※ YOU, ME, YOU'RE CONFUSING DANAE

Un nouveau groupe débarqua en ville, transcendant littéralement le Middle East. Bleeker, pourtant un fervent habitué de ce lieu, ne se rappelait pas avoir un jour vu cette salle aussi bondée. Surtout que la densité de population au mètre carré explosait à l'étage de ce building, soit la partie bar que Cody affectionnait tout particulièrement. Il venait tout juste de récupérer la garde de sa fille qui, malgré ça, restait à l'hôpital pour qu'on lui administre des soins supplémentaires. Ce stress qu'il accumulait s'inhibait seulement lorsqu'un verre d'alcool comblait le vide entre ses mains. Il devait être minuit, autant dire qu'il n'était déjà plus très frais. Il décida enfin de se lever du piédestal sur lequel il se complaisait – aka son tabouret – et marcha, ou déambula, à travers la foule qui se mouvait et criait à s'en déchirer les tympans. Il quitta le bâtiment, cherchant un peu d'air frais après ce bain étouffant de silhouettes glissant les unes contre les autres. Ah, la rue, enfin. Un vent frais s'engouffra dans son col. Ignorant toutes les règles de sécurité routière pourtant acquises depuis le collège (les panneaux STOP n'avaient plus de secret pour lui), Cody fit un pas en avant sans regarder la route, s'aventurant donc sur le passage des voitures. Les enfants, ne reproduisez pas ça chez vous, cette scène a été faite par un cascadeur professionnel, ou pas. T'façon, qu'elle était la probabilité qu'en pleine nuit, dans ce quartier relativement peu fréquenté, une voiture passe pile au moment où il traversait ? Et bien, Bleeker avait une chance de cocu. Il eut juste le temps de tourner la tête pour apercevoir les pleins phares d'un véhicule arrivant droit sur lui. Avant même qu'il se rende compte de ce qui lui arrivait, il était assis par terre, en tête-à-tête avec le pare-choc. Une chance que le conducteur ait eu le temps de freiner, sinon Cody n'aurait pas eu que les fesses endolories.

Inutile de préciser que l'état de Cody laissait clairement à désirer. Déjà, s'il pataugeait dans un pot de peinture avant de marcher, on verrait clairement que son chemin était aussi droit qu'une descente réussie à ski aux jeux olympiques. Ensuite, à moins qu'il existe un gel Axe parfum bouteille de rhum, il était clair que son haleine n'était pas volontaire. Bleeker ne réalisait pas qu'il venait d'être percuté. Il ne sentait rien, pas la douleur sur ses fesses, ni même l'odeur de l'essence qui s'éprenait de ses narines. En fait, il était aussi amorphe qu'un cafard à qui on aurait retiré les pattes une à une. Charmante description, au moins aussi charmante que Bleeker à ce moment précis. Comme le destin semblait s'acharner sur lui, la conductrice de la voiture, celle qui avait cruellement porté atteinte à sa vie, n'était autre que Danae. Cette fille, elle rencontrait toujours Cody au bon moment. Elle devait le prendre pour une espèce d'ivrogne, à force. « Non, j'ai juste … AAAAH. » lâcha-t-il en tentant de se relever, retombant directement au point de départ. Il avait peut-être le coccyx en morceau, finalement. Qui veut un morceau de coccys ? Oyééé oyééé, 2 euros le kilo. Non, ça c'était l'esprit de Cody qui lui jouait des tours. Avec l'aide de Danae, il parvint à se hisser et se tint les deux mains appuyés contre le capot de la bagnole meurtrière. « J'ai regardé, j'te jure, mais quelle idée de rouler aussi vite. Tu m'as pas laissé le temps de réfléchir à ce qu'il fallait faire. » Ben oui, ça allait être de la faute de la Quincy, maintenant. « Merci. Toi tu sens très bon en revanche. » fit-il en tentant de se redresser – puisque la position Quasimodo ça allait cinq minutes – avec un sourire qui se voulait charmeur mais qui était, en réalité, surtout crispé par la douleur.

