(ellya) it has to hurt before it starts to heal

lately i've been losing sleep
dreaming about the things
that we could have been
- - - - - - - - - - - - - - - -
@Cléolya A. Strauss

J’suis dans un état bizarre en fait. D’un côté, je flippe de ne pas avoir mon année, et de l’autre, j’m’emmerde même pas parce que je sais pertinemment que je l’aurai pas. Mais c’est la première partie qui a pris le dessus quand j’ai pensé au tutorat. J’révisais un peu avec Marla mais on ne fait pas du tout les mêmes études, c’est chacun de son côté alors c’est pas forcément évident. J’pense que j’essaie de redevenir le gars que j’étais avant, l’optimiste. J’me dis que y’a encore une chance, même infime, que j’m’en sorte aux examens finaux. J’ai rendez-vous en salle B près de la bibliothèque. C’est un coin de l’université que je ne maitrise pas trop pour être honnête. Mais quand j’arrive, il n’y a toujours personne. C’est bon signe. Ou alors, j’me suis juste planté de salle et l’étudiant qui me fera cours verra déjà à quel point j’suis con. Nice. J’enlève ma veste en jean — j’suis content qu’il commence à re-faire beau temps, je peux porter qu’un simple t-shirt et c’est suffisant — et je m’installe sur un bord de la table en sortant mes études de cas et un crayon à papier. J’essaye d’en lire une et j’arrive déjà à être distrait par les affiches qui tapissent le mur blanc. Ce foutu trouble de l’attention qui empêche mon cerveau de rester concentré plus de trente secondes sur le même truc. Ou alors, c’est juste mon cursus de merde. Je jette un coup d’oeil à la fenêtre qui mène sur le couloir — toujours personne en vue. Je soupire doucement, j’me dis déjà que c’était une mauvaise idée. C’est pas en faisant quelques heures de tutorat que j’vais rattraper toute une année. Mais par respect, j’décide quand même de rester. Au pire j’annulerai les prochains cours. Et en attendant, au lieu de commencer à réviser, je tourne la tête vers l’autre fenêtre qui donne sur l’extérieur, regardant les étudiants aller et venir, le soleil percer les nuages, les oiseaux picorer l’herbe. Tout sauf mes cours, quoi.

— it has to hurt before it starts to heal

— The yard, Cambridge, avril 2018

Peut-être que c'était une façon pour moi, de me convaincre que je n'étais pas si mauvaise. J'en étais pas certaine en fait, je ne savais pas vraiment pourquoi je faisais ça, mais ça m'occupait l'esprit, sans prendre trop de risque de faire des boulettes à cause de mes pensées plus que noirs. J'avais reçu un sms de la secrétaire de l'accueil qui m'annonçait un premier cours en salle B avec Elliot. Toi. T'étais partout. Comme ci mes pensées n'étaient pas déjà accaparé par toi qu'il fallait en plus qu'on me rappeler que je t'avais perdu. Alors, c'était le jour j, je m'étais mentalement préparé à te faire face, une chance pour moi, j'avais déjà un pas d'avance. J'arrivais près de la fameuse salle, n'ayant que le bruit de mes talons qui claquaient contre le sol pour m'accompagner. C'était sacrément calme. Trop calme d'ailleurs. Je soupirais avant de passer le pas de la porte, examinant ta réaction avant de m'installer à tes côtés sans un mot. J'attrapais mon attaché-case que j'ouvrais pour sortir mon ordinateur portable, une feuille blanche et un stylo.

« Imagine que j'suis juste une prof comme une autre. »

Une prof sacrément sexy oui, mais aussi libéré de toute l'emprise que t'avais sur moi aussi.

« On commence ? » Que je soufflais en me concentrant sur ma feuille. « Quelles sont tes lacunes ? »

lately i've been losing sleep
dreaming about the things
that we could have been
- - - - - - - - - - - - - - - -
@Cléolya A. Strauss

