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« Pas vu pas pris. »
alysse & lawrie & lily
Ca faisait bien dix ans que Jonathan n’avait pas eu de relation stable avec une femme. A croire que la vie de couple, c’était fait pour les autres, pas pour lui. Ou alors choisissait-il toujours des femmes trop compliquées, aux humeurs taciturnes, qui n’acceptaient pas qu’il refuse de modeler son caractère au leur. Mais sous ses airs bourrus, sa mauvaise humeur quasi constante, et ses prunelles azurs impénétrables, il était capable de tendresse parfois. Une tendresse un peu intransigeante, qui s’affirmait avec l’âge. Mais une tendresse quand même, quoiqu’on puisse en dire. Son pouce traça un sillage sur la ridule de crispation qui marquait le front de Susan. Elle non plus, le temps ne l’avait pas épargnée. Plus que lui sans doutes, pourtant on notait ici et là sur ses traits quelques stigmates qu’elle cherchait à dissimuler sous la finesse de la poudre. Mais il la trouvait toujours belle. Peut-être même plus qu’avant. Il n’avait jamais été très sensible à sa candeur juvénile de jadis. Pas assez en tout cas pour se battre pour elle à cette époque-là. Quoiqu’il en soit, le temps ne s’annonçait guère clément, et les pneus neige ne suffisaient plus pour les empêcher de glisser. Il était préférable de s’arrêter, d’attendre. De continuer à pieds peut-être. Mais s’ils continuaient à rouler, ils finiraient immanquablement par se retrouver dans le décor. La proposition de venir passer quelques jours dans ce chalet avec leurs filles respectives l’avait suffisamment décontenancé pour qu’il oublie de prendre des chaînes. Chaînes qui d’ailleurs leur auraient été bien utiles avec un temps pareil, pour mieux adhérer à la neige qui tapissait la route.
« Il y a des incontournables à ne jamais négliger. » murmura-t-il, alors que ses lèvres se fendaient en un sourire discret, amusé. Il n’était pas inquiet pour lui, le froid ne l’atteignait plus depuis toutes ces années passées en Russie, à devoir affronter le froid polaire. C’était pour elle surtout … Avec des mains pareilles, comment voulez-vous lutter contre la neige, le vent, la tempête ? Il jeta malgré tout un œil précautionneux sur l’extérieur, à jauger le brouillard épais et la neige qui tombait plus drue. Ils ne pourraient pas demeurer là indéfiniment. La batterie de la voiture finirait par lâcher, et ils étaient bien à une dizaine de kilomètres à pieds du chalet qui se trouvait plus en altitude encore. A la limite, il serait peut-être plus prudent de se rendre jusqu’à la station la plus proche. Son sourcil se haussa, espiègle, discret, face à l’avance fortuite de sa passagère. Il se sentait revivre des ardeurs oubliées, lorsqu’il se trouvait avec elle. Il en oubliait presque la décence de son éducation. « On a passé l’âge d’avoir à se justifier. » avait-il murmuré avec un sourire carnassier, fondant sur ses lèvres en faisant fi de l’inconfort de la posture. C’est qu’il avait un break, et pas un mini-bus. Après tout.
***
Installée à côté de la silhouette d’Alysse, les paupières de Lily balbutièrent, interdites. Sa remarque l’avait cueillie sans prendre la peine d’arracher tout à fait les racines, et une vague de ressentiment traversa ses traits si doux d’habitude. Loin d’être docile au point d’accepter toutes les remarques assassines sans broncher, ses lèvres se pincèrent légèrement. Elle connaissait Alysse, ses humeurs incompréhensibles, sa façon parfois brutale de répondre. Mais là, sans s’en rendre compte, elle effleurait des territoires intimes dont elle ne l’autorisait pas à franchir les barrières. Aussi la réponse ne se fit guère attendre, et fusa comme un coup chirurgical qui vient fendre l’air en deux : « Tu pourras juger de mes fréquentations le jour où tu seras irréprochable. Mais en attendant, ces remarques-là, tu peux les garder pour toi. »
Agacée, presque énervée d’ailleurs, Lily se releva d’un bond, son front marqué par les émotions qui se chamaillaient sous sa chair. Ce qui la mettait hors d’elle surtout, c’était de ne pas savoir. D’ignorer le fondement de cette hostilité commune qu’ils nourrissaient en feignant de ne pas se connaître. Ils ne souhaitaient pas en parler ? Peu importe. Mais elle n’allait pas tolérer leurs comportements vindicatifs très longtemps. Aussi, d’humeur plus revêche à présent, Lily remonta d’un geste vif la fermeture éclair de sa doudoune, enfonçant un bonnet sur sa tête et disparaissant presque sous les couches que formait son écharpe autour de son cou. « Bon. On va aller voir. Tous ensembles. Il n’est pas question que je vous laisse y aller tous les deux puisque visiblement vous n’êtes pas capables de vous tolérer comme des adultes respectables. » Et pour le coup, la remarque se tournait davantage vers Alysse, dont l’hostilité était bien évidement plus visible que chez Lawrence. Mais au fond, même s’il était moins « expressif », elle savait que c’était tout comme de son côté. Il ne disait rien, mais ça se lisait presque dans son regard, qu’il ne l’appréciait pas. « On aurait pas des chaînes de voiture ? Ça peut toujours servir quand il neige comme ça. Au cas où ils auraient oublié d'en prendre. » Dans un mouvement volontaire, elle balança son sac sur son dos. Règle d’or, ne jamais partir les mains vides, ou sans provisions. Surtout par un temps pareil, même si franchement, ils étaient encore loin du désastre. La première elle s’engouffra à l’extérieur, ses yeux se plissant pour lutter contre le vent glacé, patientant à quelques mètres de l’entrée qu’ils la rejoignent.
@Alysse Frank & @Lawrence H. Austen© ACIDBRAIN(Invité)