(+ Caleb) Le jour se lève sur ma peine...

Thaïs n’était pas embauchée depuis quelques jours chez les Weyss pour son arrivée à Harvard que déjà, la matriarche lui offrait de loger dans leur maison afin qu’elle puisse s’entraîner en paix et profiter d’un confort particulier. Au départ, l’irlandaise avait été surprise mais pas fâchée car après tout, cela lui faisait des factures en moins et puis leur maison était tellement… colossale qu’elle en avait presque le tournis, à moins que ce ne soit sa blessure imposante au dos qui en soit la cause. « Bonjour » fit-elle lorsqu’un beau jeune homme ouvrit la porte du manoir après qu’elle y ait frappé « je viens de la part d’Anita Weyss, je m’appelle Jennelyn… je suis la pianiste qu’elle prend sous son aile. Je ne dérange pas ? »

« Poussin, je dois me rendre d’urgence à New York, est-ce que tu peux accueillir notre nouvelle employée ? Et pitié, sois souriant, gentil et grogne pas trop d’accord ? » fit ma mère avant de me laisser en plan, en pantalon de pyjama car je venais à peine de me lever. Bordel, la journée commençait bien ronchonnais-je intérieurement avant de me diriger vers la cuisine pour me faire un petit déj mais à peine avais-je mis les pieds dans la pièce qu’on frappait à la porte. « Pfff journée de merde x2 » grognais-je avant d’aller ouvrir et de tomber sur la fille la plus magnifique qui m’ait été donné de rencontrer. « Caleb. Weyss. Non. Entre »marmonnais-je avant de m’effacer en me massant la nuque, regrettant de ne pas être plus habillé devant elle car j’étais légèrement torse nu.

Thaïs ne s’attendait pas à rencontrer si tôt le fils de ses patrons et surtout à ce que celui-ci s’exprime en monosyllabes. Cela lui arracha un petit sourire de surprise avant qu’elle n’entre, rougissant au passage de le voir si peu habillé devant elle. C’est qu’elle n’avait pas exactement l’habitude ! « Je peux attendre dans le hall si jamais vous étiez dans la salle de bain ou… quoi. Enchanté en tout cas Monsieur Weyss. »

« Appelle moi Caleb et tutoies moi, j’aime pas quand on me vouvoie »lui dis-je aussitôt en lui jetant un petit coup d’œil. « Je viens de me réveiller et ma mère a du s’absenter, tu l’as manqué de peu » lui expliquais-je avant de bailler en me massant la nuque. C’était toujours ces foutus cauchemars qui m’empêchaient de dormir. « Tu veux que je te fasse visiter ? » lui demandais-je sans trop savoir quoi faire d’autre.

« D’accord, entendu Caleb, et sincèrement désolée de te réveiller pour le coup ! » hocha-t-elle la tête sans perdre son sourire, véritable arme fatale pour devancer sa propre timidité. On fait ce que l’on peut avec ce qu’on a, comme dit l’autre… « Ce n’est pas grave, ta mère m’a déjà donné une liste de compositions de piano qu’elle souhaite que je joue à sa prochaine soirée de gala donc j’ai de quoi faire. Je veux bien que tu me fasses visiter oui, que je puisse me mettre à travailler » lui demanda-t-elle sans oser le devancer de peur qu’il ne touche son dos extrêmement douloureux.

« J’ai pas dit que tu m’avais réveillé non plus »rétorquais-je en haussant les épaules, rajoutant simplement un léger sourire en coin pour atténuer mon côté bourru. J’hochais néanmoins la tête à ses explications avant de lui faire signe de me suivre, lui montrant toutes les pièces de la maison jusqu’à poser ma main sur son dos pour lui indiquer les escaliers même si techniquement, la bienséance imposait que je monte les escaliers avant mais je m’en fichais bien pour le moment car j’avais trop la tête dans les choux.

Il avait posé la main sur son dos. Aussitôt, Thaïs avait grimacé, soupiré de douleur et s’était écartée d’un geste plutôt vif, preuve que la souffrance ressentie ne devait pas être piquée des hannetons. « C’est rien, c’est rien, tu veux bien passer devant ? Petit hématome sensible » mentit-elle sans conviction mais après tout, Caleb n’avait pas à connaître ce pan sombre de son existence. Par chance, la visite fut relativement rapide et elle put souffler une fois dans la salle contenant un immense piano à queue. « Je vais travailler ce que ta mère m’a demandé, je devrais m’en sortir » fit-elle avant non pas d’entamer une mélodie choisie par Anita Weyss une fois seule mais pour choisir la partition la plus triste et en adéquation avec sa mélancolie : la nocturne 20 de Chopin.

Je fronçais les sourcils car sa réaction n’était pas habituelle et surtout, elle ne savait pas mentir. Je n’étais peut-être pas le plus grand bavard du siècle mais j’étais pour le moins observateur. « Menteuse » lâchais-je simplement avant de passer devant elle. Si elle ne voulait rien dire, c’était son droit, je savais que trop bien qu’une personne pouvait avoir un secret. Je la laissais rapidement travailler pour aller prendre ma douche et me changer. Je devais m’entrainer pour ma prochaine compétition et si j’attendais encore après ma partenaire pour faire une chorégraphie, dans trois siècles, rien ne serait prêt. En passant devant la salle de musique, j’entendis une mélodie pour le moins triste. « Tu joues bien… parce contre y a plus joyeux »

Thaïs évita de répondre quoi que ce soit au sens de l’observation particulièrement développé de Caleb : autant jouer de son côté peu bavard ! Elle n’avait pas envie d’en parler et puis de toute façon, qu’est-ce qu’un parfait inconnu pourrait bien y comprendre ? Elle se laissa donc emporter par la tristesse, la mélancolie de sa musique qui la prit aux tripes jusqu’à en faire déborder l’eau de ses yeux. Bien sûr, en entendant à nouveau la voix du bel allemand, elle sursauta, essuyant rapidement ses joues et prenant une autre partition parmi celles choisies par Anita. « Merci ! Oh c’était juste un petit échauffement histoire de me mettre dans le bain maintenant je vais passer à quelque chose de plus joyeux. Tu avais quelque chose à me demander ? » répondit-elle en évitant bien soigneusement de le regarder.

Je fronçais à nouveau les sourcils. Cette Jennelynn était bien trop intrigante pour que je ne me sente pas attiré par elle. C’était complétement idiot, je n’avais jamais ressenti ce genre d’élan vers quelqu’un mise à part il y a quelques années mais l’histoire s’était mal terminée. En fait, elle n’avait pas vraiment commencé. « Non, j’ai été attiré par la musique »répondis-je avant de m’approcher pour relever son visage en glissant deux doigts sous son menton. « Tu pleures… Pourquoi ? » lui demandais-je en plongeant mon regard dans le sien, essuyant ses larmes avec douceur.