oh for god's sake ─ Bibiho(e)

Va te faire voir, Bibiana. Tes sourcils se haussent, un peu surprise. Pourquoi une telle réaction ? T'es curieuse, d'un coup, de comprendre ce qui lui a traversé l'esprit. L'espace d'un instant, tu te demandes si ton souffle sur son oreille lui a fait de l'effet, mais la réaction agressive te fait penser que non ; puis tu tournes la tête dans sa direction, discrète, quand tu le sens quitter le lit pour retrouver la fenêtre. Il a besoin d'air. Lui, besoin d'air ? Qu'est-ce qu'il fiche exactement ? Est-ce que tu as envie de t'en soucier, de toute façon ? Pas vraiment ─ alors tu regardes à nouveau la porte en écoutant ses paroles, feignant l'indifférence quand en vérité, la curiosité t'a violemment piquée. « Ne crois-tu pas que si j'étais aussi intenable, toi et moi on ne serait pas en train de discuter. » Puis tu te lèves, le talon claquant au sol lorsque ton corps se tient droit. T'avances vers Sanho mais t'arrêtes rapidement, une main sur la tête ronde du pied de lit, tandis que l'autre se pose sur ta hanche. Ta démarche et ton attitude traduisant le confort et l'absence de stress, maintenant que tu as vu sa réaction un peu vive. « Ce n'est pas parce que je te hais, ainsi que les autres, que je vais vous causer du tort à chaque fois. À moins que mes mots soient déjà bien trop durs à encaisser pour toi ? Je te sais plus... résistant que ça, Sanho. » Même si dans le fond, tu admets que ça ne te déplait pas qu'il te croit capable de dévisser la tête de tous les hommes. La question qui te taraude l'esprit, c'est pourquoi pense-t-il que tu le ferais aux autres, et pas à lui ? Se pense-t-il au dessus du lot, en bel arrogant qu'il est ? Ta tête se penche légèrement alors que tu l'observes sans la moindre discrétion. Qui es-tu vraiment, Sanho ?

Ton regard ne l'a pas lâché, et tu as observé chacun de ses gestes comme s'il s'agissait d'indices pour t'aider à comprendre son comportement. Il t'a envoyé chier sans sarcasme ou raillerie ; il a fui vers la fenêtre ; et maintenant, il fume. T'es pas sans connaître les effets de la nicotine, ni des raisons qui peuvent spontanément pousser une personne à fumer. Mais tu dis rien, au début, tu te contentes juste de l'observer faire, de regarder ses doigts tirer la cigarette puis jeter le paquet sur le lit, avant d'observer sa fouille en quête d'un briquet. Puis tu vois la cigarette entre ses lèvres, tenues par ces derniers alors qu'il fait naître la flamme pour allumer l'embout. Jusqu'à ce qu'il se tourne vers toi et parte à la pêche au compliment. Peut-être que tu as envie de jouer, là, juste sur le moment. Alors ton sourire accompagne ton regard qui se plisse, et tu quittes enfin le lit pour te rapprocher de lui. « Même le plus beau des masques ne sert finalement qu'à cacher la misère d'un vrai visage. » T'es plus très loin, même très proche, puisque tu sens la fraîcheur de l'extérieur. Ta main se lève vers lui en douceur et tu prends la cigarette entre ses lèvres, sans jamais briser la prise de ton regard sur le sien. « Tu es nerveux ? » La cigarette s'écrase rapidement sur le rebord, puis est jetée. « Aie la décence de me demander si cette odeur putride me pose problème. » Le reproche est sincère, réel ; tu n'aimes pas cette odeur. Tu la détestes, même. C'est froid. Désagréable. Nocif pour toi et ta santé ─ tu sais qu'il s'en fiche, mais dans ton raisonnement c'est que toi ou une autre, ça aurait été pareil, pour lui. « Demande-moi, et je te laisserai fumer en paix. » Fais-le, Sanho. Demande-lui. Va chercher son autorisation pour ton vice, ou bien rebelle-toi et observe les conséquences ; t'attends que ça, toi, Bibi.

« Haaa... » Tu roules des yeux encore plus fort. Il fuit, refuse de l'admettre qu'un truc le dérange, qu'il est nerveux, à chercher désespérément sa clope dans son petit carton qui cache la mort. Son agressivité n'a plus rien du jeu, et la tension qu'il dégage te fait perdre ton sourire et l'envie de jouer, progressivement. « Il y a pire. Il y a toujours pire, Sanho. » déclares-tu alors qu'il se penche pour ramasser son paquet sur le lit. Et tu sais à quoi tu penses quand tu dis ça. « Je pourrais bien planter mes ongles dans ta gorge jusqu'au sang, marquer ta joue d'une morsure si profonde que tu en serais défiguré à vie. » Et quand il revient vers la fenêtre, c'est ton pied qui se lève et qui fait barrière alors que tu es appuyée sur le rebord, la pointe du talon se posant contre lui pour l'empêcher d'avancer. « Utiliser mon talon pour te percer le crâne, user de ton briquet pour te faire flamber ici, avec moi, et rire aux éclats en voyant ta chair fondre. » Ton visage se penche légèrement sur le côté avec un sourire faussement innocent. « Il y a toujours pire, et certaines personnes sont plus créatives que d'autres. Il te serait extrêmement facile de me pousser, là, pour que je tombe. Non ? » Le diable que tu vois dans ses yeux, t'es presque convaincue qu'il en est capable, si tu le pousses à bout ─ et tu joues avec, en dépit du fait que tu n'as pas l'absolue certitude de ne rien risquer. Ton esprit n'oublie pas que le risque zéro n'existe pas, et qu'un jour, tu risques de tomber sur un gars assez fou qui le ferait vraiment. Ton jeu s'arrêtera brusquement, sans doute ─ quand la vipère s'attaquera à plus redoutable qu'elle. « Pourquoi es-tu nerveux ? » t'oses demander à nouveau, lueur malsaine dans le regard.

