Warning : haine explicite envers les américains, armes
@Joyce Millett
Gourmand, Ji-hun l’avait toujours été lorsqu’il était question d’intimité et avait bien l’intention de consommer leur relation jusqu’à n’en plus pouvoir. Malheureusement il était sportif, avait donc beaucoup d’énergie à revendre, ce qui laissait présager qu’elle n’aurait que très peu de repos jusqu’au retour à Boston. Les actes de plaisir était important pour lui, et il ne s’en était jamais caché. Qu’ils soient faits de baisers, de préliminaires ou de sexe, il en avait besoin dans un rapport à l’autre qui impliquait plus que de l’amitié. Les seuls mois d’inactivité qu’il avait connus avaient été les premiers passés aux États-Unis. Bien trop concentré à bâtir des plans et croire en ses rêves, il s’était rattrapé par la suite en charmant des femmes plus âgées. Alors, quand Joyce assura qu’elle serait prête à lui brouiller des œufs chaque matin pour qu’il lui fasse l’amour, un grand sourire s’afficha sur ses lèvres et il lui conseilla : je pourrais te prendre aux mots, attention. Parce qu’il se rappelait de tout – ou presque. Et ça, non ça, il ne l’oubliera pas.
Ils passèrent devant les bouteilles d’eau, ne s’y arrêtèrent finalement pas puisque la biologiste avait ce qu’il fallait pour leur permettre de ne pas se déshydrater lors de la ballade du lendemain. La prochaine étape fut la caisse et, le panier peu rempli, le nord-coréen en profita pour ajouter quelques sucreries. Des chocolats, parce que Joyce avait avoué les préférer aux bonbons, mais aussi pour satisfaire les papilles de ses amis qui les avaient véhiculés jusqu’ici. Ce n’était pas grand-chose, mais ça faisait toujours plaisir. Tout du moins ce fut ce qu’il pensa. Il posa les éléments qui leur permettront de faire une fondue, et ralentit à la pause du fromage sur le tapis, sentant le regard de la jeune femme posé sur lui. Il releva le sien sur le visage de la jolie blonde, et crut lire dans le fond de ses rétines une idée fort palpitante qui dessina un sourire plutôt malicieux sur ses lèvres. En réponse silencieuse, il ajouta une plaque de chocolat au lait à la note. Prêt à dégainer son portefeuille, il se ravisa, demanda explicitement à sa partenaire si elle désirait payer.
Interrogation qui égratignait encore ses lèvres – et sa dignité –, mais qu’il avait appris à placer au moment des additions. Il comptait beaucoup sur le fait que la femme qui l’accompagnait accepte de lui laisser remettre le compteur à zéro, mais ça n’arrivait pas souvent, à son grand désespoir. Elles étaient plus libres, plus indépendantes, ici. Et s’il y avait de bons côtés à ça, il y en avait d’autres auxquels il ne pourrait adhérer. Mais il devait progresser, faire des efforts et des concessions. Notamment auprès de la scientifique qui était à présent sa copine, pour la respecter dans ce qu’elle était et ce qu’elle croyait ; il espérait bien évidemment qu’elle en fera, elle aussi. Il rangea son argent et regarda par les grandes baies vitrées du magasin, histoire de ne pas avoir affaire à l’image de la doctorante qui payait leurs provisions. Son visage resta neutre toutefois, ses pensées imperceptibles grâce, ou à cause, de ces années de « terreurs » durant lesquelles respirer de travers pouvait avoir de lourdes conséquences. Il prit le sac, et salua l’employée.