Je patientais, sans vraiment voir le temps passer, tapant du pied sur le sol par habitude, regardant par la fenêtre qui donnait sur la cour. Perdu dans mes pensées, je n’entendais même pas tes talons claquer sur le sol. C’est seulement quand la porte de la s’ouvrait que je tournais la tête vers celle-ci. Tête qui se décomposait direct quand je vis… toi. Qu’est-ce tu fais là? Tu passais dans le couloir et t’es venue me cracher à la figure de tout supprimer de toi? Les photos, les messages, les souvenirs? Ou t’es venue m’annoncer tes fiançailles avec Hadès? Ouais, ce message, je l’attendais tous les jours, j’étais persuadé que ça arriverait alors demain ou dans dix ans, ça changeait pas grand chose. J’ai envie de dire un truc, j’ouvre la bouche, puis la referme. J’ai rien à dire en fait. Je sais pas quoi dire. On s’est pas vu depuis l'autre soir, chez Dina. J’sais pas si c’était fait exprès mais t’as parfaitement réussi à m’éviter, même sur le campus. Je te regarde t’installer confortablement, sortir ton ordinateur, une feuille, un stylo. Imperturbable. Et ça parait tellement naturel que j’peux même pas dire si c’est une façade ou la réalité. Une prof comme une autre? Ben, je pouvais pas en avoir une autre justement? Non, t’avais l’air décidée à aller au bout de ce cours. Ok, à la fin de cette heure, j’vais au secrétariat pour me désinscrire du tutorat. Sérieux, c’était quoi ce karma de merde? J’inspire doucement mais profondément, je me force à arrêter de te fixer, pose les yeux sur les feuilles devant moi. Je farfouille, attrape un polycopié. « J’ai besoin de travailler sur l’éco et la négo. » Je te passe ma feuille pour que tu regardes l’étude de cas présente. Ok, on se concentre, tout va bien. C’est une prof de tutorat, j’suis un étudiant, on est plus ensemble, y’a rien de bizarre. Et à force de me répéter ça, j’finirais peut-être par y croire. « J’pense pas que je vais avoir mon année de toute façon mais ça peut pas faire de mal de réviser. » Une autre façon pour te dire : si t’as ailleurs où aller, vas-y, j’te retiens pas, perds pas ton temps pour moi.

— it has to hurt before it starts to heal

— The yard, Cambridge, avril 2018

J'entrais et j'étais incapable de savoir ce que tu pensais, la seule chose que je comprenais réellement, c'était ton état de choc. Ta bouche s'ouvrait, puis se refermait et moi j'étais juste contente de l'effet de surprise. Tu voulais peut-être m'éviter après tout, mais j'étais la reine pour compliquer tes plans. Je gardais cette expression neutre, aucun sourire, aucun dégoût, même si mon esprit repensait à tes baisers avec Serah et l'autre fille dont je ne connaissais pas le nom. Je m'installais et mon emplacement était calculé, j'étais ni trop loin pour pas que tu te dises que j'étais mal, mais ni trop près, pour pas que tu t'imagines que je tentais de te récupérer. J'excellais dans la manipulation de l'esprit et si tu ne connaissais pas cette facette de ma personnalité, parce que j'avais toujours été honnête avec toi, là, j'allais mentir. J'allais même jouer un rôle. Le rôle de cette fille forte, qu'avait déjà tourner la page. Mensonge. J'crevais d'envie de te prendre dans mes bras, j'crevais d'envie de goûter une fois de plus à tes lèvres, mais j'combattais mes démons en te demandant simplement ce sur quoi tu avais besoin d'aide.

« Mmh, je vois. » Que je disais en attrapant la feuille que tu me tendais.

Je regardais brièvement avant de tourner la tête vers toi quand tu m'adressais la parole. Je n'allais pas fuir ton regard Elliot et je n'allais surtout pas te donner ce plaisir en tout cas.

« C'est pour ça que j'suis là. On va tout faire pour que tu l'aies. » Que je soufflais simplement avant de me concentrer à nouveau sur ton document. « Ok, les deux, je peux t'aider, je les pratique au quotidien, mais avant d'commencer, on devrait peut-être mettre de l'ordre dans tes cours, ça t'aide pas à t'y retrouver que tout soit mélangé non ? » Que j'ajoutais en faisant un petit mouvement de tête, que mes yeux imitaient, vers tes feuilles en bordel.

lately i've been losing sleep
dreaming about the things
that we could have been
- - - - - - - - - - - - - - - -
@Cléolya A. Strauss

