Elle lève les yeux au ciel avec un air de dépit. Si au départ, elle le soupçonnait seulement de la surveiller du coin de l’œil, aujourd’hui, elle en a la certitude. Difficile de dire à présent si c’était flatteur ou inquiétant. Au moins était-elle sure d’avoir toujours quelqu’un sur qui compter si les événements tournaient en sa défaveur, chose qui arrivait bien trop fréquemment à son goût depuis quelques mois. «
Tu ne serais pas un peu paranoïaque sur les bords, à tout hasard ? » bougonna-t-elle, mécontente, remettant en question le côté faussement macho qu'il venait de lui laisser entrevoir. Elle aurait préféré qu’il admette sincèrement qu’il s’inquiétait pour elle. Mais admettre ça, cela serait accepter l’idée qu’elle avait une importance singulière, différente. Il n’était pas prêt pour ça. Elle non plus d’ailleurs. Et plutôt que de s’entêter dans une direction pour le moins … Épineuse, pour une fois elle se contenta de hausser les épaules, disparaissant dans la pénombre jusqu’au vestiaire le temps d’aller passer une tenue plus « appropriée ». Du moins, le pensait-elle, jusqu’à se heurter à son regard en reparaissant cinq minutes plus tard. «
Quoi ? C’est pas bien … Comme tenue ? C’est pour faire du sport … » Son nez s’abaissa furtivement sur sa propre silhouette, alors qu’elle tirait soucieusement sur le bas de son tee-shirt, au cas où il aurait l’idée saugrenue de remonter (il était déjà si long, aucun risque de ce côté à moins de lui mettre la tête à l’envers). «
Le salut ? Parce que si quelqu’un décide de m’agresser, je dois le mettre en pause pour le saluer ? » Ironisa-t-elle avec un sourire espiègle, se heurtant à son air sérieux, trop pédagogue peut-être. Il lui était plus difficile de se concentrer, le sachant son professeur, qu’en d’autres circonstances. «
Pardon. Tu n’aimes pas mon humour. J’ai compris. Je t’écoute. Hum. » Lily resserre ses pieds davantage, prend la mine de la bonne élève, même si sa remarque sur son anatomie lui fait hausser un sourcil, faussement outrée. «
Je ne vois pas de quoi tu parles. La crevette a des antennes. Je n’en ai … Presque jamais. » Référence à ses bouclettes hirsutes, qui refusaient l’équilibre déjà précaire de son chignon improvisé qui commençait d’ores et déjà à se défaire. «
Moui, et bien plutôt que de critiquer ma couleur de cheveux avec ta mine de merlan frit, revenons à des choses plus sérieuses tu veux bien ? Je te trouve très dissipé, pour un professeur. » Bougonne-t-elle encore, espiègle quoique plus sérieuse dans son tempérament savamment maîtrisé. «
Comment ça, tu ne feras « que parer » mes coups ? Ce n’est pas très réaliste par rapport à une situation d’agression. Dans la station, il ne faisait pas que parer le … Enfin … Bref. Comme tu veux. » Elle s’interrompt, ne voulant pas aborder de nouveau ce sujet-là tout de suite, le souvenir de cette station essence. C’est si banal pour lui, tellement gravé dans sa chair à elle. Le contraste est trop grand.
«
A vrai dire, pour être tout à fait franche, j’avais l’habitude de les frapper avec ma bouteille d’oxygène, avant. C’était plutôt efficace. » Avoue-t-elle presque honteuse, quoique légèrement amusée au fond. Elle avait réussi à étourdir quelques soulards aux mains baladeuses avec cette bouteille. Voire à mater des grands gaillards. Un bon coup sur la tête, ou entre les jambes : terminé. Enfin, peut-être avait-elle aussi eu de la chance au moment où cela s’était produit. Enfin tout cela, c’était avant. Maintenant elle n’avait plus que ses petits bras et ses yeux pour pleurer. Quoiqu’il en soit, écartant légèrement les jambes, parallèles, les genoux très légèrement fléchis, son corps se modelait en une posture défensive. En réalité son paternel lui avait inculqué quelques « basiques » d’auto-défense. Le minimum syndical, il avait refusé de lui en apprendre davantage. Elle savait où il était préférable de viser. A savoir, le visage (surtout les yeux), et juste à côté de l’aine. C’était assez délicat de « mimer » une posture sans réelle offensive de sa part, comme si l’instinct ne se déployait alors pas du tout, comme s’il avait besoin d’être malmené pour se débrider. «
En position défensive j’aurais tendance à … Parer avec les coudes. Moins fragiles que les mains, et repliés ils protègent le visage des coups qui étourdissent. Non ? » Elle avait plié les coudes en question, mimant l’attitude, les abaissant légèrement pour l’interroger du regard. Le problème c’est qu’elle n’avait pas du tout peur de lui. Cela rendait sa force friable, et sa rage moins impérieuse. «
C’est plus difficile d’imaginer quand c’est toi. » statue-t-elle, même si elle est toujours résolue à l’écouter dans ses « instructions ».
@Lawrence H. Austen© ACIDBRAIN