Infinities of future unforetold ─ Dorothy & Archer

Dottie revenait dans sa vie, avec un clin d'oeil et des éclats de rire légers. Archer appréciait ce petit chamboulement dans son quotidien routinier. Depuis plus d'un an et demi, la solitude avait été sa seule compagnie entre les murs de ses différents lieux de résidence. Il n'éprouvait pas le besoin de bouleverser ce silence auquel il était habitué, mais il choisissait toujours quand le rompre. Croiser Dorothy en ce jour, à cet endroit et dans cette ville, était une opportunité pour lui, pour elle ─ pour eux. Et le nier aurait été mentir. Elle riait encore, emplissait le silence du bord de la rivière d'un rire qu'il appréciait comme on savour les premiers rayons de soleil d'une belle journée ; mais il regardait toujours l'horizon, lui. Il observait le mouvement de l'eau, un peu songeur et calme, comme à son habitude. Jusqu'à ce qu'elle l'interpelle.
Une simple requête, mais une inattendue. Archer se tourna légèrement pour pouvoir la regarder. Lie down with me. Il ne se l'expliquait pas, mais il était convaincu qu'il y avait dans cette requête un sens plus profond que juste s'allonger à ses côtés. Alors il la regarda pendant quelques secondes, en silence, comme pour avoir la confirmation qu'elle souhaitait réellement ce qu'elle venait de lui proposer. Par le passé, ces mots avaient déjà été prononcés, et il savait qu'elle s'en rappelait aussi bien que lui. Leur dernier soir, leurs derniers ébats. Il s'était levé pour se préparer, car chaque chose avait une fin et un vol aller sans retour l'attendait plus tard dans la journée. Il était incapable d'oublier le regard qu'elle avait eut après avoir prononcé ces mots. Elle avait souffert ─ beaucoup, il le savait. Un vain espoir, une rêverie qu'il plaque tout pour rester avec elle, quand bien même il avait toujours été clair qu'il ne le ferait pas. Il avait refusé, pour des raisons évidentes ; il s'était juste assis sur le côté du lit, avait caressé son visage et embrassé son front. I have to go. Il ne s'était pas rallongé, ce jour-là ; et quelques heures après, il avait mis les voiles pour la côte ouest.
Et aujourd'hui ? Comptait-il s'allonger à ses côtés, répondre positivement à sa requête ? Le regard sombre de l'ancien agent pivota sur le chien, docile mais content ; puis sur Dottie à nouveau. Archer se pencha alors vers l'arrière, allant se poser sur son coude. À moitié allongé, mais pas complètement. « Do I have Duke's approval to lie down with you? If yes, then I will. » Une façon détournée de renforcer la symbolisme de la requête, mais de prendre en compte son consentement et la présence d'autres priorités que lui dans sa vie. Oui, il s'allongerait avec elle, encore et encore, tant qu'elle le voulait, et qu'il ne causerait pas de remous. Lui comme elle ne pouvaient nier l'évidence ; rien de ce qu'ils se disaient n'était le début d'une nouvelle histoire. Ils continuaient celle qu'ils avaient déjà commencé. Dottie & Archer, Tome 2.

C’était un jeu dangereux qui se dessinait, et qui pouvait bien déraper en une fraction de seconde. Les paramètres étaient à peu près les mêmes que la première fois qu’ils s’y étaient prêtés. Les gains étaient les mêmes; les pertes aussi. Pari risqué. Avait-elle envie de s’éprendre, quand la finalité serait la même? Il y aurait encore une date de péremption, qu’ils ne connaîtraient ni l’un, ni l’autre. Était-elle prête à sombrer dans les bras d’une illusion? Ce n’est pas parce que les règles sont fixées d’avance que la fin de la partie est plus facile à encaisser. Échec sur le cœur de Dottie. Voulait-elle se risquer à déplacer sa dame d’ivoire vers cette combinaison, en sachant qu’elle lui serait fatale? Échec et mat.

