(+ Nork) what a curious idea !

De façon somme toute exceptionnelle, Thaïs n’avait eu aucune envie de travailler la danse. C’est en plein théâtre qu’elle s’était réfugiée, laissant la porte principale ouverte, afin de travailler une partition de Chopin qu’elle adorait, à savoir la Nocturne Vingt. Depuis combien de temps répétait-elle, au juste ? Difficile à dire. La jolie blonde n’avait aucune notion de temps ni même la plus petite envie d’en avoir… les secondes se suspendaient au dessus de ses notes, tandis qu’elle jonglait avec une extraordinaire habileté entre les touches blanches et noires. Par précaution, sa canne d’aveugle était tout de même déposée contre le piano à queue, afin qu’elle puisse l’attraper à tout moment en cas de besoin. Appelez ça un réflexe de stressé de la vie, mais Thaïs ne pouvait guère se permettre de se trimballer sans. D’ailleurs, sûrement avait-elle eut raison de la placer là car bientôt, le grincement de la porte principale la fit sursauter et se relever aussitôt, après avoir chopé sa canne blanche à la vitesse de l’éclair. « Qui est là ? » fit-elle avec une légère appréhension, plissant légèrement ses yeux d’un bleu puissant. « Manifestez-vous je ne mords pas… je peux même libérer la place en cas de besoin, j’ai bientôt fini » précisa-t-elle d’une voix plus douce, sa respiration se calmant au fur et à mesure car au loin, elle distinguait celle de cet inconnu s’étant introduit dans le théâtre. « Je vous entend respirer… » fit-elle non sans sourire de manière amusée.

En même temps, d’aucun aurait stressé à moins s’il s’était retrouvé privé de sa vue. Thaïs ne manqua pas de sourire à l’entente des paroles du jeune homme, puisqu’il s’agissait en l’occurrence d’un jeune homme, ne s’étant pas attendue une seconde à être surprise en plein jeu et mieux, à pouvoir être écoutée. « Ce n’est rien, désolée d’être sur le qui vive mais il vaut mieux l’être un peu trop que pas assez je suis tentée de dire ! » lâcha-t-elle sans animosité aucune et surtout sans perdre un millimètre de son sourire. Depuis que la bombe avait eu lieu le climat de méfiance s’était évidemment renforcée et pour Thaïs, dont les réactions potentielles en cas de vraie catastrophe avoisinaient le degré zéro, c’était pire que tout. La peur la paralysait littéralement et aujourd’hui, elle venait de le prouver une nouvelle fois. « Je vais prendre ça pour un compliment en prime ! Tu veux que je te joue quelque chose ? Si oui, il faudrait que tu me dises quoi de préférence… et j’aime bien savoir qui j’ai en face, alors un prénom ne serait pas de refus. Je m’appelle Thaïs. » La jolie blonde était bien plus extravertie et avenante qu’il n’y paraissait de prime abord, vu que la terreur avait totalement déserté et le fond de son regard d’un bleu puissant, et ses traits de porcelaine, et sa voix, tout simplement.

« Ne t’inquiètes pas je suis habituée, en général le raclement de gorge est en option… mais quand bien même j’aurais sursauté quand même vu que j’étais particulièrement concentré sur mon jeu au piano » avoua-t-elle pour que ce parfait inconnu ne prenne pas ombrage de son entrée discrète ni du sursaut qu’elle avait bien pu faire. Thaïs était habituée à la chose, en bonne stressée de la vie qu’elle était et c’est la raison pour laquelle son sourire s’agrandit d’autant à sa seconde réplique, pour mieux laisser une expression plus sérieuse lorsque ce presque parfait inconnu lui avoua qu’il souhaitait lui demander quelque chose. « Et bien… » Le moins que l’on puisse dire, c’est que la jolie blonde fut prise de cours, déjà parce que cet étudiant ne lui avait même pas rendu sa présentation mais aussi parce qu’il la surprenait avec cette demande sortie de nulle part. « Curieux devoir, quand même… il est passionné par les aveugles ton prof ? Enfin en théorie ça ne me dérange pas mais si ça ne te dérange pas je vais y poser une petite condition… celle de savoir ton prénom, parce que chez moi, quand quelqu’un se présente, la moindre des choses c’est de renvoyer la pareille et de se présenter à son tour » s’amusa-t-elle non sans lui tendre sa main histoire de se présenter de façon plus marquée. « Thaïs et ? »

« C’est adorable de ta part de me faire un tel compliment » nota Thaïs et elle le pensait, mais sans doute était-ce sa modestie qui parlait car la jolie blonde était bien loin de considérer son jeu comme parfait. Elle était toujours à chipoter et à ne pas trouver cela parfait… la perfection n’existe pas, de toute manière, on peut toujours s’améliorer, c’est une certitude. Mais son jeu au piano lui sembla bientôt extrêmement loin une fois que ce presque parfait inconnu eut pris sa main pour y déposer un baiser, marque désuète mais à laquelle quelqu’un comme Thaïs ne pouvait qu’être sensible, en bonne romantique qu’elle savait si bien être. « Je suis doublement enchantée, Nork ! » s’exclama-t-elle d’un ton on ne peut plus sincère avant de croiser ses bras contre son corps élancé et fin de danseuse de salon. « J’apprécie pour mon prénom… je te l’aurais sûrement demandé à un moment donné, mais je t’en prie pour l’article, ce n’est pas mon genre de laisser quelqu’un dans la panade, pour une fois que je peux filer un coup de main à quelqu’un ! Alors heum… tu veux que l’on aille ailleurs peut-être, ou que l’on s’assoie sur l’un des fauteuils sur théâtre ? Je répondrais dans la mesure du possible ! »

Nork ne se considérait peut-être pas comme quelqu’un d’adorable mais il avait en face de lui une jeune femme jugeant énormément les gens qu’elle trouvait gentils comme « adorables ». Elle n’y pouvait rien, cela faisait partie intégrante de son caractère et ce depuis toujours, même la perte de sa vue n’avait su altérer cet état de fait. Thaïs lui offrit donc un sourire des plus sincères en descendant précautionneusement de la scène, connaissant par cœur l’environnement de ce théâtre pour y passer un temps considérable en ce moment. Ici, elle se sentait à l’aise, sans oppression aucune ni pression de quelque sorte que ce soit. Elle ne tâtonna donc guère pour atteindre un fauteuil, présentant celui se trouvant juste à côté, à sa gauche, à l’attention du jeune homme pour qu’il y prenne place. « C’est tout de même délicat de ta part de me l’avoir proposé. Beaucoup d’autres personnes n’auraient pas fait preuve d’autant de délicatesse » avoua-t-elle, la jolie blonde étant bien plus habituée à être considérée comme quantité négligeable que comme un véritable être humain à part entière, avec des sentiments, un cœur et tout ce qui s’en suivait. « Je ne sais pas sur quel sujet tu veux commencer tes questions, sur comment j’ai perdu la vue, comment je me débrouille au jour le jour, comment je suis mes études ? Je ne connais pas bien ton sujet de devoir donc il va falloir que tu m’aiguilles, demande moi ce qui te passe par la tête au pire des cas il y aura peut-être des questions auxquelles je ne voudrais pas répondre mais j’en doute. »