Infinities of future unforetold ─ Dorothy & Archer

La démarche lente, au rythme du canidé qui avançait tranquillement en reniflant ici et là, Archer sentit rapidement que la question menait Dorothy sur une pente un peu glissante, quelque peu... inconfortable. Le regard en biais pou observer son visage, il compris alors que ce départ n'avait probablement pas été de sa volonté, ou pour une évolution professionnelle. Si elle avait retrouvé sa soeur et laissé ses rêves derrières elles, la perte devait sûrement peser. Un sentiment qu'il ne pouvait qu'essayer d'imaginer car lui-même n'avait pas de rêve spécifique, et il se contentait de son travail sans vraiment se demander s'il aimait ou non ce qu'il faisait. « Ça ne me dit rien. » répondait-il au sujet du Sun Rock. Regardant à nouveau devant lui pour ne pas être trop indiscret et la laisser songer à son passé, il inspira tranquillement, et comme elle le soulignait, ce n'était pas Broadway. « Ce n'est pas Broadway. » confirmait-il. Il y avait sûrement un vide en elle, peut-être de la taille du monde, il n'en savait rien. Quelque chose d'absent, de douloureux. « Tu as toujours fait des choix audacieux et sincères. Je ne doute pas que tu as fait le bon. » Une tentative de la consoler et la rassurer. Il se souvenait bien à l'époque la passion qui la dévorait et quelques confidences sur l'oreiller ; ses sourires quand elle avait le micro en main et chantait, dansait. Elle avait été sa première expérience dans un tel univers qui ne lui ressemblait absolument pas, et c'était elle qui avait su lui faire apprécier. Alors, à plus petite échelle... « Cela dit, tu dois être le Broadway de quelques gens d'ici, d'une certaine façon. » À défaut de pouvoir se rendre là-bas, elle offrait à d'autres un aperçu de ce qu'ils ne pouvaient découvrir.

Inconsciemment, elle ralentit le pas, jusqu'à presque s'arrêter, bercée par la mélancolie en demi-teinte de ses propres confidences. Boule dans la gorge, le rouge lui monte aux joues; Dottie a toujours été très proche de ses émotions, elle ne les vit jamais à moitié. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Archer avait su choisir habilement ses mots pour la rassurer, bien conscient de ce qu'elle avait dû abandonner, et surtout de ce que cela représentait pour elle. Une larme naquit au coin de l'oeil, qu'elle se précipita aussitôt de chasser. Il avait compris. Sa bienveillance la toucha droit au coeur. Il avait peut-être une carapace difficile à percer, mais une fois que c'était fait, on se rendait bien vite compte à quel point il avait bon coeur. Elle s'arrêta finalement de trotter. Une résistance se fit sentir au bout de la laisse, mais Duke imita aussitôt sa maîtresse, s'assoyant pour patienter. Dottie glissa son bras sous celui d'Archer pour venir capturer sa main; le contexte aurait peut-être dû la gêner, c'est à peine s'ils venaient de se retrouver. Et qui sait si demain, les deux anciens amants ne se seraient pas de nouveau oubliés? Elle déposa sa tête sur son épaule, se réfugia dans la douceur, l'authenticité de cet échange. « Merci, Arch », qu'elle souffle simplement. Sait pas quoi répondre de plus, à vrai dire. Une seconde, deux secondes, cinq secondes. Peut-être une minute? Elle sait pas. Elle espère que son silence suffise à lui transmettre sa reconnaissance. Les passants disparaissent. Elle apprécie l'instant présent, s'accroche quelque peu à un passé qui n'existe plus, mais qui lui a fait ô tant de bien lorsqu'il s'appelait présent. Elle laisse échapper quelques larmes, qui terminent aussitôt leur course sur la manche d'Archer. Oups. Elle relève finalement la tête et libère sa main. Le rythme des passants reprend graduellement son cours. « Different city, same Dottie », qu'elle dit, en faisant référence à sa sensibilité et à ses émotions à fleur de peau. Un peu d'autodérision pour détendre l'atmosphère. « T'es plus tacos, burger, dumpling, poulet frit? » Elle lui lance un regard, accompagné d'un sourire pour le rassurer je vais bien.