Si elle se posait ces questions, c’est qu’il n’y avait pas d’ambiguïté. L’affection était toujours présente. Le désir, lui, aussi. Les cartes étaient jouées – ou presque –. Ne restait plus qu’à les poser sur la table. Archer était bien meilleur joueur qu’elle ne pouvait qu’elle. Patient, calme, posé. Il ne se laissait pas mener par l’impulsivité. Alors que Dottie… elle carburait à la fougue. Le vide laissé par son départ avait fait germer quelques insécurités. Et si tout ça n’avait rien signifié pour lui? Jamais ils ne s’étaient échangé ces promesses à voix haute. Trois mots, huit lettres. Elle s’était questionnée, à quelques reprises, si c’était là le signe de l’indifférence à son égard. N’était-elle rien de plus qu'une distraction, le temps d’être de nouveau ballotté d’un bout à l’autre du pays? Son départ avait fait germer des doutes qu’elle avait pourtant réussi à faire taire lorsqu’ils étaient ensemble. Elle le savait au fond d’elle-même : il l’avait aimée à sa façon. Et elle l’avait aimée aussi à sa façon, dans les limites de ce qu’il avait été prêt à recevoir.  

« Don’t be silly. He gave you his blessing the minute you approached me earlier. » Pour appuyer ses propos, Duke vint voler un baiser mouillé à Archer, son immense langue s’écrasant contre sa joue. « Oops. Sorry. He’s rather… affectionate. Exactly like his mummy. » Et elle en profita pour glisser sa main vers lui et lui caresser l’avant-bras. Elle avait besoin de ce contact. S’ils avaient été seuls, elle se serait déjà enroulée dans ses bras pour lui réclamer une étreinte. Elle se sustentait de ces (ses) contacts. Mais elle se contenta d’un léger frôlement à la surface de la peau. Il le lui ferait savoir, si ça le rendait mal à l’aise. « You know what? I think you wasted your money », dit-elle en faisant référence aux tacos. Plus tôt, elle aurait eu assez d’appétit pour avaler un troupeau d’éléphants. Maintenant, elle n’avait plus qu’une envie : celle de se péter la rétine en regardant le ciel ensoleillé avec Archer à ses côtés jusqu’à la nuit tombée. Même si ça devait être la seule fois.

Il avait son approbation ─ leur approbation. Le coup de langue faillit le prendre par surprise, mais un léger mouvement de recul évita qu'il ne se fasse lécher la moitié du visage. Gentiment, Archer gratta la tête de l'animal et repoussa son museau. Même s'il reconnaissait cet acte comme étant une preuve d'affection de la part de Duke, restait que se faire lécher le visage ne le tentait pas plus que ça. Il lui flatta l'épaule, et dans les secondes qui suivirent son geste, Archer sentit un contact sur la peau de son avant-bras. Son regard se baissa, non pas vers sa main, mais vers le visage de Dottie regarda en silence. Wasted money. Sous-entendu qu'elle n'avait plus faim, ne voulait plus les manger.
Une chose qui surprenait souvent, et que très peu de gens savaient, était qu'Archer n'était pas du tout timide. Il n'était pas un grand prude non plus, même s'il se montrait réservé et prudent dans ses relations. Il suffisait de la bonne personne, et il acceptait de dévoiler cette partie de lui, la réservant à une seule et unique à qui il se donnerait en entier. Dottie avait été de ces individus. Elle savait. Il n'y avait rien le concernant qu'il ne lui avait pas déjà montré dans l'intimité, et les exigences de cet homme n'étaient pas des aveux timides qu'il n'osait pas exprimer. S'il voulait ; il disait. Avec leur relation n'ayant rien perdu de l'affection qu'ils se portaient à l'époque, il ne lui semblait pas surprenant, en conséquence, de se savoir capable à lui proposer ses draps dès le premier soir. Mais c'était davantage par respect qu'il se tut.
« I do not think it is wasted money, if the right people benefit from it. » Son regard se leva vers la promenade pour quelques secondes, semblant scruter quelque chose. « Give me a minute. » Avant de se relever, il prit soin de lui rendre sa caresse, laissant ses doigts frôler sa peau ; une façon de lui dire qu'il acceptait son contact. Debout, il prenait le sac avec les tacos, et se dirigeait vers un homme silencieux, assis sur un banc. Une personne visiblement solitaire, qui ne se sentait pas à sa place et faisait peine à voir ; il ne fallait pas être un génie pour deviner sa condition. Après quelques mots échangés, et un remerciement chaleureux d'une main sur son épaule, Archer lui laissa ainsi le sac et la nourriture. Pas de gaspillage, pas d'argent perdu, et un homme heureux.
En revenant vers Dottie et Duke, Archer remonta les manches de sa chemise, les roulant jusqu'à son coude. Il s'arrêta à proximité et se pencha vers la blonde, lui tendant la main. « Come. We're going to my place, with Duke. It's not far from here. » Quels étaient ses plans ? Mystère. Dorothy pouvait bien en avoir une idée, mais sans qu'il ne l'ai verbalement confirmé, le doute pouvait toujours subsister.

