le transportait, il allait la séduire. Si elle sentait un parfum originale et singulier qu'il n'avait jamais senti auparavant, il allait la séduire. Il aimait se souvenir des détails. Ce n'était pas un collectionneur de femmes, mais un collectionneur d'émotions. Alors, pour lui, les relations ou le sexe sans piquant, sans un élément qui le transcendait, ça ne servait à rien. Il aimait que chacune de ses relations soit particulière. Aussi, il portait autant de tendresse et d'admiration aux coups d'un soir, qu'aux longues relations. Chacune à sa façon lui avait apporté quelque chose de particulier, et c'était tout ce qui l'intéressait.

Elle regarda son travail et lui dit : "Tu es un étudiant modèle, toi". Noah répondit : "Quand j'ai quelque chose à faire je le fais bien. Et pour que ce soit bien fait, je préfère le faire moi-même, voilà tout", un léger ton sarcastique dans sa voix laissait entrevoir tout l'éclat de son arrogance.
 

 

Noah, de toute sa prestance, était décidé à ne se laisser déstabiliser par rien, absolument rien du tout. Il regardait la jeune fille qui semblait assez pensive, comme si d’autres choses lui trottaient dans la tête, complètement extérieures à la situation actuelle. Il n’en fit aucune remarque, après tout, chacun était libre de cultiver son jardin secret, avant de répondre à sa question : « Je crois que le mot –séduire- a une mauvaise connotation. Non, je dirais que ce que j’aime c’est persuader une fille, pas n’importe laquelle, une fille qui aura pour moi des qualités qu’aucune autre n’a. La persuader de passer du temps avec moi, la persuader de me porter de l’intérêt, et finir par la convaincre qu’elle est quelqu’un de particulier qui n’a rien à envier aux autres. En fait, le schéma est un peu inversé : on a l’impression qu’un séducteur, c’est lui qui chasse, moi ce qui me plait, ce n’est pas chasser. C’est laisser l’autre me domestiquer en la persuadant du fait que je vaux la peine. Je ne suis pas un renard, je suis un chat. ».

C’était toujours compliqué d’entrer dans les détails de ses émotions avec Noah parce qu’il avait une vision des choses propres et inédites qu’il avait énormément de mal à faire comprendre aux autres. Sa manière à lui d’être libre était de construire ses propres schémas d’action, comme en amour, et comme en séduction : « Par exemple, si je t’ai invité à boire un verre avec moi, ce n’est pas parce que j’ai dans l’idée de coucher avec toi à tout prix. Pour tout te dire, le sexe je n’y pense jamais en premier. Si je t’ai invité à boire un verre avec moi, c’est pour te montrer, qu’en dehors de ce cadre, je peux être quelqu’un de sympa, et que tu aurais tord de ne pas t’intéresser à moi ». Il gardait un air froid et distant en disant cela, tout en esquissant légèrement un sourire entendu en coin.

Enfin, la jeune fille sembla s’énerver du fait qu’il avait fait le travail lui-même. Évidemment il n’avait pas confiance en ses camarades, surtout quand il n’avait aucune idée de sur qui il allait tomber. Il ne s’énerva pas, n’entra pas dans son jeu, au contraire, gardait la même attitude impassible qui l’habillait bien plus que son costume : « Pour commencer, je n’avais aucune idée d’avec qui j’allais devoir travailler, alors j’ai préféré prendre mes précautions. Et enfin, comme en séduction, à toi de me persuader que je ferais mieux de déchirer ces feuilles et que j’aurais plus à y gagner à travailler avec toi ». Il lui lança un léger regard malicieux, avant de s’adosser à sa chaise, les bras croisés sur son torse.

 

Marketing ? Noah n’aurais jamais pu étudier le marketing, c’était l’art de convaincre quelqu’un de vouloir acheter quelque chose dont il n’avait pas besoin. Sa vision de la persuasion était complètement différente : il voulait faire comprendre, et non pas faire croire, à la fille qu’elle a effectivement besoin de lui. Ce n’est pas une vérité potentielle, mais avérée. Il ne crée pas une illusion, il met en exergue une réalité, c’est là toute la différence avec le marketing : « Tu te trompe, marketing c’est très superficiel. On invente le besoin, on te fait croire à une illusion, on commande tes désirs. Ce dont je te parle moi n’a rien à voir : le besoin existe déjà, je ne le crée pas, je force seulement mon interlocutrice à en prendre conscience et à le regarder en face ». L'air arrogant et sur de lui, il sourit avant d’ajouter : « Tu vois, c’est exactement comme les relations internationales, et c’est pour ça que je me sens bien dans cette filière. Les Etats soit se font la guerre ouvertement, soit subtilement, en tentant, par le biais de la diplomatie, de se persuader qu’ils ont besoin les uns des autres. C’est tout l’art de la négociation et de la guerre ». Il haussa les épaules avant d’ajouter sur le ton de la plaisanterie : « Et puis, je te rappelle que Napoléon disait – En amour, comme à la guerre, pour en finir il faut se voir de prés – c’est bien que ma vision des choses s’apparente plus aux relations internationales qu’au marketing, cet espèce de sport de charlatan ».

Noah fut agréablement surpris et eut un sourire en coin satisfait en voyant la jeune fille sortir son ordinateur et se mettre au travail. Elle voulait faire ses preuves, et c’était tout à son honneur. Vraiment un trait de caractère que Noah appréciait chez les femmes : ce côté combatif, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, et qui te remet à ta place catégoriquement. Il ne dit plus rien pour la laisser se concentrer, se contentant d’attraper un livre et commençant à en feuilleter la table des matières.

Finalement, cet exposé s’avérait être bien moins agaçant qu’il ne l’avait pensé au départ. Sa partenaire de cours était plutôt intéressante et Noah fut agréablement surpris par son attitude. Il appréciait énormément l’indépendance et la force de caractère. Cette jeune fille ne s’était pas simplement contenter de remercier Noah et de satisfaire de son travail, non, elle tenait au contraire à accomplir sa part du marché, et c’était clairement tout à son honneur. Une dizaine de minutes passées, Noah laissa la jeune fille travailler à son rythme, jetant des coups d’œil en biais à son visage concentré et ses sourcils froncés de temps à autre. Lui, continuait de feuilleter un livre qu’il trouvait intéressant mais sans plus, lorsque Alie-Jane lui tendit le papier qu’elle venait de griffonner. Noah le prit avec le sourire et ne dire rien pendant quelques deux minutes, le temps de lire tranquillement et de réfléchir dessus. Une fois terminé, il tourne le visage vers la jeune fille en souriant avant de lui tendre le papier : « J’aurais préféré te dire que c’était nul et erroné manière de passer un peu plus de temps avec toi mais … je dois admettre que c’est bien vu. Je te félicite. », ne voulant pas totalement admettre qu’il n’avait pas tout fait lui-même à la perfection. Il se redressa dans son siège avant d’ajouter : « Bon, je crois que notre exposé est officiellement terminé. Il ne me reste plus qu’à trouver en cinq secondes un prétexte pour que tu reste et un sujet de conversation », dit-il sur le ton de la plaisanterie en la regardant.