(azmy) the music between us

Tommy manquait d’arracher la poignée de la porte du Sanders Theater avant de rentrer dans l’énorme pièce. Il avait passé une mauvaise journée. C’était pas une de ces journées où tout allait mal et où la chance n’était pas de son côté; il s’était juste levé du pied gauche. C’était comme une rage qui le consumait de l’intérieur et qu’il n’avait toujours pas réussi à calmer, bien qu’il était trois heures et demie du matin. Quelques minutes plus tôt il avait décidé de rentrer chez lui mais avait fini par trouver une solution au milieu du trajet. Il avait vite sorti son téléphone et envoyé un message. Sanders Theatre, dans vingt minutes. Je laisserais la porte ouverte. PS: si tu dors, je fais un scandale. Il avait toujours utilisé sa batterie comme un moyen de canaliser son énergie et sa colère, et jouer avec Azraël l’aidait encore plus, il appréciait réellement sa compagnie. Il s’installa devant la batterie déjà sur scène en scrutant la porte, attendant l’arrivée de la jeune femme. Il s’ennuya rapidement et fit glisser ses baguettes dans ses mains. Il joua le début de the view from the afternoon histoire de se défouler avant de remarquer la présence d’Azraël qui venait d’entrer. Il s’arrêta avant de lui offrir un sourire. ”Je commençais à me dire que t’allais pas venir.” Il fit tourner sa baguette de batterie entre ses doigts en attendant qu’elle le rejoigne sur scène.

Je tournais en rond. Dormir, me réveiller, dormir, me réveiller encore. Le genre de cercle sans fin, qui ne veut pas s'arrêter. Et quand j'trouvais le sommeil encore une fois, c'était mon téléphone qui choisissait de ne pas vouloir la mettre en sourdine. Fucking vie. Sanders Theatre, dans vingt minutes. Je laisserais la porte ouverte. PS: si tu dors, je fais un scandale. Soupir. L'pire, c'est que j'étais même pas capable de le refuser. Premièrement, c'était de la musique, je le savais bien. Deuxièmement, c'était Tommy. Fuck. Bref, je me notais à moi même d'arrêter de placer le mot fuck dans toutes mes pensées, enfilait une veste, un jean et quittais mon appartement l'air complètement ailleurs. Faudrait m'excuser mais Morphée jouait au con avec moi. Pas m'laisser dormir quand j'faisais le flan dans mon lit, tenter de m'assommer quand je marchais dans la rue. Bref. Le Sanders Theatre était là et j'poussais les portes encore à moitié endormir alors que Tommy prenait la parole. ”Je commençais à me dire que t’allais pas venir.” Tu m'as déjà vu refuser un de tes rendez vous ? Réponds pas "oui" mec, ce serait un mensonge. Je me traînais jusqu'à la scène, m'asseyant à côté de lui avant de lui voler une baguette. J'te rappelle que t'as promis de m'apprendre à taper sur ta femme. Non mais clairement, la batterie c'était sa meuf. J'penserais même pas être choquée s'il lui filait un prénom.

Il avait du mal à arrêter de sourire en la voyant. Il savait qu’elle venait de se réveiller ou du moins qu’elle avait été dans son lit. Elle avait l’air fatiguée et avait cet air sur le visage que les enfants ont quand ils ont envie de dormir. C’était assez attendrissant il fallait dire, et il sentait la colère se dissiper petit à petit. En la voyant comme ça il se rendait compte qu’il était vachement fatigué lui aussi; il ne l’avait pas senti mais il avait plutôt sommeil lui aussi. ”Non, en effet. Tu peux pas résister”, il répondit avec un grand sourire. Elle prit place à côté de lui et il se décala légèrement pour lui faire de la place. ”Déjà,” il lui prit la baguette des mains pour la faire tourner une fois de plus dans la sienne, ”J’lui tape pas dessus. Disons que j’la caresse.” C’était qu’à moitié vrai. Il y allait quand même assez fort la plupart du temps mais il n’était pas violent avec elle non plus. Ouais on parle encore de la batterie, là. ”J’sais pas si t’es prête pour ma femme. Elle est jalouse quand c’est pas moi qui prend soin d’elle, tu vois.”