— Give me a minute. Elle observa la scène prendre vie sous son regard, d'abord interrogateur, puis curieux, et finalement attendri. Pendant qu'il avait le dos tourné, revenant sur ses pas, Dottie observa le visage de l'homme s'illuminer de reconnaissance... et de joie, avant d'ouvrir le sac et de découvrir avec soulagement ce qu'il contenait. Elle grava cette image – le sourire de l'homme, la main d'Archer sur son épaule – quelque part dans sa tête, dans les souvenirs plus ou moins récents de leur histoire passée, présente... et future. Tout comme elle y emmagasinerait quelque part cette main tendue, ce regard tendre qui voulait tout dire et rien dire à la fois. Elle ne pu dissimuler la surprise qui déforma ses traits furtivement face à l'invitation. Elle découvrirait son cocon. Qui devait contenir les mêmes meubles, les mêmes décorations, dans la même disposition que ce qu'elle avait jadis connu. Elle aurait pu parier fort là-dessus; elle ne serait pas dépaysée, malgré les années qui s'étaient écoulées depuis la dernière fois qu'elle y avait mis les pieds, qu'elle avait refermé la porte pour ne plus jamais la rouvrir. Comme toute réponse à lui donner, elle saisit sa main et se leva, lui faisant face. Une fois sur ses pieds, la main d'Archer toujours dans la sienne – elle s'y accrochait jusqu'à ce qu'il décide de s'extraire de son étreinte – elle lui susurra tendrement : « That was a thoughtful and wonderful gesture what you did there, Arch. » À leurs pieds, Duke gigotait, excité de repartir. Tout était une aventure pour le canidé. Don't you dare make me fall for you again, qu'elle se surprit à penser, les joues s'empourprant derrière cette (fausse) menace silencieuse, alors qu'elle caressait l'intérieur de sa paume de son pouce.

Sa main dans la sienne, il l'aida à se relever en douceur. À sa remarqua, tout de même, il eut un discret mouvement de tête. « I just did what I think was the right thing to do. » Guidé par le principe et la pensé, et non par l'émotion. Le résultat était tout aussi bon néanmoins, alors y avait-il de quoi s'en offusquer ? La réalité était que, ses principes et ses pensées découlaient forcément de ses émotions, quand on le connaissait. Archer n'était pas un homme malhonnête, et s'il devait mentir, ce n'était jamais avec la moindre malice.
Dottie lui caressait la main et si Archer avait songé à rompre le contact pour récupérer sa veste au sol, il fit le choix de s'abstenir. Il aimait son contact. Ça aussi, ça n'avait pas changé ; alors sans quitter sa main, il plia les genoux pour ramasser le vêtement au sol, glissant habilement son bras dessous pour ne pas rompre ce contact. Il aurait pu, pourtant, le rompre l'espace de deux petites secondes pour ensuite lui redonner la main, mais il ne l'avait pas fait. C'était ces petites attentions, ces petits détails qui faisaient tout, chez lui. Et avec ça, ils pouvaient partir.
Mais Dottie allait être surprise. L'Archer d'avant, qui n'avait finalement pas si mal vécu avec son salaire à New York, n'était vraisemblablement plus du tout payé pareil avec son nouvel emploi. Après les minutes de marche, à discuter légèrement, il l'avait conduite devant une tour résidentielle qui hurlait l'opulence. Une impression qui se confirmait quand on le saluait poliment à l'accueil, et quand ils pénétrèrent dans un ascenseur spacieux. Qui montait. Montait. Et montait encore, dans le plus grand des silences ; jusqu'à l'avant dernier étage, où les portes s'ouvraient sur un unique couloir, avec une unique porte. Une porte lourde, blindé, métallique et sombre ; pas de clés pour entrer, un code et une carte, avant que la porte ne se débloque et qu'il la tire, invitant Dottie à entrer.
Rien de ce qu'elle ne connaissait était présent. Tout était neuf, moderne, oscillant entre le métallique, le bleu, le noir et le blanc. Le plafond était haut, les murs sombres, et cet appartement luxueux révélait même un escalier menant sur un étage, donc l'absence de mur donnait sur le salon. Rien à voir avec le petit appartement de New York. De toute évidence, son nouvel emploi l'avait bien réussi financièrement ─ même si Dottie ne pouvait pas savoir que cet appartement, ou plutôt penthouse, ce n'était pas lui qui le payait. « Make yourself at ease. Duke can freely wander around. » déclarait-il en posant sa veste sur le dossier d'une chaise. Il fit quelques pas, puis se tourna vers Dottie. « This is where I live. For now. I'll inform the reception of your identity, so if you ever need to come by, you can have access to my floor anytime. »