Définitivement un truc qui cloche. Son mordant c'est plus le même, il te semble plus sur la... défensive. Moins sarcastique ou agressif, moins prompt à rentrer dans la joute verbale. Ton pied est dégagé, et il se rapproche vers la fenêtre. Au début tu le suis du regard, puis tu te décales finalement pour lui faire de la place, non sans soupirer et détourner le regard vers la porte toujours fermée. Quand est-ce qu'elle s'ouvre, cette putain de porte ? A croire que t'as trouvé aussi borné que toi, surtout que tu crois toujours pas à la cigarette pour le plaisir. Le changement d'attitude s'accorde avec le timing de la clope, et il te faudrait avoir de la merde dans les yeux pour ne pas faire le lien. Mais soit, puisqu'il préfère ne pas en parler... ton regard revient sur lui, et il te demande à quoi tu veux jouer. Le silence retombe un instant, et tu le fixes longuement, alors qu'il fume, répand l'odeur insupportable qui ne te fait pourtant pas ciller. Ton corps pivote légèrement, prenant appui sur le côté de ton corps contre le rebord, et subitement, le jeu ne t'intéresse plus aussi. T'es curieuse, intriguée, par cet ange déchu aux ailes sombres, et tu te demandes comment il en est arrivé là ─ même si tu aimes clamer que les hommes sont tous des pourritures, t'oublies pourtant jamais qu'il ont été des enfants, et lui, en l'occurrence, le mari. « Je suis intriguée. » admets-tu. Ton regard bleu se plisse légèrement, et l'absence de sourire laisse penser que tu n'es ni dans le jeu, ni dans le jugement. « Tu arrivais vraiment à te projeter dans un futur, avec elle ? Envisager l'avenir, des projets, te voir vieux à ses côtés ? » Ça ne correspond pas à l'image que t'as de lui. T'as jamais eu cette image, en vrai, quand tu le regardes, et pourtant il l'a fait. Il a dit oui devant l'autel, il a juré amour et fidélité jusqu'à ce que la mort ─ ou le divorce ─ les sépare. Alors qu'il est toujours étudiant, si jeune, si réclamé. Clairement une surprise au milieu de tous ces garçons à l'égo surdimensionné, qui profitent de ces années d'étude pour faire des coucheries tous les deux jours ─ un club qu'il a rejoint, sans surprise.

Il l'a fait. Il s'est projeté, lui, le démon. Celui qu'elle n'imagine pourtant pas pouvoir se poser, libre comme l'air, à ravager les coeurs et les âmes sur son passage. En un sens, la toxicité qu'il dégage fait un peu écho à la sienne. Elle l'écoute, détourne le regard, observant la pièce qui fut jadis porteuse d'espoirs et de rêves, où les échos des je t'aime ont dû mourir sur les cloisons. Aujourd'hui, il n'en reste plus que des fantômes. Et c'est presque deux hommes différents auxquels elle pense ; d'un côté il y a l'époux, celui qui se projette, qui aime, bien rangé et fidèle. Et de l'autre, il y a Sanho, vampirisant les émotions de ses cibles avec gourmandise. L'homme qu'il a voulu être n'est plus là, et le reflet qu'il voulait voir dans son miroir s'est fragmenté. Quel drame. Bibi tourne alors la tête pour regarder à nouveau l'extérieur, ne réagissant finalement pas à sa réponse. Le silence retombe, juste le temps de quelques songes, et la silhouette d'une nouvelle personne en contrebas se fait remarquer. La brune se redresse alors, le regard en alerte, et quand elle voit cet individu se rapprocher de l'entrée, elle se penche ─ encore une fois, dangereusement ─ vers le bord, jambe levée et bras tendu pour faire un signe. Hé-hooo ! Bonjour ! Pourriez-vous appelez le concierge ? Je suis coincée avec ce malotru qui a bloqué la serrure, vous seriez bien aimable de me dépanner ! La voix aigue, faussement amicale, presque enfantine pour attiser un sentiment de sympathie et de pitié. La personne en bas est confuse un court instant, puis lève le pouce pour signaler que la requête a bien été entendue ; et tandis que ce parfait inconnu plaque sont téléphone sur son oreille, Bibi se retourne vers Sanho, le regard sombre à nouveau braqué sur lui. Finalement, tout le monde est pourri jusqu'à la moelle. Elle, toi, moi ; y'a pas de place pour cette naïveté quand tu as le démon collé à la peau. C'est le luxe des ignares et des gens stupides. Sur ces mots, Bibi quitte le rebord de la fenêtre, retournant vers l'intérieur de la chambre qu'elle montre d'une pirouette légère, nez levé. Tant de jolis rêves simples bafoués. Je suppose que tu as été naïf une fois d'y croire... mais on ne t'y prendra pas une deuxième fois, n'est-ce pas ? Elle sourit, et le regard est vissé sur lui. Difficile de savoir si elle se moque, pose réellement la question, ou si elle a déjà la réponse.