(+) Une biche à sauver. w/ Bambi

« J’ai bien l’impression tout de même que votre tempérament n’est pas des plus faciles à supporter »rétorquais-je sans me démonter. Je n’avais pas peur d’elle aussi étrange que cela puisse paraitre. En réalité, je n’avais jamais vraiment eu peur de quoique ce soit dans ma vie. « Ma sœur a été enlevée quand elle n’avait que trois ans… Elle avait une tâche de naissance en forme de croissant de lune sur l’épaule et un grain de beauté juste en dessous du nombril. Lorsqu’elle était nerveuse, elle avait l’habitude de se toucher le lobe de l’oreille. Elle aimait aussi peindre et j’essayais par tous les moyens de lui acheter des feuilles et de la peinture pour qu’elle puisse s’amuser » débitais-je tout en la soignant, me concentrant du mieux que je pouvais pour faire abstraction du sang.

« Mon tempérament vous emmerde, vous vous regardez dans une glace de temps en temps ? » Bambi ne se laissa pas plus démonter, après tout, elle n’était pas ici pour se faire insulter, même s’il n’y avait aucune violence dans ses propos, plutôt de la lassitude… qui se transforma bientôt en air horrifié face à ses propos. Elle saisit d’ailleurs l’une des mains d’Hippolyte, en train de la soigner. « Wow, wow, wow ! D’où vous savez tout ça ? » Là, la conversation était très différente. Bambi montra même son croissant de lune sur l’épaule sans savoir réellement pour ça. « C’est quand même pas possible. Je suis née au Monténégro, ça ne peut être qu’une coïncidence » fit-elle en se touchant effectivement le lobe de l’oreille, très perturbée, sans avoir lâché le poignet du jeune homme.

« Je n’ai jamais présumé que mon tempérament était parfait non plus »lâchais-je avec ironie avant qu’elle ne me saisisse le poignet. Je la regardais avec une certaine lassitude. Combien de fois avais-je cru me retrouver face à ma petite sœur disparue ?! Trop de fois et à chaque fois, l’amer déception m’avait rattrapé. « Parce que tout ce que je viens de vous dire, c’est l’exacte vérité sur ma sœur même si techniquement, elle n’a pas été enlevée mais vendue à une riche famille pour éponger les dettes d’un père alcoolique et addicte aux jeux d’argent »lâchais-je tout en la contemplant. Se pourrait-il que j’étais enfin parvenu à retrouver mon petit joyau ?! « Est-ce que le prénom Dina vous évoque quelque chose ? Dina Kostas Holmes. »

« Eh bah voilà, on avance » fit-elle également avec ironie avant que la situation ne lui échappe totalement, il fallait dire ce qui est. Bambi écouta bien évidemment tout ce qu’Hippolyte lui disait et, sans contrôler quoi que ce soit, des larmes se mirent à couler. Pourquoi, comment, impossible de le décrire. « Mes parents m’appelaient Dina quand j’étais petite avant de se reprendre et de m’appeler Bambi mais j’ai jamais compris pourquoi. Et ils refusaient qu’on aille en Angleterre et en Grèce en vacances. Oh putain… » Elle en lâchant le poignet de son sauveur pour mieux se relever et tenter de faire les cent pas en se frottant énergiquement le visage.

C’était elle. Oui, c’était elle, ma sœur, mon petit joyau. L’émotion fit trembler mes mains car depuis le temps que je la cherchais, mes espérances étaient enfin récompensées. « Tu es née en Grèce, il y a vingt-trois ans. Dans un sens, je suis heureux que tu ais eu une autre enfance que celle que j’ai vécu mais de l’autre, j’aurais aimé pouvoir te garder près de moi mais je n’ai jamais abandonné mes recherches et voilà que tu tombes dans mes bras comme une fleur. Une rose avec des piquants tout de même » rétorquais-je avant de m’approcher d’elle pour prendre son visage en coupe. « Je sais que cela doit être perturbant pour toi et je ne te demande de rien. Je voulais juste savoir ce qu’était devenue ma sœur, être certain qu’elle était toujours en vie, qu’elle se portait bien. J’ai bien conscience que nous ne pourrons jamais rattraper ces dix-neuf ans mais je suis content d’avoir pu enfin te retrouver, mon petit joyau »