Elle avait la gueule par terre. N'en croyait pas ses yeux. Un « ô » muet s'échappa d'entre ses lèvres devant la vue à perte de souffle. Les bâtiments qui rapetissaient à vue d'oeil à mesure que l'ascenseur montait, montait, et montait encore plus. « What in the... » Elle avait le vertige. Elle se retourna vers Archer pour retrouver pied. Mais le coup de grâce lui est porté lorsque les portes s'ouvrent pour dévoiler un antre majestueux. Sombre, et pourtant lumineux. Elle qui aurait mis sa main au feu qu'elle y retrouverait ses repères... dommage, elle avait de belles mains, la Beck. « This. This is all YOURS? Like. Your. Place. » La question est plutôt rhétorique. – Make yourself at ease, qu'il lui sort, presque avec nonchalance. Elle retira presque aussitôt la laisse de Duke et la déposa sur le même dossier de chaise sur lequel Archer y avait déposé ses vêtements. Il n'en faut pas plus au poilu pour aller tout renifler; son activité préférée. Elle aussi, s'éloigna timidement pour explorer. Elle sentait le regard d'Archer peser sur elle, contre sa silhouette, pour guetter ses réactions, déchiffrer ce qu'elle pensait. Elle n'était pas bien difficile à lire, Dottie. Un véritable livre ouvert, tout l'inverse d'Archer. Expressive, de la tête aux pieds. Elle lâchait parfois des exclamations, des wow sincèrement impressionnés, intimidés. Son appartement à Boston, s'il était certes plus grand que celui de New York, avait des allures de maison de poupée miniature, à côté de ça. Elle valsait dans les aires communes, ses doigts frôlant le dossier des chaises, du canapé, ses yeux zieutant le mobilier, la décoration, la grandeur vertigineuse des pièces. Et tout ça pour un seul homme. « This is... Well, I don't even have the words. But I'm sure my face speaks for me. » Un sourire amusé. Elle s'éloigna, s'approchant de l'immense baie vitrée du salon pour admirer l'horizon. On ne voyait pas même où s'arrêtait la terre et où s'arrêtait le ciel. Elle ferma les yeux. L'imagina, seul dans cet antre luxueux. Moment d'une parfaite banalité; les manches retroussées, à lire ses dossiers, son air sérieux lui tirant les traits du visage, assis sur le canapé gris qui aurait bien pu contenir une équipe de foot entière. Elle l'imagine, dans sa petite routine. Vaisselle, lessive, boulot, dodo. Elle l'imagine, serviette à la taille... dans chacune des pièces qu'elle n'a pas osé explorer de son plein gré. It must be breathtaking at night... Une simple déclaration? Un message à passer? Un souhait? Peut-être les trois à la fois. Mais elle se retiendrait bien de le formuler.

Sa réaction ne le surprenait pas. A dire vrai, lui-même avait trouvé cet endroit ridiculement grand ; et pendant que ses deux visiteurs étaient en pleine exploration, Archer s'était dirigé vers la cuisine ouverte, non loin du salon, répondant tout en sortant deux verres. « Technically not mine. As odd as it sounds, it is for work. » Pop ! Une bouteille de vin venait d'être ouverte. Quelques secondes après, le liquide rouge coulait contre le cristal, puis la bouteille fut mise au frais avant qu'il ne revienne vers Dorothy, verres à la main. Elle s'extasiait devant la vue, et il tourna également la tête pour observer la ville en lui tendant son verre. La vue en pleine nuit était effectivement magnifique, bien qu'il ne passait guère de temps à l'admirer ; son oeil était toujours en train d'observer le mouvement des lumières, tentant de deviner la situation en bas, plutôt que d'apprécier la hauteur inhumaine à laquelle il se trouvait. Le verre fut porté à ses lèvres, d'où il prit une fine gorgée. Bon vin ; évidemment, il coûtait un bras. Ses iris sombrent revinrent alors se poser sur Dottie, qu'il observa un instant en silence, avant d'enfin lui répondre. « Would you like to spend the night here, then? » Ils savaient, tous les deux. Archer laissa volontairement quelques courtes de silence entre sa question et la réflexion de Dottie, avant qu'il n'ajoute des précisions. « There's enough space for Duke to keep moving, enough pillows and carpets for him to sleep on... and there's enough space for the both of us. There is a spare room, if you need it. » L'attitude détachée semblait indiquer qu'il n'avait rien en tête ; jusqu'à ce que le ton de sa voix change légèrement, plus grave, plus intime. « Or there's mine, Dorothy. » Dorothy. Il n'existait pas tant de scénarios dans lesquels il l'appelait par son prénom entier.

