when it's us (A&L)

Je n'ai pas à m'excuser ? Tiens, c'est bien la première fois qu'un mec ne reproche pas à sa meuf d'être trop intrusive... Bon je dis ça pour les gens en générale, parce que ça m'est jamais arrivé à moi. Je n'ai jamais été aussi curieuse à vrai dire, je n'ai jamais été la première à admettre à voix haute qu'il y avait bien des sentiments naissants. Cette conversation je l'ai toujours eu à l'envers et même que j'suis carrément le genre de fille qui arrêterait les choses tout de suite, avant que ça ne devienne trop lourd ou inintéressant. Bon, c'est pas toujours arrivé... Y'a des fois où j'suis bel et bien tombée amoureuse. Tu me prends le dessin des mains pour m'en débarrasser et glisse ensuite une main sur ma joue. Ta réponse cette fois, est bien plus agréable à entendre que les dernières... Je souris à la fin de ton speech, à la phrase où tu me dis avoir l'impression que je suis différente. Différente de qui ? De Loïs ? Ou des autres tout court... ? Je passe ma langue entre mes lèvres et retiens mon souffle un instant, difficilement. Eh bien... peut-être que t'as cette impression parce que je te comprends... Je baisse les yeux et glisse mes doigts sur mes cuisses nerveusement. Dire que je te comprends plus que Loïs, concernant ta mère, c'est limite méchant. Parce que mon but n'est pas de me mettre en compétition avec qui que ce soit. Surtout pas en utilisant ta mère pour "gagner"... Cela dit, c'est bien toi qui me compare aux autres en me trouvant différente. Autant pour la musique, ton amour pour la pizza bien grasse, que pour ta mère... Je prend une pause, avant d'admettre ce que j'aurais dû faire plus tôt. Ma mère tenait le volant de la voiture.

Je savais bien que cette conversation était loin d'être agréable... pour ne pas dire qu'elle était même complètement désagréable. J'avais conscience de ce que ça pouvait en plus représenter, d'apprendre que je parlais encore avec mon ex avec qui j'étais resté si longtemps... un poids, en fait. Pour toi, ce devait être un poids à porter, une pression supplémentaire. Avec le mariage de Loïs, ta confiance en moi vacillait et je ne pouvais pas t'en vouloir pour ça... alors une fois les explications données, je te retirai le dessin des mots pour qu'on se concentre sur toi, sur nous. Parce qu'au-delà de mon faux mariage et de mon ex, j'avais choisi de m'engager auprès de toi alors que je ne pensais pas le refaire. Pas avant longtemps. Je t'écoutais alors que tu commençais à me répondre, mais tu semblais chercher tes mots. Qu'est-ce qui te rendait si nerveuse ? Je souris quand tu me disais comprendre mon amour pour la pizza bien grasse, un peu moins quand tu parlais de ma mère... tu me donnais l'impression d'être sur le point de m'avouer quelque chose, et ça ne manqua pas. Je ne répondis rien les premières secondes, le puzzle se reformait dans ma tête... c'était ta mère qui conduisait le volant de la voiture accidentée quand tu avais six ans. Tu ne m'avais jamais parlé de l'autre personne... j'en déduisais qu'elle était décédée et aujourd'hui, tu m'avouais que c'était ta mère. Merci de me l'avoir dit... finis-je par dire en plongeant mon regard dans tes yeux bleus. Ca n'avait pas dû être facile pour toi. Étais-tu en colère contre elle pour cet accident ? J'avais rapidement compris que tu n'étais pas adepte des grandes démonstrations d'affection, alors je me contentai d'entrelacer mes doigts aux tiens, doucement. Est-ce que t'es en colère ? Contre elle, évidemment. T'aurais probablement tous les droits de l'être, selon les circonstances de l'accident.

T'es la première personne à qui j'en parle, officiellement. Tu seras sans doute le seul à savoir, puisque je déteste aborder ce sujet... Pourtant ce n'est pas un secret. Son décès a été affiché dans les journaux, sur internet, puis mes cousins pourraient en parler... C'est juste moi qui bloque, j'suppose que c'est normal. Tu me remercies de te l'avoir dit... je sais pas pourquoi d'ailleurs. C'n'est pas comme si t'avais besoin de cette info-là dans ta vie, pas comme si tu me l'avais demandé. Peut-être que tu me remercies parce que l'autre jour, je t'ai dis que je n'étais pas prête à t'en parler et tu sais donc que ce n'était pas facile de te le dire. T'entrelaces tes doigts avec les miens, en me demandant si je suis en colère... J'hausse les épaules. C'est probablement la partie le plus fâchant de ma révélation en fait... Parce que oui, j'suis en colère. C'n'était pas un accident... elle a accélérée sur le pont et a tournée le volant d'un coup. Je fronce les sourcils et prend une grande inspiration. Enfin... oui. J'suis en colère qu'elle ait fait ça. J'étais avec elle et elle n'a jamais laissé de lettre à mon père, il n'a pas la moindre idée de ce qui l'a prit... et moi non-plus. Je tente de fuir ton regard. S'il y a bien une chose qui me faisait peur avant d'en parler, c'est de voir la réaction des gens et d'avoir à affronter leur pitié. Ça fait longtemps que j'ai arrêtée de penser à elle, à tous les jours...

