HAPPASIYA ► everytime here for you

Happy et moi avions deux existences tout à fait différentes l'une de l'autre mais il n'en demeure pas moins que nous avions tous les deux trimer. Pas de la même manière mais le résultat était le même, nous ne pouvions compter que sur nous-même et la tâche n'était pas aisée.

-C'est la même réaction que les gens ont dès qu'on a quelque chose de différent. Tu vois pourquoi je protège Anabel. Elle aussi on la fuirai si on savait ce qu'elle a.

J'étais "vexée" que Happy se montre froid mais je ne pouvais pas lui reprocher, il était visiblement susceptible et ma réaction de surprise l'avait refroidi, ce que je pouvais tout à fait comprendre. Pour autant, je ne comptais pas le lâcher, je voulais essayer de l'apaiser puisque c'est moi qui avais créé cette gêne.

-Je ne me prostitues pas, non, mais je n'ai pas toujours le choix, il me faut parfois faire des choses qui me rebutent et ce depuis des années. Parce que je suis pour ainsi dire livrée à moi-même et parce que j'ai la charge de ma soeur.

Je me détachai légèrement de lui pour pouvoir le regarder dans les yeux.

-On rame tous les deux. Pas de la même manière, mais le résultat est le même. La vie ne nous a pas gâtés mais on n'a pas le choix que de s'assumer pour survivre. Alors si, Happy, malheureusement, je comprends ce que tu vis et ce que tu ressens. Certes je ne me sacrifie pas physiquement dans le sens propre du terme, mais la galère, je la retrouve, les choix difficiles, la honte aussi.

« Et je crois que je ferais la même chose pour ta sœur si jamais elle était la mienne » admit-il, encore tendu, se maudissant d’avoir tant de mal à reprendre cette légèreté qu’ils avaient en début de conversation. Anastasiya avait si bien réussi à le détendre au départ qu’il se surprenait lui-même d’être aussi distant. Mais son instinct de survie revenait au galop dès qu’il se sentait menacé, que la « menace » soit réelle ou pas. Il lui faudrait encore quelques minutes pour mettre de côté, sans hélas pouvoir oublier, la réaction de la jolie brune. Happy attendit néanmoins de sentir se détacher pour lui offrir un petit sourire, preuve qu’il comprenait où elle voulait en venir et que la galère les marquaient aussi bien l’un que l’autre, même différemment. « Je crois qu’on est tous les deux livrés à nous-mêmes et qu’en se débattant comme des beaux diables, on oublie parfois à qui pouvoir faire confiance. Je n’avais pas vu les choses sous cet angle et je suis ô combien désolé que tu aies à vivre cette vie là. Tu mérites mieux. Quant à moi… excuse-moi d’avoir mis du temps à me détendre, mais ma mémoire ne me fait rien oublier. Chaque détail, chaque instant, chaque chose bonne comme mauvaise est à jamais gravée dans ma mémoire. J’arrive à le gérer les trois quart du temps, mais ce soir je ne suis pas dans mon état normal. Tout déconne à plein tube chez moi, que ce soit mon ouïe ou le reste. »

La réponse de Happy ne me surprit pas, j'avais bien vite décelé qu'il était adorable et qu'il avait le coeur sur la main, au moins avec les gens qui avaient sa confiance. Certes m'occuper d'Anabel n'était pas facile tous les jours mais c'était devenu un de mes raisons de vivre et si je n'avais plus sa responsabilité à l'avenir, j'étais sûre d'en éprouver un grand manque.

-Ni toi ni moi n'avons le choix, la vie pour nous est comme ça, on a toujours l'espoir de pouvoir la rendre meilleure. C'est pour ça que l'on s'est compris tous les deux et que je tiens tant à toi. Tout ce que je pourrai faire pour toi, je le ferai, même si tu veux m'en empêcher. Parce que je vois que tu fais déjà le maximum pour t'en sortir, tu mérites bien que l'on t'épaule quand c'est possible. C'est parfois difficile à accepter mais il faut apprendre aussi à se reposer parfois sur les autres pour alléger son fardeau. Tu peux me faire confiance, tout ce que je pourrai faire pour toi, ce sera avec plaisir, je ne te demanderai jamais rien en retour.

