(+Anna) D.e.C.o. ou l'Art de se trouver des meubles

« Tact ma chérie, tac ! » rigolais-je car Anna oubliait parfois que toutes les choses n’étaient pas à dire de façon aussi brute de décoffrage. Bon sang, elle s’entendrait bien avec mon gendre bien que techniquement, Thaïs ignorait toujours notre lien de parenté. Mon dieu, j’allais devenir à nouveau père tout en étant bientôt grand-père. Malheur, j’allais me taper une crise de la quarantaine avant l’heure avec toutes ces conneries. « Je n’ai pas dit que tu avais dit quelque chose de méchant mais des fois, ça serait bien que tu enrobes un peu les choses pour ménager les autres et surtout mon petit cœur tout fragile ! » répondis-je calmement avant de déposer un chaste baiser sur ses lèvres. « Alors je deviendrai son père si c’est ce que tu veux car je vous aime toutes les deux mais… tu accepterais un jour que nous ayons un enfant ensemble également ? Je veux dire biologiquement parlant. »

« Je suis russe je te rappelle ! Le tact… je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire en dehors de mon boulot ! » protesta-t-elle car autant pour annoncer des atrocités à ses patients elle pouvait englober les choses dans des tonnes de sucre, autant elle peinait diablement à faire preuve d’humanité en règle générale, dans sa vie privée. On ne lui avait pas vraiment appris. « Entre toi qui englobe parfois trop les choses et moi pas assez, on fait une moyenne, non ? Je ne sais pas faire moi. Je préfère demander les choses directement, je ne vois pas où c’est choquant. Après tout, c’est dans la logique des choses, non ? On vit ensemble, la puce t’adore… je sais que tu seras le meilleur des pères pour elle. » Même si Anna déglutit avec difficulté lorsqu’il lui proposa à son tour quelque chose. « Tu veux que l’on ait un autre enfant ? »

« M’en parle pas, je te signale que je mange du russe depuis des années et des années quoique j’ai de la chance, Nico’ est ambassadeur donc il sait faire preuve de tact du moins quand il le veut ! » rétorquais-je avant que j’ose lui poser la question qui me brûlait les lèvres depuis que je vivais avec Anna et Moïra. J’adorais réellement sa fille et je serais le plus heureux des hommes en devenant son père mais je voulais également pouvoir connaitre les joies de la paternité avec Anna en lui faisant un enfant. « J’aimerai oui. Je sais que tu n’as pas un souvenir grandiose de ta première grossesse mais nous deux, ça sera différent non ? J’apprendrai à faire à manger pour te soulager mais oui, j’ai envie d’avoir un enfant avec toi mais j’en mourrais pas si jamais tu ne voulais pas » m’empressais-je de lui répondre même si c’était un mensonge en soi.

« Il faudrait que je le rencontre d’ailleurs, je suis sûre que je vais m’entendre avec lui ! » rétorqua-t-elle avec amusement bien qu’Anna connaissait également Thaïs, l’extravertie par excellence et qu’elle l’adorait. Cette dernière l’humanisait bien au-delà des mots et à son contact, la jolie russe avait réellement l’impression d’évoluer dans le bon sens… tout comme c’était vrai en présence de Sam, d’ailleurs. « Tu sais que tu mens extrêmement mal, Samuel ? » Anna se plaça juste devant lui, à quelques millimètres à peine tout en ne le lâchant pas du regard, bien que ses yeux soient bien plus doux que d’habitude. « Pour être honnête j’en ai bien envie aussi. Mais… il faudra que tu me donnes un sérieux coup de main car je ne pourrais pas gérer deux boulots plus la tenue de la maison et la petite toute seule en même temps qu’une grossesse. Mais si tu es prêt à m’aider… je veux que l’on tente. »

Mentir n’avait jamais été mon fort. Je ne savais pas mentir, j’étais pour ainsi dire quelqu’un de franc ou alors un génie dans l’art d’esquiver les choses ou de les arranger à ma guise. Sur ce sujet, je ne pouvais pas mentir car cela me tenait à cœur. « Mais petit cœur, pourquoi tu prends deux jobs ? Je veux dire maintenant que nous sommes tous les deux, ce n’est pas comme si tu avais tout à gérer. Je sais tu as deux prêts à rembourser mais tu te surcharges de trop. Je pourrais t’en rembourser un sur les deux… » tentais-je à défaut de sortir le chéquier et de lui rembourser la totalité de ses dettes mais je connaissais Anna pour savoir qu’elle refuserait. « Voyons déjà comment nous arrivons à gérer notre quotidien entre notre couple et Moïra… Rien n’est pressé et puis je ne veux pas si c’est pour que tu finisses totalement sur les rotules. Il n’y a pas encore de place pour un deuxième enfant dans notre vie » me transformais-je en voix de la raison.