Tu m'avouais que c'était ta mère qui conduisait la voiture le jour où vous avez eu l'accident. Je te remerciais de me faire confiance pour me le dire, et surtout de t'ouvrir à moi, parce que j'avais bien compris que tu ne le faisais pas avec tout le monde... que ces moments-là étaient privilégiés. J'entrelaçais nos doigts, c'était ma façon simple et presque pudique de te montrer mon attachement à ce moment précis. T'étais en colère... je le compris à ton haussement d'épaules. Le temps avait passé et fait son oeuvre, mais tu n'oublierais jamais. A ta révélation, ce n'était pas de la pitié que je ressentais... loin de là, c'était surtout de l'incompréhension en fait. Qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Qu'est-ce qui la rendait si malheureuse à vouloir s'ôter la vie, mais surtout à vouloir le faire avec sa fille comme passager ? Je pinçai les lèvres, essayant de ne pas trop y penser. Ça me donnerait la nausée d'imaginer. Je pouvais pas comprendre un tel acte de la part d'une mère, alors que la mienne avait donné tout ce qu'elle pouvait pour son fils jusqu'à son dernier souffle. Ça me paraissait aberrant, alors j'imaginais l'incompréhension totale dans laquelle tu avais dû grandir. Miraculée du suicide de ta mère. Je t'avoue que je sais pas quoi dire, finis-je par répondre dans un souffle. Je voulais pas te dire que j'étais désolé, je savais ce que c'était d'avoir des regards de pitié alors c'était pas mon genre d'en donner. Mais il était vrai que ça me laissait sur le cul. Un silence s'installa, probablement nécessaire pour que la poussière retombe après toutes ces révélations à la suite... Tu avais détourné les yeux, alors que mon regard s'était perdu dans le vague un moment. Je finis par te regarder à nouveau. J'aimerais que tu restes ici ce soir... Je voulais dormir dans tes bras cette nuit. Quatorze jours sans te voir et de lourds aveux plus tard, j'avais envie qu'on pense un peu à nous... qu'on déconnecte ensemble.

Avouer que ma mère était la personne derrière le volant de la voiture, c'était quelque chose de très nouveau pour moi... Je l'ai entendu plusieurs fois, à la radio, à la télé, dans les journaux, j'ai revu des articles sur internet et j'ai entendu les médecins et mes proches en parler... Mais à chaque fois, je n'avais pas l'impression que c'était entrain de m'arriver à moi. La personne que j'étais avant l'accident, est morte au fond de la rivière, avec ma mère. Il y a des jours où je me demande ce que je serais devenue, sans cet accident... Est-ce que j'serais dans une relation stable et durable ? Est-ce que j'serais à Harvard depuis mes 15 ans ? ou à Harvard tout court ? Chirurgienne ? Après tout, sans ma mémoire photographique, je n'aurais pas été aussi douée à l'école. J'n'aurais probablement jamais réussi à apprendre à jouer d'un instrument... Alors plus de cinq ? La vie aurait tellement été différente... et ça bien sûr, c'est si je ne me serais pas noyée. Tu ne sais pas quoi dire et je me mord la lèvre supérieure, en haussant les épaules encore une fois. J'sais pas quoi dire de plus aussi... Y'a rien à dire. Mais c'est ma mère quoi... la dernière chose qu'elle m'a dit, c'est qu'elle m'aimait. Et elle ne pleurait même pas, elle ne semblait même pas nerveuse... rien. Je n'aurais pas pu deviner... bref. Tu m'invites à rester pour la nuit et puisque le sujet de conversation difficile est passé, je retrouve le courage de te regarder. Un sourire apparait sur mon visage, alors qu'un souvenir m'est remonté à l'esprit. Va falloir que tu m'apprennes comment optimiser l'espace. Plaisantais-je (bien que pas vraiment), en te rappelant la première fois que je suis venue ici et que je me suis plainte de la taille de ton matelas.

