oh for god's sake ─ Bibiho(e)

C'est à celui qui sera le plus insupportable, tu le sais ça, Bibi ? Alors tu peux rouler des yeux comme tu le fais, l'air exaspérée ; dans le fond, t'es quand même bien amusée. Tu le lâches pas du regard, ce beau chat sauvage qui gratte à la porte pour sortir. Si mignon avec sa bouille angélique, mais tu sais qu'il n'est qu'un homme, et que par défaut, il est ignoble. Même une jolie couleur ne sauve pas la merde de son odeur. « Mmmh non, juste envie de voir le pigeon prendre son envol et finir par terre, lamentablement. » déclares-tu avec une moue faussement pensive. Il te propose d'essayer en premier, mais tu hausses les épaules alors qu'il se rapproche. Tu le laisses faire, ne le quittes pas des yeux, une lueur de défi dans le regard. Ose te rapprocher encore un peu, penses-tu, comme la promesse silencieuse que s'il ne respecte pas ton intimité, tu lui en feras baver. Mais il se laisse sur le lit et tu penches la tête en l'observant. Tu réfléchis un peu, regardes la fenêtre, puis balayes la pièces du regard. Tu jettes un nouveau coup d'oeil aux cartons, visiblement pensive, puis la porte coincée, la tête de lit, et enfin, Sanho. Et là, tu redresses un peu. C'est différent quand c'est toi qui fait le premier pas, alors tu quittes ton carton et t'approches de lui, laisses le sac que tu étais venue chercher sur le même carton que tu délaisses. « Simple curiosité, Mr. Gueule d'Ange, mais comment as-tu fait pour ne rien voir ? Toute cette... grande gueule, ce numéro de m'as-tu vu, cet homme si... fort, indépendant et insensible, comment as-tu fait pour te laisser berner de la sorte ? » Tu te rapproches encore, jusqu'à te trouver face à lui, debout, et hausse un sourcil, léger sourire sur les lèvres alors que ta main se tend vers son visage sans le toucher, dessinant ses contours de loin. « J'ai eu droit aux détails croustillants de l'excitation que te tromper lui procurait. J'ai tout entendu, les comparaisons comme les soupirs, et ses plans. Je savais tout. Pourquoi n'as-tu rien vu ? »

L'insolence personnifiée, ce gars t'a toujours tapé sur le système. Il n'est pourtant pas le pire, et tu le sais. Il ne l'a jamais frappée, ne l'a jamais maltraitée ; et t'as bien conscience que c'était même plutôt l'inverse, mais c'est la rage qui parle, la déraison, le biais, et tu choisis ton camp habituel. Celui de la femme. Celui de tes soeurs. Contre les hommes. Réflexe, habitude, qu'ils soient beaux, doux, gentils, studieux ; ou bien insupportables comme Sanho. Sale gueule, ou belle gueule, aucune importance. Même s'il t'invite à le toucher, tu ne le fais pas, la seule idée de son contact te répugnes et tu ne laisseras jamais un homme t'approcher de la sorte. Si même Amore n'a pas ce privilège, alors aucun autre ne l'aura. Et tu l'écoutes, un fin sourire sur le visage, tu l'écoutes traîner ton amie dans la boue, la descendre, soulever l'ironie de trouver de la chance dans son malheur. Toi, tu cilles pas, tu l'observes, perchée sur tes deux talons et même quand il se relève, tu ne bouges pas. Tu te tends, oui, mais tu refuses catégoriquement de le montrer ─ qu'il n'ose même pas te toucher, la claque résonnerait jusqu'aux tombes de ses ancêtres. Mais tu peux pas t'empêcher de jouer le jeu, de te tenir droite et lever le visage légèrement pour pouvoir le regarder dans les yeux. « Peut-être que tu fantasmes à l'idée que je puisse te désirer ? L'idée de pouvoir te taper une amie de ton ex-femme, avoir le sentiment de souiller une de ses amitiés, ou d'imaginer que derrière tout cette haine, il y a une raison qui t'es spécifique. Quelque chose à la hauteur d'un film romantique, d'une histoire à la ennemies to lovers, mh ? » Tu te dresses légèrement, lèvres vers les siennes. « Quand je te regarde, je m'assèche comme le sable du désert. » Puis après un regard, tu te détournes de lui, talons claquant le sol vers la fenêtre en récupérant le sac au passage. « Bien. Puisque tu ne sais pas ouvrir une porte, ce sera la fenêtre. »

Qu'il est bavard ! Ça t'agace, alors même pas tu lui lances un regard quand il commente l'étage en question. Oui, c'est haut, et alors ? T'es à deux doigts de te dire que t'étaler comme une crêpe est préférable à écouter sa voix de canard une seconde de plus ; raison pour laquelle t'ouvres en grand la fenêtre et tu te penches pour observer à droite, puis à gauche, une jambe légèrement relevée, peut-être trop dangereusement alors que t'observes la disposition extérieure. Dommage qu'aucune de tes foutues potions ne sache te faire voler, songes-tu en regardant vers les étages supérieurs. Et... c'est vrai que c'est un peu haut. Un peu, beaucoup trop. Alors tu te recules avec un léger soupir, mais tu veux rien montrer de ta déception ; après tout, quitte à passer pour une folle, autant qu'il t'en croit capable, non ? Et dans le fond, est-ce que t'en serais justement pas un peu capable ? Tu te retournes légèrement et jettes un coup d'oeil au démon dans ton dos. Le diable dans le regard, le feu sur la peau, tu sais que cet homme a le vice qui suinte par tous les pores. La personnification même du péché, la belle pomme dans laquelle nombre ont envie de croquer ; pas toi. Tu roules des yeux et lui montre à nouveau le dos, te penchant pour poser les coudes sur le bord de la fenêtre. « Je suis patiente. Je vais attendre qu'un aimable voisin se pointe à sa fenêtre pour lui demander de le faire. Tu n'as qu'à... » Tu marques une légère pause en secouant nonchalamment la main de côté. « ... t'amuser tout seul dans ton coin pendant ce temps là. » Bien trop fière pour t'abaisser à lui demander de l'aide. Le supplier ? Qu'il en rêve si ça le chante, toi tu sais que jamais tu t'abaisseras à ça. Ni pour lui, ni pour aucun homme ; ni pour personne.