J’étais pas serein. J’avais pas peur que tu m’engueules, que tu pètes un cable, ça limite je trouverais ça normal. Mais c’était juste totalement étrange que de me retrouver enfermé dans une pièce avec toi. J’avais pas le souvenir de la dernière fois qu’on avait eu un moment à deux comme ça, au calme, sans engueulade. Même avant la rupture, j’avais l’impression qu’on ne se voyait plus. J’pense que c’est ce qui a causé mon éloignement également. Le fait de ne plus te voir, de penser que t’avais tout simplement pas besoin de moi au quotidien. Tu vois? J’me déconcentre déjà pendant que tu lis mon étude de cas. Tu plantes tes yeux dans les miens et ça me décroche un putain de frisson que je dissimule tant bien que mal. C’est comme des épées qui me tranchent la peau. Tu reposes les yeux sur ma feuille et je fronce les sourcils à tes mots. « C’est pas mélangé. » Disons que… « C’est un bordel organisé. »[/color] Ouais, voilà, c’est ça. « Là t’as la négo, là l’éco. » Je sépare deux petits tas. Puis je sépare chacun des tas à nouveau en deux. « Les cas pratiques et le cours. » Tu vois que c’est rangé? T’façon j’avais quoi, vingt feuilles à tout casser. « Hm, c’est tout ce que j’ai. » précisais-je, pour que t’évites de me dire ‘bah elle est où la suite?’. « De toute l’année. » Ouais, quand j’te dis que j’aurai pas mon année, je blaguais pas.

— it has to hurt before it starts to heal

— The yard, Cambridge, avril 2018

Tu ne pouvais même pas savoir qu'au fond de moi, j'étais déstabilisée quand mon regard croisait le tien, mais je devais rester forte, pour moi. J'avais arrêté de penser aux autres, quand Hadès, puis toi, n'aviez eu aucun mal à me briser. T'arrivais à voir derrière ce masque que je n'allais pas bien Elliot ? Parce que moi, je n'arrivais même pas à définir si tu ne te sentais mieux ou pas. Peut-être parce que j'avais l'impression de ne plus rien connaître de toi étant donné que le Elliot que j'aimais, jamais il ne m'aurait trompé. Il fallait croire qu'en plus d'être cocue, je m'étais moi-même trompé en pensant que t'étais différent des autres, différents des rumeurs du parfait connard que t'étais censé être quand on, c'était connu. On échangeait un bref regard, qui me déconcentrait l'espace de quoi, une demi seconde ? Et voilà que tu commençais à me montrer à quel point t'étais organisé dans ton bordel. Un sourire étirait mes lèvres, malgré moi, mais c'était bien, au moins ça prouvait que j'étais pas à deux doigts de craquer.

« C'est... Une façon d'faire, on va dire. » Que j'disais simplement avant de t'accorder toute mon attention de nouveau. « Mmh... Bon, c'est pas grave, j'vais prendre dans mes ressources, donne moi quelques secondes. »

Je cherchais dans les cours que j'avais sur mon mac, pour finalement le mettre au milieu, te laissant tout le loisir de lire une mise en situation bien barbante et banal. Et pour parfaire le tout, tu devais simplement remarquer la faille dans le contrat et en négocier un meilleur.

« Prends bien le temps d'analyser la tournure des phrases et les chiffres dans le contrat surtout. »

Je te montre comment je suis organisé dans mon pseudo-bordel. Déjà, ça justifie mon bordel. Et en plus, ça me donne quelque chose sur quoi me concentrer pour éviter de penser à toi, pour éviter de te regarder comme un vautour. Tu décides finalement de sortir tes propres polycopiés. Ah bah désolé si les miens ne te vont pas. Comme mes réflexions à l’époque, apparemment. Bref. Je croise les bras sur la table, tournant la tête vers l’écran que tu pousses un peu vers moi. J’commence à lire, j’prends mon courage à deux mains et toute la concentration que j’ai. C’est-à-dire pas beaucoup. Parce que ça me saoule déjà. C’est des mots compliqués pour pas grand chose, des longues phrases barbantes, j’ai clairement pas envie de m’y pencher. J’suis obligé de me reprendre, de relire la même phrase six fois de suite pour comprendre ce que j’ai lu juste avant sans prêter attention. Je me remets à taper du pied frénétiquement par terre, je joue avec mon crayon, mes yeux dérivent vers la fenêtre derrière toi, où les gens passent dans le couloir. Puis je reporte mon attention sur l’écran d’ordinateur, quelques secondes, avant de tourner la tête vers la cour, faisant tourner mon crayon entre mes doigts. J’ai pas la réponse à ta question, t’façon, alors j’me contente d’hausser les épaules sans vraiment faire d’effort pour y réfléchir totalement.