De toute manière, j'étais peut être un peu mal placé pour parler. S'il agissait avec sa batterie comme il devrait agir avec la femme sa vie, j'étais pas spécialement mieux avec mon violon. Déjà, j'avais pas de tune alors forcément, j'avais économisé un paquet pour me payer un instrument digne de ce nom. Disons donc que maintenant, j'y accordais peut être un peu plus d'importance qu'à ma propre vie. Fallait pas chercher à comprendre, c'était comme ça que ça fonctionnait quand on tombait amoureux de la musique au détriment du reste. ”Non, en effet. Tu peux pas résister”, J'souriais secouant la tête cherchant même pas à répondre. Il aimait bien s'envoyer des fleurs, c'était un fait. ”Déjà, j’lui tape pas dessus. Disons que j’la caresse.” Je levais les yeux au ciel esquissant un sourire amusée. J'crois qu'on va devoir revoir ta définition de caresser. Clairement hein ? Parce que s'il caressait une nana de la même manière qu'il le faisait avec sa batterie, j'avais légèrement peur de l'état de la fille juste après. Genre : un bleu par ci, un bleu par là.. Ouais non, c'était définitivement pas des caresses. ”J’sais pas si t’es prête pour ma femme. Elle est jalouse quand c’est pas moi qui prend soin d’elle, tu vois.” J'souriais encore relevant mes cheveux en un chignon pour dégager mon visage avant de reprendre. J'choisis une partition au hasard, toi à la batterie, moi au piano. Le premier qui s'trompe dans la mélodie perd. Si tu perds, tu m'apprends à jouer de la batterie. Deal ?

La batterie du Sanders Théâtre c’était pas vraiment celle de Tommy mais il avait appris à s’y habituer. Il avait ramené la sienne mais elle était assez difficile à transporter et il n’avait pas vraiment l’occasion d’en jouer au plus grand plaisir de ses voisins. Il avait commencé à se dire qu’il aurait dû la laisser aux Pays-Bas mais parfois il aimait juste la regarder, se remémorant à quel point elle lui avait sauvé la vie, sa vieille batterie poussiéreuse. Il savait qu'Azraël, c’était un peu la même chose avec son violon. Ils étaient tous les deux passionnés. Il souriait en entendant sa réplique. C’était sûr que c’était pas des vraies caresses. Mais il était pas comme ça, en réalité. Tommy avec les filles, il était doux. Mais il en avait pas aimé beaucoup, fallait dire. ”Et si j’gagne?” Il pointait une baguette vers elle. ”Tu m’apprends à jouer au piano.” Il était prêt.

Et faudrait peut être qu'un jour j'arrête de faire des deal sur tout et n'importe quoi. Ouais, c'était beau l'espoir. Mais fallait quand même avouer que j'adorais avoir ce que je voulais et forcément, pour rendre les choses équitable, je lançais des petites compétitions. L'souci qui allait avec ça ? J'étais la pire mauvaise perdante au monde. Clairement. Même pendant une partie des petits chevaux, j'étais capable de déclencher une tornade si le putain de dé ne voulait pas faire un six pour me permettre de gagner. Ouais en fait c'était légèrement dangereux de jouer avec moi. ”Et si j’gagne?” J'haussais les épaules sans rien dire. ”Tu m’apprends à jouer au piano.” Ouais, deal. Je me levais quittant ma place à côté de lui pour récupérer une partition au hasard lui donnant la sienne pour la batterie et prenant la mienne. T'es prêt à perdre ? J'ai trop de confiance en moi.com. Mais j'savais aussi que Tommy était un excellent musicien pour ne pas dire le meilleur. Non mais parce que la meilleure c'était moi. Sauf qu'on était dans deux domaines différent et forcément, pour le coup, celui qui perdrait serait celui qui manquerait pendant une fraction de seconde de concentration. M'asseyant sur le banc devant le piano, j'inspirais un coup. Un, deux, trois, quatre. Mes doigts s'posaient sur les touches laissant les premiers sons sortir de la boîte à musique. Que le meilleur l'emporte.

C’était pas la première fois qu’Azraël lui lançait un défi et il savait que trop bien à quel point elle avait l'esprit de compétition. Pourtant, ce n’était pour autant qu’il allait la laisser gagner. Il pouvait être un assez mauvais perdant, lui aussi. Il eu un rire en l’entendant. Tom était pas le seul à se lancer des fleurs, ce soir. Il jeta un coup d’oeil à la partition, le morceau était plutôt court. Elle s’installa et il la rejoignait à la batterie quelques secondes plus tard. C’était une sorte de mélange entre du jazz et du hip hop qu'il avait tout de suite bien aimé. Au début, la mélodie était assez lente mais au fil du temps elle devenait de plus en plus rapide et intense. Il se tournait fréquemment vers elle, l’observant jouer parfaitement, totalement concentrée. Il essayait de capter son attention, le sourire aux lèvres, histoire de la déstabiliser, mais aucun d’entre eux ne semblait enclin à faire une faute. Avant qu’il ne puisse s’en rendre compte, le morceau était fini et ils l’avaient réalisé à la perfection. ”J'ai peur de l'annoncer, mais j'crois bien que c'était un match nul.” Fallait dire que pour deux étudiants à moitié endormis à quatre heures du matin, ils étaient plutôt pas mal.