La marche ralentissait, jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent. Intrigué, Archer se tournait légèrement vers Dorothy, qui glissait son bras sous le sien et attrapait sa main. Il se laissa faire, nullement dérangé par son contact. S'il n'avait pas la même sensibilité qu'elle, ni son émotivité, il la connaissait suffisamment bien pour savoir que c'était l'un des moments où elle avait juste besoin d'une présence, d'un contact, pour se reposer un instant ─ ce qu'il lui offrait sans questionnement. Sa main saisit la sienne, la rassurant par son contact et peut-être la solidité dont il avait toujours fait preuve. Inébranlable, assuré, mais bienveillant. Pas de mots, pas d'autres gestes, juste sa main dans la sienne, il lui fit une brève caresse pour lui assurer qu'il n'y avait aucun problème, et offrait son épaule pour qu'elle s'y cache ; jusqu'à ce qu'elle se redresse et rompe le contact. Quand bien même il ne souriait pas, son regard était attentif et doux. « Je ne l'échangerais pas pour une autre. » répondait-il. Dottie, c'était Dottie. Son visage se tourna alors vers les foodtrucks un peu plus loin, puis sur elle à nouveau. « Peu m'importe. Une préférence ? » S'il ne réalisait pas toujours la portée de ses propres mots et ne comprenait pas toutes les émotions qu'il pouvait provoquer, il gardait toujours cette sincérité qui pouvait parfois semer le doute. Mais peut-être que d'expérience, Dorothy pouvait comprendre. Pour un homme comme lui, dont la vie était dictée par le travail et les obligations, une séparation n'était rien de plus qu'une autre étape dans sa vie et jamais un point final. La stabilité de ses émotions n'était pas impactée par le temps, ni la distance. Alors il l'appréciait toujours autant que le dernier jour où ils s'étaient vus, à sa façon. À la façon Archer.

« Mais quel charmeur! » Elle glousse en reprenant la route, retroussant le nez comme elle avait l'habitude de faire tout naturellement lorsqu'elle était (un peu, beaucoup ou passionnément) gênée. Ça lui avait manqué. Terriblement. La chaleur humaine – pas le corps à corps; mais le coeur à coeur. La complicité d'un échange, d'un sourire, d'une relation, qu'elle soit romantique ou platonique. S'étaient enchaînées déception sur déception, depuis son arrivée, et enfiler ses vieux bas avait ce quelque chose de rassurant, d'un brin réparateur pour l'âme. « Tacos. » Et sans plus attendre, elle prend la direction du camion de tacos. La file est plutôt longue; étonnant, pour un jour de semaine. La belle température devait y être pour quelque chose, après une série de journées-pluie pour le moins maussades. « Et toi? J'sais pas pourquoi je pose la question, mais... tu es ici pour longtemps? » Il n'était jamais quelque part pour longtemps, Archer. Il bougeait, au gré des affectations. Il allait où on lui disait d'aller. Et c'était louable, au fond. Dédié à son travail, plus qu'à la maison. Le moins d'attaches possibles. La routine plus ou moins routinière, simplement. Il avait dû en voir, merveilles et horreurs, à adopter ce mode de vie nomade.

Sourire arraché ; quel charmeur. Non, Archer n'était pas un charmeur, mais cette phrase, c'était vraiment pour le taquiner spécifiquement lui, dans sa mémoire. Quand il disait quelque chose de sincère et qu'elle était touchée, à cacher sa timidité derrière une taquinerie bienveillante. « Si tu veux. » Et ce, malgré le ton monotone, c'était avec un sourire qu'il lui avait répondu. La glace fondait à nouveau, comme toujours en présence de Dottie. Hochant la tête pour les tacos, ils s'en rapprochèrent et lui ne fit guère de constat sur la file d'attente, c'était la première fois qu'il venait. Son regard quittait rapidement le foodtruck pour revenir sur la femme à ses côtés, écoutant sa question avant d'y répondre. « Indéfiniment, jusqu'à ordre contraire. Ça peut aussi bien durer deux semaines que six ans. » Fine expiration ; c'était, en vérité, peu commun pour lui de ne pas savoir exactement combien de temps tout cela allait durer. « Je suis... plus tranquille avec ce nouvel emploi, on va dire, mais il vient avec son lot d'incertitudes également. Cela étant... je ne devrais plus autant bouger qu'avant. Je reste sur la côte est. » Une façon de dire qu'il ne sera plus balancé dans tous les sens comme avant. Et même là, le contrat qu'il avait était un peu singulier. Le regard toujours fixé sur Dorothy, il remarqua quelques détails du temps qui s'étaient invités sur son visage. Lui aussi, d'ailleurs, depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Cela ne faisait pas si longtemps, et pourtant, le temps faisait son oeuvre à son rythme.