Technically not his. Elle était consciente de la nuance ici.  Et pourtant, c'est bien lui qui vivait bien dans cet espèce de palais miniature.   Perdue dans ses pensées, Dottie se retrouve tout à coup avec un verre de vin entre les mains. Elle n'avait toujours bu que du rouge. Pas de blanc, pas de rosé, pas de champagne. Du rouge, et de la bière. Elle le porte à son nez, en inspire les arômes. C'est floral. Elle le fait danser au creux de sa coupe, puis le hume de nouveau, avant de le porter à ses lèvres. Il est onctueux. La réserve de vin était-elle venue avec les clés du penthouse, une sorte d'à-côté, d'accessoire, de complément? Tout-inclus. Pour Dottie, un bon vin se portait à toutes les occasions. Il pouvait non seulement rehausser les saveurs des plats de viande, mais pimenter n'importe quelle situation.

Si elle le sirote longuement d'ordinaire, elle se surprend à l'avaler soudain d'un trait. Les pupilles dilatées. Le palpitant qui s'active bien malgré elle. Prenez-lui le pouls, docteur. Une chaleur lui monte aux joues, qu'elle s'empresse de camoufler du revers de la main. Il n'a pas besoin de répéter. Archer sait très bien se faire entendre, et comprendre. Le timbre de sa voix résonne en elle. Partout. Longtemps. C'est immédiat. Elle sent la flamme prendre naissance quelque part au creux de son ventre. Dorothy. Sa peau brûlait. Il fallait éteindre le feu. Ou l'attiser. Pas d'entre-deux. Elle réfléchit à l'avenue à prendre. Choisir la convenance? Sa voix grave retentissait encore. Dorothy. Elle ne ferait pas semblant d'ignorer les signaux. Elle pivota, déposant sa coupe désormais vide sur la table de cheveux dont les couleurs sobres et sombres se fondaient avec le reste du mobilier. Elle s'assura que Duke était à son aise – il dormait déjà sur le tapis près de l'entrée – puis fit un pas vers Archer. Et un deuxième, jusqu'à ne conserver qu'une distance quasi insignifiante. « If I stay, I won't use the spare room. Believe me... » Une promesse? La manifestation d'un désir, d'une envie? D'un besoin de se sentir près de lui? Elle chercha dans son regard une approbation. Sa respiration s'était accélérée, mais sa voix  devint plus lente, feutrée, lorsqu'elle compléta sa phrase : « ...Agent Graves ». L'anticipation. Elle ne le quittait plus des yeux. Ses doigts vinrent de nouveau capturer sa main, s'enroulèrent entre les siens. Un contact délicat, tendre, mais présage de ce qui était à venir. Elle se surprit à se demander comment ils en étaient arrivés là (en un battement de cils), mais il n'y avait qu'une certitude : les pôles contraires des a(i)mants s'attirent inévitablement. C'est la force magnétique de Dottie et Archer.

