(+ Konrad) Oh malheur !

Je venais de terminer mon dernier cours de la journée, il était à peu près cinq heures de l’après-midi et il me tardait de me vautrer dans mon lit tant la journée avait été rude bien qu’entrecoupée de dessins, rêveries et autres choseries du genre. Je ne pensais pas que j’aurais autant aimé les études universitaires mais la réalité était bien là sous mes yeux. Je m’y plaisais ! Par ailleurs, je m’étais découvert une ambition sans faille et désormais, je me sentais presque investie d’une mission celle d’être la meilleure que ce soit en styliste mais aussi au sein de ma petite entreprise de traiteur. A peine vingt et un an que je me lançais dans la vie active et cela dans le plus grand secret de ma grand-mère. Elle n’aurait pas compris et m’aurait de suite dit que je devais cesser de croire à mes rêveries pour mieux rester à ma place à savoir une employée de maison à qui l’on avait offert ses études universitaires. Un simple cadeau. Et bien non, pour moi, il s’agissait d’une bénédiction, d’un tremplin vers un avenir meilleur, plus ensoleillé. « Oh pardon ! » marmonnais-je d’un coup en butant dans un corps masculin bien charpenté car je terminais sur les fesses. Pourquoi je courrais aussi dans les couloirs ?! « Je suis désolée, je ne regardais pas où j’allais... » continuais-je de baragouiner en ramassant tous mes croquis et pas seulement ceux de mes créations mais aussi toutes les esquisses de… l’homme se trouvant en face de moi ! « OH NON REGARDEZ PAS ! » m’écriais-je aussitôt mais il était trop tard.

Dessiner était une de mes passions que ce soit pour confectionner des modèles de tenue ou simplement pour croquer le monde m’entourant. Dernièrement, je m’étais pris de passion pour un modèle masculin. Je ne connaissais pas son nom et encore moins du reste de sa vie mais je le trouvais beau. Si beau que j’en avais fait ma muse, ma source d’inspiration. Je crois que je l’avais croqué sous tous les angles et dans toutes les postures. Je ne comprenais pas l’engouement que j’avais pour cette personne mais j’aimais la dessiner, cela me détendait. Et de la décontraction, c’était justement ce qui me manquait à l’heure actuelle alors que je me remettais péniblement sur mes pieds pour mieux m’apercevoir que l’objet de mes pensées se trouvait pile devant moi et qu’en prime, il tenait à la main un de mes croquis. Je devais certainement être blanche comme un cachet d’aspirine sous le stress. Et s’il le prenait mal ? Et s’il pensait avoir à faire à une désaxée complétement bonne à enfermer, une harceleuse sur le retour ?! « C’est pas ce que tu crois ! » protestais-je mollement en baissant la tête, intimidée d’être en sa présence. « Je.. ça va faire un peu plus d’un an… S’il te plait, ne te mets pas en colère contre moi » le suppliais-je tandis que mes yeux s’humidifiaient dangereusement sous le stress. Le pauvre, il allait s’apercevoir bien vite que j’étais une gaffeuse émotive.

Il le prenait mal, j’aurais dû m’en douter. Il n’y avait pas grand monde qui pouvait comprendre le besoin de croquer tout ce qui m’entourait, de me repaitre de la beauté extérieure à défaut de voir celle intérieure. Je ne connaissais pas ce garçon mais une chose était certaine, nous n’allions pas devenir amis. Je craignais même qu’il m’en colle une vu qu’il semblait s’énerver de plus en plus contre moi. « J’ai pas commis un crime horrible non plus ! » protestais-je vivement en essuyant les larmes qui coulaient sur mes joues. Je n’aimais pas les conflits mais même si j’étais une jeune femme douce et timide, je n’en avais pas moins un petit caractère et cet homme risquait de le découvrir s’il me poussait à bout. Pour l’heure, je me sentais bien trop en faute pour sortir les griffes. « J’aurais pu te dessiner avec des cornes du diable et je ne l’ai pas fait. Je me suis juste servi de toi comme modèle, je ne vois pas où est le mal ! » ajoutais-je en me relevant, attrapant le croquis qu’il avait dans les mains pour mieux qu’il rejoigne les autres que je serrais comme une forcenée contre ma poitrine. « Quand je disais que ce n’était pas ce que tu croyais, je voulais dire par là que je ne suis pas une psychopathe, que je n’ai pas un autel à ton image dans ma chambre universitaire. Je te dessine c’est tout et si je te trouvais beau et bien je viens de changer d’avis ! » lui dis-je en toute innocence révoltée d’être ainsi bousculée.

Je me sentais mal, coupable alors qu’à mon sens, je n’avais rien commis de désastreux. J’avais très certainement choisi la mauvaise personne comme modèle mais je ne voyais pas vraiment pourquoi, il s’énervait autant après moi. Sans me jeter des fleurs, je dessinais très bien alors je ne sais pas, il aurait très bien pu se sentir honoré ou flatté qu’on puisse le considérer comme un modèle. Non, lui, il me criait dessus comme si j’avais essayé de le violer. Je soupirais intérieurement, essayant d’arrêter de trembler de la tête aux pieds devant lui mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Je n’aimais tellement pas m’afficher que la scène qu’il me faisait devant témoin me mettait plus bas que terre. Or, je me connaissais pour savoir que c’était justement dans ces moments-là que mon caractère refaisait surface. « Tu veux m’offrir un café ? » clignais-je des yeux en le regardant avec surprise teintée d’incrédulité. Je m’approchais donc de lui, jusqu’à coller mon visage à quelques centimètres du siens, plongeant mon regard interrogateur dans le siens. « Tu es difficile à suivre ! » boudais-je à moitié avant de me mordiller la lèvre tout en penchant la tête sur le côté. « D’accord… On peut essayer de voir si tu peux redevenir un prince et non une bête à mes yeux… Je suis Mikha et toi ? »

Décidément, je ne savais pas sur quel pied danser en sa présence. Un coup, il me hurlait à moitié dessus et l’instant d’après, il redevenait aussi doux qu’un agneau bien qu’il me faisait bien plus penser à un loup dans une bergerie. Il se présenta. Il s’appelait donc Konrad. D’ailleurs, il fut étonné que je ne le connaisse pas le moins du monde. J’haussais les épaules avec un sourire adorable. « Je ne fais pas attention aux racontars et puis, je ne suis là que depuis l’année dernière… Pourquoi tu es une vedette ici ? » fronçais-je les sourcils sans me douter une seule seconde que je me trouvais en présence d’un serial séducteur pour ne pas dire quelque chose de plus cru. « Si mes dessins te dérangent, je peux te promettre d’arrêter et de trouver un autre modèle. Je ne veux pas te gêner ou t’énerver à nouveau » lâchais-je avec une petite moue tandis que je le remerciais pour les croquis qu’il venait de ramasser. « On va se boire ce café ? » osais-je timidement lui demander avant de lui sourire plus franchement. L’orage semblait s’être calmé mais je restais sur mes gardes, juste au cas où. Après tout, il pouvait chercher à m’attirer dans un coin paumé et… Et rien en fait, je me faisais encore des films toute seule comme une grande. « Pour revenir à toi, je sais une seule chose : tu es un Mather. C’est la seule chose que je sais car je te dessinais, je n’enquêtais pas sur toi » avouais-je. Autant dire qu’avec moi, il partait avec un casier vierge.