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C'est juste que quand j'te vois, ça fait comme des flashs dans ma tête.
Trou noir. Comme ces sphères dans l'espace qu'aspirent toute lumière, toute distinction. Ce n'est pas mauvais, mais c'est impossible à déchiffrer, impossible à comprendre, impossible à saisir. J'me sens pris au piège par mon propre esprit, j'deviens mon propre bourreau à m'imposer ces coups de haches pour trancher mes pensées troublées. Je ne veux pas être troublée. Je n'y échappe pas. Elle m'a troublé, comme une tornade silencieuse. Comme un éclair qui fait du bruit à retardement, un séisme qui se propage avant de fendre la terre. Je le prends aujourd'hui de plein fouet en la voyant danser. Qu'elle me plait, qu'elle m'a peut-être plu depuis le début quand même je ne voulais pas la regarder. Ce truc dans mon ventre qui se tord à mesure que je sers les dents et les poings pour ne plus y penser. Lara, c'est l'inconstance, l'à côté, le normal qui vire au surnaturel, ce truc calé aux coins des lèvres qu'on voudrait cracher. J'me déteste à cet instant précis de l'avoir regardé, d'être venu ici, parce que c'est le coup de poing dans le ventre. Comme si on m'épinglait les paupières à la colle pour me forcer à observer une évidence que je ne veux pas admettre. Ma tête en arrière, lourde de ses psittacismes saccadées, j'observe le plafond blanc. Et puis le noir. Et puis le blanc. Le noir encore quand j'ferme les yeux, tente de chasser ce trop plein d'émotion, de reprendre un souffle léger. J'voudrais être léger, j'voudrais ne pas me sentir aussi concerné, aussi attaché à ce que je viens de voir. Ses mouvements, ses courbes, son humanité en explosion. Et je lâche un rire nerveux malgré moi en me rendant compte d'à quel point je suis idiot. Je suis là, comme un abruti gêné devant son premier rendez-vous. J'me moque de moi en passant une nouvelle fois ma main sur mon visage me rendant compte de mon ridicule, de l'absurdité de la situation. Nous allons dîner, parce que j'en ai envie. Si elle me suit, peut-être qu'elle en a envie aussi. Pourquoi suis-je sans arrêt obligé de rendre tout grave ? Je rend tragique toutes mes pérégrinations, pourtant il n'y a rien de tragique. Il n'y a rien de tragique ni de pathétique à avoir trouver cette fille belle Noah, pas plus qu'il n'y de problèmes à dîner avec elle. Dîné, rencard, soirée, tu l'as fais mille fois. Je sais, je sais. Mais ce n'est pas pareil. Cette fille est ... Je sursaute. Sa voix me fait sortir de ce mélodrame interne, je crois que mon cerveau est une tele novela à lui-même. J'me redresse d'un coup et en la voyant sourire, mon sourire s'éclaircit aussi. On était deux murs l'un face à l'autre tout à l'heure, j'crois qu'on se rend compte qu'on est bête dans nos forteresses : "Voyons, tu sais autant que moi que si j'me mets à danser, je risque d'être meilleur que toi, et ça ...", me relevant assez péniblement, un sourire malicieux sur les lèvres : "Tu aurais du mal à le supporter". J'attrape ma canne et m'avance vers elle, apaisé. J'crois qu'elle me fait rire. J'crois que je me languis de cette soirée : "Fais-moi penser à t'offrir un bouquet de sèche cheveux la prochaine fois", désignant des yeux sa tête trempée. Peut-être une manière déguisée de dire que ça ne s'arrêtera pas à ce soir. Peut-être une manière de souligner que c'est effectivement un rencard. Je la rattrape sur le pas de la porte et me met à marcher avec elle en direction de la sortie : "Je meuuuurs de faim, je pourrais manger un éléphant", dis-je avec la voix de Simba dans le Roi Lion. Quoi ? Cette spontanéité vient vraiment de moi ? On sort du bâtiment et je vois Kenneth s'empresser d'ouvrir la portière arrière. Je fais mine de faire une tête mi-boudeuse, mi-fermée, m'arrêtant un instant : "Je ne sais pas lequel de lui ou de moi est le plus content de te voir". Et je tourne le visage vers elle avant d'esquisser un rire léger : "Au moins, tu auras fait un heureux ce soir".
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