« Pourquoi je prends deux jobs ? Tout simplement parce que je ne veux pas me reposer sur toi. C’est peut-être stupide, ce n’est pas un problème de confiance mais je veux être indépendante. Fut un temps où je ne l’étais pas et quand je vois où ça m’a conduite… je préfère avoir deux jobs et m’épuiser mais rembourser mes prêts plutôt que de vivre à tes crochets » précisa-t-elle aussitôt, reprenant un ton sérieux puisque Samuel semblait être décidé à parler avec raison de leur avenir. D’ailleurs, sa réaction la surprit bien au-delà des mots, elle était si peu habituée à ce qu’il fasse preuve d’autant de raison que quelques minutes durant, la surprise marqua les beaux traits de son visage. « Mais je ne suis pas sur les rotules, je te signale. J’ai l’habitude de dormir très peu et de gérer cinquante trucs en même temps, la fac de médecine me l’a appris. N’avais-tu pas hâte ? »

« Comme tu voudras mais sache que la proposition tiendra toujours » soupirais-je car d’un côté, je ne pouvais que saluer le fait qu’elle veuille se débrouiller par elle-même mais d’un autre côté, j’étais frustré. Nous pourrions être bien tous les deux sans soucis d’argent. « Disons que oui, j’aimerai bien mais je n’ai pas envie que ça devienne une obligation pour autant. Je veux dire, tu es peut-être habituée à gérer quarante-six mille trucs mais moi, je n’ai pas envie de prendre rendez-vous avec toi pour passer un temps en amoureux. Nous attendrons que les choses se tassent… Bon, on va voir les cuisines ? » terminais-je à ma façon la conversation car je ne voyais pas vraiment comment elle allait pouvoir gérer deux boulots, un enfant en bas âge, un petit-ami alors si en prime, on rajoutait une grossesse…Non, je ne voulais pas jouer les égoïstes de service pour au final, qu’elle n’ait plus aucun temps pour elle.

« Je sais et si vraiment je m’estime coincée crois-moi tu en seras le premier informé » précisa-t-elle aussitôt avant qu’il ne mette la lumière sur ce qu’il pensait réellement et bien qu’il tenta de se concentrer à nouveau sur le fait d’équiper leur cuisine, Anna ne l’entendait pas de cette oreille : elle préférait de loin finir la conversation ici et maintenant plutôt que de la ruminer. « Mais qui a parlé d’obligation ? Depuis que tu as évoqué le fait que tu veuilles une famille nombreuse tu pars du principe que je vais prendre ça pour une obligation, pourquoi ? Et puis jusqu’à preuve du contraire tu n’as pas eu à prendre rendez-vous pour me voir… à moins que tu ne t’estimes brimé ? Samuel pour le moment on s’en tape de la cuisine je veux que tu me dises ce que tu penses réellement ici, maintenant et pas dans cinquante minutes ou jamais. »

« Je n’ai pas dit que je me sentais brimé mais nous sommes tous les deux actifs dans notre vie professionnelle et il se pourrait bien qu’à un moment donné, cela coince. Tu me l’as dit toi-même, tu accumules deux jobs alors quand tu devras cumuler tes gardes ainsi que tes cours, je ne suis pas certain que tu trouves le courage de sortir avec moi ou même d’élever deux enfants en bas âge. Nous pouvons attendre les quatre/cinq ans de Moïra quand elle sera plus ou moins autonome. On est pas obligé de faire un enfant tout de suite » lui répondis-je en glissant mon bras autour de sa taille. « Allez viens, on va pas rester plantés comme deux idiots au milieu d’un rayon et puis, il me tarde qu’on choisisse le reste des meubles pour emménager dans notre nouvelle maison » retentais-je une nouvelle fois de changer de sujet.

A vrai dire, il n’était pas du genre d’Anna de prévoir les choses à long terme. Elle vivait au jour le jour sans se préoccuper du lendemain mais la raison d’une telle philosophie de vie, elle n’avait aucune espèce d’envie de la confier, pas même à Samuel, alors qu’il était l’être en qui elle avait le plus confiance. « Tu seras sûrement plus longtemps absent que moi si tu pars régulièrement faire des fouilles… je ne dis pas qu’il faut que l’on fasse à tout prix un enfant maintenant mais je veux juste que tu t’ôtes de la tête que c’est une obligation pour moi. Quand je dis oui, c’est oui, il n’y a pas à revenir dessus. » Ceci dit, Anna mit temporairement de côté cette discussion sans quoi ils allaient probablement finir par s’engueuler et elle ne le souhaitait pas. « Tu penses que l’on a vraiment besoin de meubles de cuisine, ceux que j’ai dans la mienne ne suffisent pas ? »