S'il y avait bien un truc qu'on ne pouvait pas m'enlever, c'était la concentration. Quand je voulais quelque chose, je l'avais. En règle général. Alors forcément, j'puisais le plus possible dans mon cerveau pour ne me concentrer que sur la partition et la mélodie oubliant tout le reste autour de moi. Genre, vraiment tout. J'avais cette particularité de pouvoir me déconnecter du monde quand je jouais et ouais, j'faisais aucune faute. Aucune. Tout était parfait jusqu'à la fin de la chanson. Le problème ? Tommy n'avait pas merdé non plus. ”J'ai peur de l'annoncer, mais j'crois bien que c'était un match nul.” J'poussais un soupir quittant mon banc pour retourner vers lui. J'suppose donc que tu vas devoir m'apprendre la batterie et moi le piano. C'était un deal comme un autre après tout. Et ça m'allait tant que je pouvais avoir ce que je voulais au final. Fallait juste qu'il accepte mais y avait pas de raison. J'prenais une nouvelle fois place à ses côté tournant la tête vers lui avant de lui faire le genre de regard qui servait à faire craquer les gens. Allez, s'il te plaaaaait. J'pouvais même promettre de prendre soin de la batterie jusqu'à ce que la mort nous sépare s'il le fallait. J'ferais ce que tu veux. Et parfois, fallait que j'apprenne à la fermer au moins un peu. Ouais, ça pourrait être pas mal.

Parfois il s’offrait le luxe de la regarder jouer. Lui aussi, il était comme elle, concentré et complètement investi dans le moment; dans la musique. Mais, quelquefois il se tournait et l’observait. C’était comme s'il se voyait en elle. C’était assez captivant. Et puis c’était un sacré bout de femme, Azraël. Il penchait la tête alors qu’elle s’approchait, visiblement déçue de ne pas avoir eu ce qu’elle désirait. Gagner. Il souriait face à ses yeux de chien battu; il y avait quelque chose d’enfantin en elle. ”C’est une proposition intéressante”, il répondit avec un petit rire. Il fit tourner sa baguette dans ses doigts avant de la lui tendre. ”Ok.” Il lui montrait rapidement le charleston, la caisse claire et la grosse caisse, en les lui présentant comme les éléments basiques de la batterie. Il avait jamais appris à personne à jouer à part Nienke et il voulait bien le faire. ”On va commencer avec le charleston.” Il lui montrait comment frapper sur l’instrument, le rythme assez lent pour qu’elle puisse suivre. Lorsque ce fut son tour il ne pouvait pas s’empêcher de sourire, elle tenait la baguette maladroitement et le son n’était pas tout à fait clair. ”Attends, j’vais t’aider.” Il déposa sa main sur celle d’Azraël pour l’accompagner et cette fois le son était beaucoup mieux. Il savait que c’était dangereux de s’approcher trop près d’elle et il ne voulait pas avoir à faire comme si de rien n’était une fois de plus.

Pourquoi fallait-il toujours que je finisse par sortir quelque chose comme ça ? Faire ce qu'il veut.. C'était dangereux comme proposition au fond. Vraiment. Et j'aurais préféré pouvoir effacer les mots mais malheureusement, c'était pas possible. ”C’est une proposition intéressante” Dans ta gueule Az. Ouais, ça m'apprendrait à toujours en faire trop. Et pour la peine, j'étais curieuse de savoir ce qu'il pourrait bien demander par la suite. ”Ok.” Bref, il avait accepté et j'mettais toute mon attention sur lui le laissant expliquer le principe de chaque élément. ”On va commencer avec le charleston.” L'air soucieux, j'essayais vraiment d'imprimer chacune de ses paroles prenant la baguette en main quand mon tour venait enfin pour essayer. Echec, ça ne ressemblait absolument pas au son qu'il avait produit quelques secondes avant. J'poussais un soupir essayant une deuxième fois et.. C'était pas vraiment concluant. Pourquoi ça marche pas ? Ouais, ça m'énervais pas du tout. ”Attends, j’vais t’aider.” J'soupirais encore une fois -une habitude chez moi- alors qu'il posait sa main sur la mienne pour m'aider et.. Ouais, c'était concluant pour le coup. J'tournais la tête vers lui avec un sourire reprenant la parole Dis moi que je suis pas totalement nulle. Ouais, histoire de m'donner un peu de motivation quoi. Et.. Bizarrement, c'était comme la dernière fois. L'atmosphère un peu trop lourde, lui un peu trop proche de moi à moins que ça ne soit le contraire, sa main toujours sur la mienne et mes yeux plongés dans les siens en l'attente d'une réponse. Nop, dérape pas encore une fois.