Il était perturbé, je le voyais bien et je n'avais rien fait pour arranger la situation en réagissant comme je l'avais fait.

-Dis-toi que tu ne seras jamais seul, tu pourras toujours compter sur moi. Je suis vraiment désolée d'avoir réagi comme ça, j'ai simplement été surprise. Mais il n'y a eu aucune réaction de dégoût dans mon geste. J'aurais tenu la main d'Anabel en entendant tes mots, j'aurais réagi de la même façon, tout comme si j'avais eu un objet entre les mains, c'est une façon de réagir incontrôlable et inexplicable, rien de plus.

Les deux tirades d’Anastasiya n’eurent pour effet que de rendre Happy plus sûr encore de la confiance qu’il portait en elle. Effectivement, bien qu’il ait pensé le contraire, elle ne pouvait que comprendre la situation merdique dans laquelle il se trouvait, les problématiques étant les siennes ainsi que ses efforts, parfois vains, de rendre son existence aussi confortable que possible. « J’ai confiance en toi, Ana. Si ce n’était pas le cas, tu n’aurais pas été la première personne que je serais venu voir pour parler de mon ouïe. J’ai confiance en toi et je tiens à toi. Je comprends ta réaction mais c’est con… l’espace d’un instant, j’ai eu peur de te perdre. Que tu te détournes de moi, parce que j’ai ce métier, parce que je ne suis pas un homme plein aux as… parce que moi, je ne peux pas t’offrir autre chose que ce que tu vois actuellement devant tes yeux. Grâce à toi, je tiens à peu près la barre, et l’amélioration de ma vie comme tu en parlais il y a un instant, j’y parviens parce que je sais que tu me fais confiance et que je te fais confiance. Tu vois, ça ne tient pas à grand-chose… » admit-il dans un souffle, avant de chercher ses doigts en frôlant la main de la jolie brune du bout des siens.

Happy était vraiment un homme extraordinaire, je n'en doutais pas, il était parmi les hommes exceptionnels que j'imaginais dans mes rêves mais que j'estimais ne jamais devoir rencontrés de ma vie, et pourtant. Certes il n'était pas parfait, moi non plus, loin de là, mais nous étions suffisamment bien l'un aux yeux de l'autre, c'était le principal.

-Je ne te demande pas de m'offrir quoi que ce soit à part ton sourire. Je me moque de l'argent, je n'ai pas été élevée dans le luxe, je m'estime heureuse du moment que j'ai un toit sur la tête, ce qu'il faut dans mon assiette et que je suis bien dans ma tête.

En sentant sa main frôler la mienne, je l'attrapai gentiment, bien décidée à ne pas la lâcher cette fois-ci.

-Quoi qu'il advienne, je serai à tes côtés. Et... Même si un jour tu devenais sourd, je ne t'abandonnerai pas. J'apprendrai le langage des signes pour rester lier à toi.

Pour un peu, on n'aurait cru une déclaration d'amour...

Happy esquissa un petit sourire tendre, sa main allant caresser du bout des doigts la joue d’Anastasiya quelques instants. « Je sais que tu ne me demandes rien, au même titre que je ne te demande pas de m’aider. Mais je le ferais si je le peux ou le pouvais. Je voulais simplement que tu le saches. » Qu’elle comptait pour lui, qu’il avait suffisamment de débrouillardise pour ne pas la laisser se mettre dans la merde pour lui et mieux encore, qu’il ne la laisserait pas l’aider alors qu’elle avait sa petite sœur à charge. Hors de question. Il ne s’agissait pas là d’orgueil masculin déplacé mais de bon sens… « C’est la première fois qu’on me promet d’apprendre le langage des signes si je deviens sourd ! Le pire, c’est que je l’ai appris il y a longtemps, au cas où, mais je refuse de l’utiliser. Franchement, je ne sais pas si je te mérite, Ana… » Leurs mots respectifs étaient si poignants, si vrais que des gens extérieurs auraient pu croire sans crainte de se tromper qu’ils se déclaraient leurs flammes.