— it has to hurt before it starts to heal

— The yard, Cambridge, avril 2018

Tu hantais mes pensées et je n'étais pas totalement sereine maintenant que j'étais face à toi, alors j'essayais de combler tout ça avec ma seule volonté. Je te trouvais un exercice pour le coup complet qui pouvait très clairement t'aider. Tu commençais à lire, avant de détourner le regard une première fois, puis de te reconcentrer, ainsi de suite. Alors je te fixais, croisant les bras sous ma poitrine, analysant malgré moi ton comportement. Puis tu haussais les épaules en signe d'abandon et moi, je me contentais de lever les yeux aux ciels. Je savais que ce n'était pas de ta faute, mais j'avais l'impression que tu n'essayais même pas.

« On va faire autrement. » Que je soufflais en me rapprochant de toi. « Regarde là. » Que je disais en me concentrant en pointant une phrase minuscule sur le contact. « Sous réserve d'un résultat supérieur à 10%. » Que je disais en replaçant une mèche derrière mon oreille et de tourner le visage vers toi. « 10% c'est bien trop haut, on parle de plusieurs centaines de milliers d'euros, ils veulent simplement une porte de sortie "au cas où" et ils font tout le même coup. » Que je concluais en me tournant un peu plus vers toi. « Comment tu procéderais pour avoir ce que tu veux toi ? Convaincs-moi que t'es le meilleur et que j'ai raison de te faire confiance. »

Ironie du sort... J'te faisais plus confiance, j'étais plus rien même, mais on ne parlait pas de nous là, juste de l'exercice.

J’arrivais pas. J’arrivais pas à me concentrer quand c’était quelque chose qui ne m’intéressait pas. C’était pas de ma faute, c’est moi, ma personnalité, mon défaut de fabrication. Mon trouble de l’attention. Et j’avais un traitement à la base. Mais j’avais arrêté de le prendre quand j’avais arrêté les drogues. Toutes les drogues. La MDMA, la beuh, la coke, les somnifères, les anxiolytiques. Le seul truc que j’avais pas coupé c’était l’alcool. Me fallait bien un truc pour tenir non? Un échappatoire. Du coup, ouais, mon trouble de l’attention était clairement flagrant là, alors qu’avant, avec le traitement, il était presque imperceptible. Tu reprends la parole, décidant de changer de tactique. Tu pointes une phrase, mais j’suis trop occupé à te regarder remettre ta mèche brune derrière ton oreille. C’est même gênant quand tu reportes ton attention sur moi parce que j’suis toujours en train de te fixer. Tu sors ta science mais je t’écoute pas. Non, je me perds dans la contemplation de tes traits que j’ai pas eu le temps de bien regarder les dernières fois qu’on s’est vus. Et tes mots, ta phrase, y’a trop de double-sens, trop de confusion. « Je suis désolé Cléo. Je suis pas le meilleur, t’as aucune raison de me faire confiance. Mais tu peux pas douter de mes sentiments. T’as pas le droit de douter quand j’te dis que je t’aime. Parce que... Je t’aime. Comme c’est pas permis. »

— it has to hurt before it starts to heal

— The yard, Cambridge, avril 2018

J'étais consciente que pour moi ça coulait de source, mais que pour toi, c'était plus compliqué, alors j'essayais une autre technique, plus simple. Je t'expliquais alors la faille du contrat, pour ne pas te surcharger d'info et y aller petit à petit. Alors je me retournais vers toi et tu me regardais au lieu de regarder l'écran et d'une certaine façon, c'était plaisant de voir que tu me regardais encore malgré tout, mais c'était perturbant. Pourtant, j'te quittais pas du regard, à croire que j'aimais me faire du mal. Et sans briser ce lien, j'essayais de te mettre en situation, sauf que mes paroles collaient certes à l'exercice, mais aussi à nous. Et j'y prêtais pas attention jusqu'à ce que tu t'excuses, encore et que tu tentes de me rassurer sur tes sentiments, mais à quoi bon ? À quoi bon faire tout ça si tu ne veux plus de moi ?

« Je... » Que je disais encore sur le choc. « Je t'aime aussi Elliot... » Que je concluais avant de baisser le regard vers mes escarpins.

Mais c'était plus important si ? Ça changeait quoi à nous deux ? Rien. Rien, parce qu'en plus de m'avoir trompé, tu ne voulais plus de moi, alors tu pouvais me dire tout les mots d'amour, tant que tu ne me dirais pas " Je t'aime et je te veux " je serais incapable de comprendre le sens de tout ça.