Ca devait être compliqué à gérer, même à accepter. Ces nouvelles réponses concernant ton passé amenaient avec elles leur lot de questions... est-ce que tu étais proche de ton père ? Comment tu vivais cette famille recomposée... et ta belle-mère ? Il y avait tellement de choses à apprendre pour te connaître, tu m'intriguais toujours plus, à chaque nouvelle information que tu me donnais. A chacun de nos moments privilégiés, je sentais que ça nous rapprochait. On prenait le temps de se connaître mais surtout... de se comprendre. Au final on tâtait le terrain avec les réactions de l'autre pour savoir si on pouvait se faire confiance, et surtout... savoir si ça pouvait coller entre nous, si on pouvait se comprendre, s'accepter et être nous-mêmes, simplement. Elle le pensait sûrement, répondis-je pensivement. Ce n'est pas le genre de chose qu'on dit à la légère, mais comment pouvions-nous deviner ce qu'elle avait derrière la tête ? Après un silence, je te proposai de rester dormir chez moi. C'était pas du luxe, y avait pas beaucoup de place... mais c'était cosy et surtout, je voulais qu'on soit ensemble. Je ne voulais pas avoir à te dire au revoir, pas après tout ça, et alors qu'on venait à peine de se retrouver. Je souris à ta réponse, affirmative... et me rappelant surtout la fois où j'ai titillé ta jalousie avant de t'admettre que tu me plaisais. Aucun soucis, tu vas voir, t'apprendras vite. Je souris, lâchant ta main pour me pencher vers le lit, les bras en arrière. Ou aloooooors... commençai-je, laissant planer le suspense un court instant. On peut se faire une nuit à la belle étoile, il fait beau et bon ce soir. Roots. As always.

Peut-être qu'elle le pensait... Peut-être que non. Je pense qu'elle devait le penser, puisqu'elle a voulu m'emmener avec elle de l'autre côté. Je me dis que pour être aussi égoïste, elle devait être possessive envers moi sans que je m'en rendes compte. Enfin bref, je ne sais pas. Tu m'invites à dormir chez toi, après un moment de silence. Ça me fait du bien que tu veuilles changer de sujet de conversation, parce que l'autre commençait à devenir lourd. Entre le mariage, Loïs, ma mère... Disons qu'on a pas mal discuté. Ma réponse te fait sourire et tu acceptes de me montrer comment optimiser l'espace d'un lit simple. Puis, t'as eu une deuxième idée et tu n'as pas prit beaucoup de temps à me la dire. Je souris en retour. Ça me semble vraiment pas mal ! Puis, je réfléchis à mon tour. Quand on s'est rencontré, tu m'as promis une chanson... finalement, c'est moi qui ai chanté, du coup j'pense que tu m'en dois une ! Jouer de la guitare à la belle étoile, c'est parfait. J'espère seulement que ton amie est partie au Portugal avec les autres, pour qu'on ne la dérange pas... Enfin, on est bien dans son jardin non ?

Nous avions eu des discussions lourdes pour tous les deux. Le mariage, Loïs, et maintenant ton accident... je voulais qu'on arrête de penser à tout ça. On venait de se retrouver après quatorze jours séparés au tout début d'une relation, ce moment vibrant où on doit contrôler ses pulsions, sa passion. Ca avait été frustrant d'être si loin de toi, si longtemps... de ne pas savoir où nous en étions. Mais maintenant qu'on était ensemble et que je savais que tu me laissais une chance, je ne voulais pas la passer à évoquer encore et encore ce qui pouvait nous faire du mal bien que ça fasse partie de nous. On méritait aussi ces moments calmes, de bien-être et de sérénité. Alors je te proposais de rester dormir, mais surtout... à la belle étoile. A l'ancienne, parce que j'adorais ça. T'as vraiment envie que j'te chante une chanson maintenant ? demandai-je en me laissant tomber sur le lit. Je savais surtout pas quoi te chanter en fait. Je restai un moment pensif avant de sourire en me redressant. Très bien. Je me levai et récupérai deux couvertures histoire qu'on ne soit pas à même le sol et qu'on ait de quoi se couvrir en cas de fraîcheur. Prend les oreillers, dis-je avant de te voler un baiser puis de ma main libre, j'empoignai la guitare et sortai de la dépendance pour qu'on s'installe un peu plus loin. Y avait pas une lumière, c'était calme... et surtout, y avait aucun nuage. Ca t'arrive souvent de faire du camping ou dormir à la belle étoile ? J'étais curieux. Moi j'avais dormi dehors pendant trois ans... c'était presque avec nostalgie que je dormais dans le jardin plutôt que dans le chalet.