Un tel style de vie la rendrait folle. Et malheureuse. Follement malheureuse. Se faire imposer ses allées et venues, où et quand partir. Et sans jamais pouvoir contester les décisions prises qui dicteraient sa vie de prisonnière en liberté cavale. Chef, oui, chef! Mettre un point final avant que l'histoire n'ait pu être écrite. Hell, nah! Et pourtant, le bonheur et la liberté, ou son sentiment, n'étaient que de vagues concepts, qui avaient autant de définitions que d'humains sur Terre. Chacun y apportait sa propre interprétation, ses propres nuances. « Espérons que ça tende plus vers le six ans que le deux semaines. » C'était sa façon (plus ou moins subtile) de lui dire qu'elle espérait le revoir. Que ce hasard sur l'esplanade des quais, au bord de la rivière Charles, par une belle journée ensoleillée d'été, ne soit pas qu'une coïncidence passagère, un simple plongeon dans le passé. Elle hoche la tête comme seule réponse, pensive. C'est grand, la côte est. Elle n'avait pas remarqué la queue devant eux se rétrécir. C'était maintenant leur tour. Elle commanda quatre tacos bien garnis rien que pour elle. « Je suis affamée. Tu connais mon appétit... je n'ai pas de fond. » Elle marque une pause, se tournant vers Archer, le visage décoré d'un sourire. « Je peux t'inviter? Prends ce que tu veux. »

Six ans, plus que deux semaines. Il hocha la tête, étant d'un avis similaire... pour des raisons similaires. Il ne rechignait jamais face au travail ou aux affectations, suivait les ordres comme le bon soldat qu'il était, mais une partie de lui aimait aussi la stabilité ponctuelle qu'il arrivait à trouver, parfois. Son année avec Dottie avait été de ces belles années mémorables où il avait savouré la vie différemment. Vint leur tour de commander, et même s'il ne fit aucune remarque, il s'amusa un peu de la quantité qu'elle commandait ; alors que lui n'en prenait qu'un ─ à l'esprit, la possibilité que Dottie avait les yeux plus gros que le ventre et qu'il serait celui qui finirait le quatrième... car il ne doutait pas qu'elle allait bien dévorer les trois premiers. Bip. Et le temps qu'elle lui proposait de l'inviter, Archer venait justement de passer sa carte sur la machine. Tout était déjà réglé. Ses yeux sombres se posant alors sur la blonde, il haussa légèrement les épaules en rangeant sa carte. « Fallait être plus rapide. » Comme souvent, avec lui. Sa commande, il l'avait déjà passée discrètement en commandant un tacos similaire à l'un des siens, par un simple geste réclamant une quantité supplémentaire. Tandis que leur commande était préparée, Archer reprenait la parole, toujours détendu, s'éloignant un peu avec elle pour laisser les prochains passer leur commande. « Et lui ? Quelle est son histoire ? » demandait-il en regardant Duke dont la truffe semblait particulièrement intéressée par l'odeur des tacos.

Un quart de seconde. C'est ce que ça aura pris à Archer pour lui piquer la facture. « Oh.. HEY! » Le visage déformé, outré (), elle lui assène un poing sur l'épaule. La moue boudeuse se détend finalement. « Tu pourras pas dire que c'était pas mérité », qu'elle maugréa en croisant les bras sur sa poitrine et en dissimulant un sourire amusé. En temps normal, et avec n'importe qui d'autre, c'est un geste qui l'aurait agacée – ce n'était pas en temps normal et il n'était pas n'importe qui. En retrait, alors que les bonnes odeurs de viande et d'épices sur le grill leur parvenait aux narines, Duke s'agitait, comme s'il savait qu'on parlait de lui. Ce chien, c'était un vrai attention-whore. Gros toutou aux allures de véritable danger ambulant, c'est vrai qu'on y pensait à deux fois avant de l'approcher, lorsqu'elle marchait seule tard le soir. « En débarquant ici, je trouvais mon appart' vide. Et je me sentais terriblement seule dans une ville qui m'était 100 % étrangère. Alors, un matin, la curiosité m'a emmenée à la SPA. Et... il venait d'être mis en adoption. Il vient d'une portée qui a été retrouvée sur le bord de la route. » Elle sort son téléphone, sélectionne la galerie, scroll down jusqu'à trouver les millions de photos qu'elle avait prises de Duke, bébé. « Regarde sa petite bouille d'ange... » Coeurs dans les yeux, une vraie maman poule. D'une boule de poils.