Peur de sauter, toi ? Tu te retournes, un air blasé sur le faciès alors que tu le dévisages. Il fait erreur. C'est pas la hauteur qui fait que tu préfères le silence, c'est parce que sa voix à lui t'insupporte ; et tu ne lui réponds pas volontairement, le gratifiant d'un sourire moqueur et d'une main qui montre la fenêtre, soufflant silencieusement les mots après toi, s'il veut montrer l'exemple du courage personnifié. Et comme tous les autres, il finit par exprimer sa curiosité et son incompréhension. Ton sourire ne diminues pas, mais t'es pensive un instant alors que tu songes à tout ton vécu, tout ce qui t'a conduite ici, avec cette haine viscérale aux trippes ─ celle qui te fait vibrer, parce que haïr les hommes autant que tu les désires, quelque part, c'est une déchirure qui justifie ta colère à tes yeux. Est-ce que t'as envie d'assouvir sa curiosité, cela dit ? Tu soupires bruyamment, le regard se détournant vers la porte bloquée, et peut-être que les crocs venimeux se rangent un peu. « Je suis partisane d'un mouvement radical féministe qui veut enfermer les hommes en taule jusqu'à ce qu'ils apprennent à bien se comporter pour mériter la liberté. » Du sarcasme, mais dans le fond, l'idée te plait. Ça t'aurait évité bien des emmerdes dans ta vie s'ils avaient tous été derrière les barreaux. Puis finalement, tu bouges, quittes la fenêtre et te rapproches du lit, le contournant de l'autre côté pour venir t'asseoir à ton tour, et pire encore, tu prends le risque ─ assez surprenant ─ de grimper suffisamment loin sur le lit pour que ton dos vienne toucher le sien. Un contact bref, qui est sûrement volontaire de ta part d'ailleurs ─ sinon, jamais tu ne l'aurais fait. Tes jambes se croisent et tes mains, légèrement en arrière, soutiennent ton corps fin pendant que tu poursuis ta petite histoire. « Délit de sale gueule ? Pas suffisant, peut-être ? » Tu tournes légèrement la tête vers lui, sans pouvoir le voir pour autant, alors tu surveilles sa main. « Tu peines à trouver le sommeil parce que tu comprends pas d'où vient ma haine ? Peut-être que tu refuses d'appeler le concierge car comme tous les autres, t'as le vain espoir d'être celui qui perce le mystère de de Bibi. » Tu souffles, amusée et un peu théâtrale. « Tu n'es pas le premier que je dois supporter durant des heures, alors tu peux bien t'épuiser à vouloir faire la discussion, tu n'obtiendras aucune réponse. » Qu'importent son visage d'ange et son regard infernal, il reste un démon à tes yeux. Un démon aux doigts fins et à la peau bien trop lisse et parfaite, d'ailleurs ; saleté.

Il a belle gueule. Tu soupires silencieusement ; évidemment, qu'il a belle gueule, avec tous les filles ─ et les hommes ─ à ses pieds, sa peau si pure, son teint à la couleur égale, ses lèvres pulpeuses et son regard de braises. Évidemment, qu'iels craquent. Mais toi, tu vois que la bête derrière. Tu vois la crasses, la noirceur d'un homme que t'imagines cruel, indifférent, sanguinaire et en attente d'excuse pour étaler toute sa pourriture aux yeux du monde. T'arrives pas à voir cette jolie gueule sans te faire la réflexion que même couverte de confiture fraise, une merde reste une merde ; elle a juste une jolie couleur sur le dessus. Tu sais aussi, Bibi, que ton comportement est anormal. Il interpelle. Et peut-être que c'est volontaire. Peut-être que tu aimes cette image de gorgone intouchable, Médusa qui pétrifie et démonise les hommes. Quand Lena les adore et les désire à outrance, tu les diabolises et les maudis autant qu'elle le peut ─ et ils devraient encore s'estimer heureux que ta colère ne cause pas plus de ravages que ça, car la majorité du temps, seuls tes mots viennent froisser leur égo. Puis tu bouges encore, à la fin de sa réponse. Tu passes sur tes genoux en te retournant, les lèvres venant glisser à côté de son oreille. T'es peste, et tu l'emmerdes ; t'essaies même pas de le séduire, t'as juste envie de l'irriter, de l'énerver, faire que t'es insupportable à ses yeux au point qu'il te donne raison sur le fait qu'il est la raclure que t'imagines qu'il est ; et tu lui murmures : « T'as peur des conséquences ? Appelle-le et tu sauras. » T'as pas envie de répondre Bibi, ni de lui donner matière à se mettre sous la dent. Alors tu recules suite à cette provocation, reprends ta place, mais assise au bord du lit, le regard dérivant un instant sur la porte. Et tu parles plus. Tu croises les jambes, le coude se posant sur le bas de ta robe alors que tu attends, patiente. Puis t'imagines la pièce remplie de ses meubles, et devines un peu la vie qu'ils avaient, à deux, entre ces quatre murs. T'imagines les sourires, les moments de tendresse, et les nuits sur ce lit. À vomir.