Dorothy était un livre ouvert sous le regard attentif d'Archer. Ils en avaient tous les deux conscience, mais c'était dans ce genre d'instance que ce fait devenait une évidence. Il ne l'avait pas quitté du regard une seule seconde, le noir de ses iris fixé sur les bruns qui s'étaient tournés vers lui. Un échange de regards qui en disait long ; et il ne bougeait pas, Archer, quand Dottie se rapprochait. Il la laissait venir à lui, comme elle savait le faire, comme il aimait la voir faire. Il était évident qu'ils n'allaient pas en rester là. Pas après ces mots, ces regards, ces gestes. Ils l'avaient senti dès le départ, qu'ils retomberaient dans cette aventure qui n'avait pas connu de fin satisfaisante. Les questions précédemment n'avaient pas été anodines, et toutes avaient servi un but précis, car tous les deux avaient la même envie. Celle de se retrouver, de se toucher, de se goûter ; sans interdiction, barrière, ou détour à prendre. Un trajet direct. Agent Graves. La satisfaction pouvait se lire dans son regard, très légère, alors qu'un fin et subtile mouvement de lèvres changeait drastiquement l'ambiance de son visage. La tension était palpable, accompagnée par leurs regards intenses et des respirations qui s'accordaient déjà ensemble. Archer répondait à l'étreinte de sa main sur la sienne, la lui laissant volontier ; mais celle qui tenait son verre, en revanche, remontait entre eux. Son index se défaisait de sa prise sur le fin cristal pour venir se poser sous la mâchoire de Dorothy, glissant le long de cette dernière jusqu'à son menton, qu'il releva légèrement. « Then I need your help to empty this. » Une référence à son vin. Qu'elle les ouvre juste un peu, suffisamment, pour qu'il fasse glisser le vin entre ses lèvres ; quand bien même une goutte s'échapperait, il la rattraperait de son doigt pour qu'elle n'en perde rien. Tout en douceur, lentement, sous son regard qui la dévorait en silence.

Son regard la consume. La flamme prend naissance au creux des reins, puis fait son chemin à une vitesse impressionnante jusqu'aux extrémités. Ses doigts la démangent de l'effleurer, de le toucher, de le caresser. Ses lèvres meurent d'envie de l'embrasser. Ses pieds veulent s'enrouler aux siens pour danser. Sa tête menace d'exploser. Et son coeur, lui, papillonne en silence. Au beau milieu de la pièce, le bûcher s'enflamme. La notion d'espace-temps perd tout son sens. Il n'y a plus qu'eux. Et cette passion dévorante pour les unir. Non, il n'y avait pas de point final dans l'histoire de Dottie et Archer. Des points de suspension, tout au plus. Pour marquer la continuité, l'attente, les probabilités. Leurs chemins s'étaient séparés momentanément, pour mieux se retrouver au confluent. Ils conjuguaient passé et présent pour esquisser ensemble un futur qui avait peut-être encore des chances d'exister dans la banalité de leurs quotidiens respectifs. Elle ne se faisait pas d'illusions – ce n'était pas le moment, mais cette pensée furtive eut tôt fait de lui remuer le coeur et le gonfler d'espoirs vains, espoirs qu'elle étoufferait dès l'aube.

Sous son contact, son corps tout entier fut pris d'une secousse; un frisson brusque, dévorant, délicieusement bon. Subjuguée par le déclic qu'elle avait pu percevoir dans son regard, elle obtempéra sans dire un mot. Menton légèrement surélevé, lèvres suffisamment entrouvertes pour l'y laisser glisser le cristal, le vin coula en rivière sur sa langue pour terminer sa course au fond de sa gorge. Elle ne le quitta pas un instant des yeux, voulant y voir briller la lueur fauve. Une fois vidée, elle n'attendit pas les prochaines directives. Lèvres pincées; sa main, bien au chaud dans la sienne, s'extirpa de son étreinte pour sillonner les collines, les montagnes sur son torse. Sous le tissu, ses muscles roulaient sous les doigts de Dottie – elle les sentaient, fermes, robustes, bien définis. Arrivée au sommet, ses doigts s'éclipsèrent en douce pour courir contre son cou, atterrir sur sa nuque, qu'elle entoura, capturant tendrement, mais fermement, la base de ses cheveux dans laquelle elle s'entremêla dans une tentative de s'accrocher. De ses lèvres, elle se pendit à lui, entièrement, s'abandonnant complètement pour capturer déjà (ou enfin?) les siennes. Elle sentit la bouffée de chaleur l'envahir, crut même entendre un gémissement ponctuer son souffle qui s'accordait désormais à celui d'Archer. Et, alors qu'elle s'enivrait de lui, à travers l'étreinte passionnée de leurs pulpeuses et que sa langue cherchait la sienne pour entamer un tango endiablé, des filets de vin vinrent se mélanger à leur baiser. Son corps épousa les formes de sa forteresse, s'y attacha comme à une bouée, déjà prête à s'unir jusqu'à ce que la réalité ne se décide à les rattraper...