(+ Nork) what a curious idea !

La façon de travailler de Nork était tout à son honneur : il ne semblait pas prêt à vendre père et mère pour un scoop, bien qu’il ne soit encore qu’en études et pas journaliste à proprement parler. Ce métier là avait une réputation tellement salie que même Thaïs n’avait pu s’empêcher de craindre le pire au départ, et n’était que plus rassurée à l’heure actuelle face à sa manière d’être. Quelque chose lui disait qu’elle ne manquerait pas de le porter en haute estime une fois cette petite interview terminée et il pouvait s’en féliciter : il avait réussi à briser les habituelles distances de la jolie blonde en un baisemain et quelques paroles extrêmement habiles. « Je vais me répéter mais j’y suis tout de même sensible » avoua-t-elle avant d’éclater de rire face à sa question. « Hey je suis peut-être multitâches, il ne faut pas vendre la peau de la Thaïs avant de l’avoir tuée ! » poursuivit-elle sur ce même ton léger, conservant son sourire en hochant vivement la tête pour lui faire comprendre que le fait qu’il l’enregistre ne la gênait pas. Cela ne rendrait l’échange que plus naturel : s’il fallait qu’il l’interrompe pour avoir le temps de tout noter, bonjour l’ambiance… « Désolée c’est toi le pro ! Sinon pour te répondre, il ne s’agit pas d’un accident ou d’un handicap de naissance, j’ai été victime de deux glaucomes ciblés sur mes deux yeux, et faute de moyen, disons que je n’ai pas pu procéder aux soins qui auraient pu m’empêcher de perdre la vue. » Thaïs ne voulait pas le faire pleurer dans les chaumières et c’est la raison pour laquelle elle optait pour un ton aussi naturel que possible.

« Je suis prête à touuuut moi m’sieur ! Mais ça dépend pour quoi » avoua-t-elle, à moitié hilare de sa propre connerie bien qu’une fois que le questionnaire eut commencé, Thaïs cessa ses singeries et reprit une expression nettement plus sérieuse. « En fait, c’est une maladie dégénérative du nerf optique, qui entraîne lorsqu’elle n’est pas soignée comme il faut une perte totale de la vision vu que le champ visuel se rétrécit progressivement jusqu’à la cécité. Personnellement, j’avais de la tension oculaire, dans les deux yeux, qui comprimait mon nerf optique jusqu’à le rendre inutile, inexistant d’une certaine façon. Généralement on peut le soigner, par des traitements locaux lorsque c’est pris tôt, ou une chirurgie en cas d’extrême urgence » expliqua-t-elle en bénissant sa capacité de contrôle actuel : dans le cas contraire, la jolie blonde aurait très certainement éclaté en sanglots rien qu’à évoquer la maladie l’ayant privée de sa vue six ans plus tôt. « C’est ce que les spécialistes que j’ai vus m’ont expliqué, en tout cas, je ne sais pas si c’est très clair… »

« Ben attends, pourquoi je le dis à ton avis ? » s’exclama-t-elle, hilare. Il ne fallait surtout pas croire que Thaïs n’était rien d’autre qu’une jolie aveugle toute fragile et sans volonté : elle savait plaisanter, provoquer, taquiner et même, dans certains cas précis et bien qu’elle n’en n’ait aucune envie actuellement, elle savait agacer son monde. Pour l’heure, elle cherchait avant tout à dédramatiser la situation puisque cette interview la ramenait à des souvenirs bien moins glorieux et agréables. La perte de sa vue était l’un des nombreux drames de sa vie et en l’occurrence, il était aussi le plus douloureux. « Bah, c’est comme tout, quand on a pas le choix il faut bien faire avec et continuer » commenta-t-elle en reprenant un air aussi sérieux que sincère, ne cherchant pas à se faire mousser de quelque manière que ce soit. Elle avait juste l’habitude de galérer, voilà tout. « A vrai dire jusque très récemment je n’avais personne, c’était juste ma canne et moi vu que l’achat d’un chien et bien… ce n’était pas dans mes moyens. Mais j’ai rencontré quelqu’un, je me suis fait des amis proches et même si ce n’est pas toujours évident de remettre son sort dans les mains de quelqu’un d’autre, j’y arrive de mieux en mieux chaque jour. J’ai trouvé un juste milieu, du moins j’espère : je laisse les gens m’aider mais sans être une assistée de la vie. Puis depuis récemment, j’ai un labrador pour m’aider en prime. »

Effectivement, évoquer sa cécité n’était pas chose facile mais à sa plus grande surprise, Thaïs ne s’en sortait pas trop mal. Elle évitait de trop décrire les choses avec humour de peur de faire passer son handicap pour quelque chose de paradisiaque alors que c’était loin d’être le cas. De plus, l’intérêt de l’article que comptait écrire Nork, c’était de mieux connaître les gens souffrant d’un tel handicap, n’est-ce pas ? « Au début j’y avais pensé mais ce genre de stage coûte extrêmement cher, il n’y a aucune aide pour ça alors j’ai simplement évité d’y penser. Puis maintenant, j’avoue que je me débrouille par moi-même dans la vie de tous les jours alors… un stage ne m’apprendra rien de ce que je sais déjà : je sais user des différences de son, j’utilise ma canne d’aveugle depuis des plombes donc je connais bien ses différents fonctionnements, désormais j’ai un chien donc je ne m’en débrouille que mieux et, enfin, je lis le braille couramment. Ce genre de stage, c’est utile si l’on vient juste de perdre la vue je pense. »

Pour l’heure, Thaïs tenait la cadence sans trop de peine. Elle parvenait même à ne pas se sentir oppressée par les questions de Nork, chose qui ne l’étonnait que davantage. La jolie blonde s’attendait cependant à une question qui n’avait pas encore effleuré l’esprit du futur journaliste en herbe, à priori. Il l’avait questionnée sur son quotidien, la raison de la perte de sa vue mais… ah, rectification, il venait justement de poser LA question primordiale par laquelle beaucoup de monde passait en premier lorsqu’il leur prenait de l’interroger sur sa cécité. « Cela faisait six ans, bientôt sept. Je n’ai vécu qu’un an à Harvard en ayant encore ma vue » avoua-t-elle, ne sachant même pas si cette information pouvait être d’une quelconque utilité pour la suite de l’entretien.