Qu'elle était mignonne Danae, de s'inquiéter autant de la santé de Cody. Cependant, il lui suffirait d'un sachet de petits pois congelés ou d'un Mister Freeze pour atténuer la douleur sur ses fesses, don't worry. Bien sûr, il semblait que la Quincy et le Lowell n'étaient pas encore assez proches pour que Bleeker fasse une proposition aussi indécente que cela.  Il haussa les épaules, enfin une, l'autre semblait faire grève de haussement d'épaule pour la soirée, puis répondit en précédant d'un clin d'oeil sans signification particulière ; « ça ira, mon amour. » ça ira pour toujouuuuurs. Oui non, il préférait ne pas se risquer à fredonner telle une tourterelle un matin de printemps, surtout qu'il n'était pas convaincu que 1789 les amants de la Bastille  soit très populaire à Cambridge, enfin. Hagard, il ria à gorge déployée et fit trois pas en arrière. Il leva doucement ses bras vers le ciel avant de les replier contre sa nuque. En effet, il n'écoutait guère les geignements incessants de Wonder Danae, refusant pertinemment d'imaginer une autre réalité, une réalité dans laquelle elle n'aurait pas été le conducteur de la voiture et que ce fameux conducteur aurait continué son chemin sans se soucier de lui. « Qu'est-ce qui se serait passé, qu'est-ce qui se serait passé … On s'en fout non ? T'as vu ce qui s'est passé ? Tu t'es arrêtée, fin de l'histoire. » Inutile de penser aux pires drames quand on avait un happy ending ? En parlant de happy ending, Bleeker s'avança vers la fameuse portière ouverte pour l'y accueillir mais ne s'installa pas sur le siège. Il resta près de Danae et fit glisser entre ses doigts le pan de sa veste, l'air fraîchement aguicheur ; « Et où tu veux m'amener, bébé ? » En temps normal, il n'aurait JAMAIS osé. Vraiment.

Si on repassait la scène en replay, au ralenti, à l'endroit ou à l'envers, on verrait que le choc n'avait pas été si brutal. Si, en accéléré peut-être, mais ce n'était pas le cas. Même bourré, Bleeker avait du mal à saisir pourquoi Danae psychotait autant. Tout allait bien, non ? Il était vivant, elle était vivante, elle était toutefois plus flippée que lui alors qu'avouons-le, elle n'avait pas risqué sa vie, elle. Elle avait touché Bleeker, pas un iceberg. Ça ressemblait plus au naufrage d'un cachalot sur un banc de sable qu'à celui du Titanic. Heureusement qu'il parvint sans trop de difficulté à la raisonner, inutile de se stresser alors qu'ils avaient évité le pire. « Si tu n'es pas là, t'en fais pas, quelqu'un d'autre s'en chargera à ta place. » Ah, Cody, candide, lui qui croyait à la naturelle bonté des gens. Naïf. « Et je n'ai pas besoin d'être baby-sitté H24. » Non pas H24, mais facile dix-huit heures par jour. Cependant, sa mère s'occupait très bien de cette mission, Danae pouvait donc dormir sur ses deux oreilles, ou sur ses deux yeux. Yeux qu'elle avait très beaux. Son ivresse le poussa donc à la complimenter, sans compter qu'elle venait tout juste de l'inviter chez elle ; « Oh, c'est une proposition ? Tu fais ça parce que tu sais très bien que je ne pourrais pas résister à tes yeux de chouette. » Cody avait l'art et la manière du compliment. Il posa à son tour sa main sur la portière, invitant, d'un geste du bras, Danae à rejoindre le siège passager, la place qu'il devrait normalement prendre par prudence. Mais que voulez-vous, la galanterie est de mise quand on n'est plus très frais et qu'on croit pouvoir pécho. « Si madame veut bien s'en donner la peine. » glissa-t-il, avec la voix aussi suave qu'un fumeur de cinquante ans.