Nos conversations à mon arrivée, étaient plutôt lourde... Mais c'était nécessaire de les avoir, pour qu'on puisse passer à autre chose. Dès que tu m'as demandé de dormir avec toi cette nuit, j'ai senti un poids se décharger de mes épaules. C'est bien la première fois que je parle à quelqu'un de ma mère, j'espère que c'est la dernière, parce que c'était tout sauf agréable. J'accepte avec plaisir de dormir à la belle étoile, moi qui n'ait jamais fait ça auparavant. Ça sonne plus romantique de dormir sur le gazon dehors à observer les étoiles, que de dormir collé serré sur un matelas minuscule. Et rien que pour en rajouter une couche... je te demande de me jouer quelque chose à la guitare. Bah ouais pourquoi pas ? Tu souris, ça t'a étonné que je te demande ça, mais t'acceptes d'le faire quand même. Tu te lèves d'une traite et prend des couvertures en me demandant de choper les oreillers au passage. Je te souris en retour et me lève pour me soumettre à tes ordres. Un baiser furtif plus tard, tu prends la guitare et sors dehors. Je te suis pas très loin derrière. Il fait sombre déjà, je n'ai pas réalisé à quel point le temps avait passé depuis que j'étais arrivée ici... Puis c'est silencieux aussi, on entend rien que des crickets en fond, loin d'ici. Non en fait... c'est la première fois. Te dire que je n'ai jamais fait de camping ou de nuit à la belle étoile, c'est presque honteux, vu ta situation... Je te ressemble sur beaucoup de points, je te comprends pour ta mère... mais jamais je ne pourrai dire que je sais ce que tu as vécu ces trois dernières années. Comme t'installe les draps parterre, je positionne les oreillers dessus avant de m'asseoir sur le petit lit qu'on venait de se faire. J'ai déjà essayé une fois, mon père et moi étions partis pour un week-end de pêche... Mais j'avais trop peur des bruits dehors et il faisait trop froid, alors on est rentrés sans y passer une seule nuit. Je ris et humecte mes lèvres, puis m'appuie sur mes mains pour regarder le ciel. On s'est arrêtés pour des pancakes à 2h du matin, dans un petit resto sur le bord d'une autoroute. Mon père a abusé du jukebox, il m'a foutu la honte à vouloir danser en plein milieu de la pièce, même s'il n'y avait que la serveuse, le cuisinier et un vieux... Encore une fois, je rigole avant de rouler les yeux. Il n'a pas un once de gêne dans cet homme, il fait ce qu'il veut, quand il veut.

J'installais la première couverture au sol en l'étalant bien, puis posai la deuxième pliée dessus pour qu'on l'ait à portée de main si jamais on voulait s'en servir, ce qui serait certainement le cas puisque même en été, les nuits sont parfois fraîches et suffisent à faire frissonner une personne immobile. Tu m'avouais alors que c'était la première fois et je ne pus m'empêcher de sourire en te regardant. Tu semblais gênée, pourtant ça me faisait plaisir plus qu'autre chose. J'allais pouvoir te faire de nouveaux souvenirs, je te proposais de nouvelles expériences... Tu t'installais sur la couverture après y avoir posé les oreillers et je te rejoignais en t'écoutant me parler de ton père. C'était la première fois que tu me parlais de lui, enfin il me semblait... ? Ca a l'air d'être un bon vivant, répondis-je avec un léger rire alors que je m'allumais une cigarette. Tu devrais essayer... de faire ce que tu veux, quand tu veux. J'veux dire, on vit dans un monde plein de règles, ça rassure beaucoup de gens mais ça ne rend personne heureux non plus... Fallait parfois sortir du cadre pour se trouver et s'épanouir. Tirant une taffe pensivement sur ma cigarette, mon visage s'illuminait quand une idée me vint à l'esprit. Je sais. Je me relevai et retournai à l'intérieur du chalet pour prendre un bloc-notes et un stylo, revenant m'asseoir auprès de toi. On va se faire une bucket list, et j'espère bien en rayer un maximum sur nos deux listes. Croquer la vie à pleines dents, se renouveler, découvrir le monde. Et si nous pouvions le faire ensemble, ça ne pouvait être que fantastique... non ? Je suppose que partir un week-end à la pêche ne fait pas parti de la tienne alors ? demandai-je avec un léger rire, de nouveau. J'étais enthousiaste à l'idée de savoir ce qu'on allait bien pouvoir écrire sur ces listes et surtout... ce qu'on arriverait à réaliser.