Bambi prit une grande inspiration et, même si elle avait gardé le regard vide un long moment, il n’empêche qu’elle écoutait toujours Hippolyte. « J’ai toujours des piquants quand je ne connais pas mais je crois savoir que quelqu’un d’autre aussi… » tenta-t-elle de sourire, surtout lorsqu’il prit son visage en coupe. Il était un parfait inconnu et pourtant elle ne le fuyait pas. Elle se sentait même connectée à lui, touchée par ses mots, la détresse qu’elle sentait au fond de son regard. « Pourquoi est-ce qu’il m’a vendue ? » Sans savoir pourquoi, et même si elle souffrait le martyr, Bambi entoura le corps de son frère de ses bras. Sûrement en avaient-ils autant besoin l’un que l’autre.

« Nous sommes faits dans le même moule »soulignais-je avec un léger sourire, essayant de me détendre mais c’était plus facile à dire qu’à faire surtout que je savais que l’histoire que je lui offrais n’était pas des plus reluisantes. Sa vie n’était pas un conte de fées loin de là et je souffrais par avance d’en être le messager. Je la serrais néanmoins dans mes bras, prenant garde à ne pas la blesser inutilement. « Notre géniteur avait des dettes colossales et après le suicide de notre mère, les choses ne se sont pas arrangées bien au contraire. Alors, dans un premier temps, il nous a trainé de ville en ville jusqu’à passer un accord avec une riche famille qui n’arrivait visiblement pas à concevoir d’enfants. J’ai essayé de les empêcher de t’amener mais je n’avais que cinq ans. Notre père a fini par mourir en s’étouffant avec une cacahuète. Une mort pathétique pour un être qui l’était encore plus »

« Je crois qu’il y a de ça ouais » nota-t-elle en tentant de conserver son sourire mais l’histoire que lui servait Hippolyte l’horrifiait plus qu’elle ne lui vendait du rêve. Ainsi, la famille de Bambi, la biologique, n’était guère plus aimante que celle l’ayant achetée… à croire qu’elle ne soit définitivement pas destinée à être aimée par quelque famille que ce soit au bout du compte. « J’arrive pas à comprendre comment on peut vendre un gosse… nom d’un chien, mais c’est atroce ! Je te rassure ceux qui m’ont achetée n’étaient pas mieux. Mais je suppose qu’il t’en a fait voir des vertes et des pas mûres à toi aussi ? »

« Notre mère nous aimait, je tiens à ce que tu le saches. Elle a toujours fait en sorte de nous protéger mais il a fini par la briser… Elle t’aimait beaucoup » tenais-je à ce qu’elle sache qu’elle avait été aimée au moins une fois dans sa vie que ce soit par sa mère ou même par moi, son frère ainé. Je détournais le regard quand elle me demanda si je n’avais pas souffert de notre père. Elle ne s’imaginait pas à quel point mais j’avais toujours eu du mal à parler de mon passé. Même Elisandra n’en connaissait pas la moitié. « Notre père était violent mais il ne t’a jamais touché, j’y ai toujours veillé… Sa mort a été une libération pour moi surtout lorsque je l’ai regardé s’étouffer avec cette misérable cacahuète » avouais-je sans aucune honte. Oui, je l’avais regardé mourir sans lui porter assistance et j’en étais fier.

C’était bien la première fois que Bambi se laissait aller à autant de sentimentalité, à autant de sanglots mais là, la situation l’expliquait diablement bien. « Elle est enterrée où ? » demanda-t-elle, histoire de pouvoir un jour avoir l’opportunité de se recueillir sur sa tombe. « Je crois que j’en aurais été aussi fier que toi de le voir s’étouffer sous mes yeux… pauvre crevard ! » s’exclama-t-elle avant de serrer Hippolyte à nouveau dans ses bras, comme si elle voulait prendre sa peine pour la faire sienne. Et du reste, elle gémit aussitôt de douleur. « J’ai le droit de dire que t’as pas intérêt à me laisser ? »