Ils se rhabillèrent avant de sortir, et ils firent bien car le changement de température fut radical. Il attrapa sa main de la sienne, seul geste affectueux qu’il se permettait en public en-dehors de l’étreinte, et ils avancèrent côte à côte dans le froid, empruntant le même chemin qu’à l’aller. Le vent frappait leur visage, tant et si bien qu’ils devaient l’enfouir dans l’écharpe qu’ils pourraient autour du cou. Impossible alors de se concentrer sur une conversation, ils marchèrent en silence dans la poudre blanche, qui faisait disparaître une bonne partie de leurs bottes. Mais ce fut sans compter sur l’espièglerie de Ji-hun qui, bien que muet, n'avait pas mis en pause son cerveau pour autant – probablement pas assez gelé pour ça, habitué à des minimas qui prenaient des vies. Il l’obligea à mettre fin à ses pas, laissa le sac de courses à terre après avoir lâché ses doigts. Il savait comment faire pour savoir qui contentera l’estomac de l’autre au petit matin, et Joyce n’eut pas à attendre bien longtemps le premier indice ; parce que l’inviter, c’était trop facile.
Il se baissa, plongea ses palmes dans la poudreuse, et commença à former entre ses paumes une jolie boule ronde et bien tassée. Et elle fut réceptive, la piratesse. Comprenant rapidement là où il voulait en venir, la jeune femme commença à s’éloigner, assurant d’ores et déjà sa défense, mais sans dire son dernier mot. Il la regarda, joueur, sourit à sa réplique. Bien que différemment d’aujourd’hui , tirer sur un(e) américain(e) avait longtemps été un rêve qui s’était répété au cours de sa vie. Dans la foire de Pyeongyang, endroit où il s’arrêtait systématiquement sur le stand d’armes factices, prêt à dégainer sur les silhouettes de soldats dressées devant lui. À l’armée, durant ses entraînements, où les coups meurtrissaient le visage d’un mannequin aux symboles capitalistes. Lors de ses rondes, lorsqu’à la frontière du trente-huitième parallèle il apercevait ses ennemis en compagnie de ces « amerloques » bidons, et qu’il plaisantait – à moitié – sur l’envie de leur mettre une balle dans la tête, imitant le bruit de la détonation après les avoir ciblé dans le viseur de ses jumelles.
Le moment lui était offert de pouvoir réaliser l’un des désirs haineux qu’il avait porté en lui près de vingt-six ans, mais il n’en profita pas. Il aurait pu la toucher de projectiles, même lorsqu’elle était en mouvements, mais il n’en fit rien. Il lança, sans réfléchir, visait les jambes, plutôt que la tête ou le cœur. Il balançait les boules de neige au hasard, parfois trop fort et souvent pas assez. Il ne la heurta pas de sa force, préféra la faire fuir ; sauve-toi. Et c’était bien plus marrant que de faire face aux mares de sang, devant lesquelles il s’était imaginé grand vainqueur. Il la coursa, sans jamais prendre avantages de ses longues jambes ni de ses entraînements. Il atteignit une fois ses bottes, et ce fut elle qui arriva à le mettre hors d’état de nuire. Une sphère glacée toucha son manteau, à hauteur de son torse, et il feignit la fin d’un combat qui marquait sa défaite. Il posa sa paume gantée sur son cœur, là où un restant de poudre s’était accroché et, pour avoir vu de nombreuses personnes mourir, il mima à la perfection l’étouffement de l’invasion du liquide rouge dans les organes vitaux – notamment respiratoires.
Il tituba vers la navigatrice, et n’eût le temps que de murmurer : tu m’as touché ! Jeu qu’il accéléra, parce que c’était pour plaisanter. Il se laissa aller dans la neige, s’écroula dans un jeu d’acteur quasi-parfait, et finit par tenter un dernier élan vers sa belle. Il se traîna tout en la suppliant : Ah, docteure, sauvez-moi… Exagération certaine logée dans les gémissements qu’il lançait dans la nature qui les accueillait. Ah…, soupira-t-il, Joyce, tu m’as eu, ajouta-t-il ; en plein cœur, même. Il la rejoignit, ventre à terre, porté par ses bras, si elle ne le retrouva pas avant. Et il s’accrocha à elle. Ses chevilles, ses mollets, ses cuisses, ses hanches, […] pour se relever à sa hauteur, grand sourire débordant de ses lèvres. Le torse agité par la poursuite précédente, et le myocarde qui faisait « boom », il rit avant de placer la poudreuse cachée dans sa paume sur sa poitrine et sortit : touchée !
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)
Blossoming
In the land of cherry blossoms,
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.