Happy était décidément un vrai prince charmant, quelle chance aurait l'élue de son coeur ! Je restai toujours près de lui, nous étions aussi bien l'un que l'autre comme ça alors pourquoi mettre fin à un bon moment ?!

-Je te fais confiance pour toi, tu es bien trop généreux.

Ce n'était pas du tout un reproche, juste une constatation. Quoi qu'il en soit, maintenant que je savais la situation dans laquelle il se trouvait, sans lui dire, je ne manquerais pas de faire des efforts supplémentaires si je pouvais ainsi l'aider dans son quotidien.

-C'est pourtant la moindre des choses. Je ne voudrais pas que tu te retrouves isolé à cause de ça. Cela dit, je comprends que tu repousses l'échéance au maximum.

A mon tour, je lui caressai doucement la joue.

-Et... Il n'y a pas d'opération envisageable pour te rendre l'ouïe ? C'est une maladie génétique c'est ça ? J'espère qu'elle ne s'accompagne pas d'autres problèmes ?

Bien trop généreux ? Happy avait pourtant l’impression de ne pas l’être assez ! Comme quoi, il restait extrêmement dur envers lui-même, partant du principe que ses efforts actuels ne pouvaient pas être assez. « Tu me trouves généreux ? » demanda-t-il, presque surpris en toute honnêteté. Anastasiya aurait certainement un bien meilleur jugement de l’homme qu’il était devenu qu’il ne pouvait l’avoir. « Je me demande bien ce que je ferais si tu ne faisais pas partie de mon existence… tu es bien la seule à m’offrir la perspective de ne pas finir complètement isolé un jour. C’est toujours l’idée que j’en ai eu. Mais non, pas d’opération car c’est une maladie génétique. S’il y a d’autres risques, je ne sais pas. C’est héréditaire parait-il… »

Happy m'avait tout l'air d'être dur avec lui-même, comme beaucoup de personnes élevées dans la modestie il faut dire. Moi-même je dois bien reconnaître que j'avais tendance à ne pas me faire de cadeau la plupart du temps. Mais pour le moment, sa réaction me fit sourire tant la réponse était évidente à mes yeux.

-Trop même... Tu donnes trop de ta gentillesse.

Je l'écoutai me parler de sa situation. Même si à plus ou moins longue échéance il était condamné à être sourd, je ne voulais pas en faire une fatalité, pour pas lui faire peur, bien sûr, mais aussi parce que pour moi il resterait le même.

-Ce que tu ferais ? Tu aurais certainement rencontré une autre personne à qui te confier. Je ne suis pas indispensable, tu sais...

Je penchai légèrement la tête sur le côté avec un léger sourire.

-Et... Tu voudrais fonder une famille à l'avenir ?

« Je pourrais te retourner la chose… » Anastasiya n’en n’avait sûrement pas conscience, mais rien qu’avec sa sœur, elle donnait énormément de sa personne… sans parler avec Happy. Il n’existait pas un moment où ils ne se donnaient pas mutuellement de leur gentillesse. Pas uniquement parce que c’était inscrit dans leurs gènes mais surtout parce qu’ils en ressentaient l’envie, tout simplement. « Je ne sais pas si je veux des gamins. Avec mon boulot c’est impensable, déjà aucune femme ne voudrait d’une relation sur le long terme ! Puis ma maladie me fais faire quarante pas en arrière là-dessus. Mais toi… pas indispensable… tu es encore plus dur avec toi-même que je ne le suis ! » soupira-t-il, s’étant subitement rapproché du visage de la jolie brune. Ce fut sans doute dans cet instant de douce folie qu’il frôla ses lèvres des siennes. Il en avait envie.