Le sourire qui avait accompagné le souffle amusé d'Archer détendit rapidement les traits habituellement de l'homme si sérieux. Dottie pouvait le pousser et lui mettre un coup, il se réjouissait surtout de la voir aussi... inchangée. Malgré le temps, malgré la distance qui les avais séparés, elle ne changeait pas son attitude envers lui ; Archer lui-même était une constante dans son attitude, mais les autres, pas nécessairement. Alors qu'elle le soit était plaisant.
Alors qu'ils s'étaient éloignés, Archer s'intéressait à Duke, et quand Dorothy entreprit de lui répondre, l'homme avait à nouveau la main posée sur le haut du crâne de l'animal, offrant des gratouilles tranquilles. La queue du chien fouettait l'air en signe de satisfaction. L'animal venait donc d'un refuge, et là non plus, Archer n'était pas surpris. Se penchant légèrement sur le côté pour voir les photos qu'elle lui montrait, son épaule vint toucher la sienne et il esquissa un sourire face au bébé canin. Puis ses yeux se reposaient sur la version maintenant adulte, avant de revenir sur les photos. Incroyable à quel point ils pouvaient vite grandir. « Tu m'aurais d'abord montré ces photos, je ne me serais jamais douté qu'il deviendrait aussi grand par la suite. » Quand certains restaient de la taille d'une plaquette de beurre toute leur vie, Duke semblait vouloir rivaliser avec les poneys. Archer jeta un rapide coup d'oeil à Dorothy à côté de lui, puis se redressa, rompant ainsi le contact de leurs épaules. « Vous vous êtes bien trouvés, finalement. Sa croissance est donc terminée maintenant ? Car j'ai bien l'impression que debout sur ses pattes arrière, il est aussi grand que toi. » Archer pouvait connaître plein de choses, les chiens n'avaient jamais été son fort, ni son domaine d'ailleurs. Les quelques chiens qu'il avait côtoyés avaient tous appartenus à une brigade ou une autre ─ difficile donc d'en apprendre beaucoup.

Duke suscitait toujours le même type de réactions. Effet grandiose. Aussi impressionnant que la bête. Les chiens de petite taille l'insupportaient; minuscules, agaçants, de petits rageurs sur quatre pattes qui aboyaient après tout et rien. Duke était majestueux. Un véritable colosse sur quatre pattes, avec un tempérament calme, sauf peut-être lorsqu'il avait les zoomies. Il faisait honneur à sa race, un véritable « gentle giant », tel qu'on surnommait généralement les grands danois. Affectueux, il partageait son lit la nuit et ne manquait même jamais ses movie nights. Comme l'avait si bien dit Archer, ils s'étaient bien trouvés tous les deux. Le regard de Dottie s'illumina un bref instant, un sourire espiègle déformant ses lèvres. « Allez, viens mon bébé. Saute. » qu'elle dit en levant le bras en l'air, Et aussitôt, le grand prince s'exécuta, s'élevant sur ses deux pattes arrière, s'érigeant comme une véritable forteresse. Il arrivait tout juste à ses épaules. « Il arrêta de grandir entre 18 ou 24 mois. Il a presque 1 an et demi. » Et elle le fit valser sur place, ce qui eut tôt fait de lui faire remuer la queue tant il était heureux. « Good boy, Duke! Oh, you're such a good boy. Yes yes yes, you're a good boy », qu'elle s'exclamait en adoptant une voix de bébé, extirpant quelques précieuses gâteries de sa poche. « ...ouais, okay, je suis complètement gaga », qu'elle avoua, les joues légèrement rougies par la gêne de s'emporter ainsi, tout comme si elle s'adressait à un bambin. Le canidé retrouva finalement sa place au sol. Depuis le foodtruck, on appela un numéro. La personne qui avait commandé juste devant eux s'avança afin de récupérer sa commande. Ce serait bientôt leur tour. « Dis, tu me passes ton téléphone deux secondes, s'te plaît? », qu'elle s'enquit mystérieusement en tendant une main ouverte vers lui.