Bûches rapidement déposées dans le casier près de la cheminée, Ji-hun s’occupa de ramener la bouteille sur la table et de tirer le bouchon. Bien frais, le liquide remplit deux ballons en cristal avant de voir le serveur disparaitre près de la poubelle de la cuisine où atterrirent les restes des deux cigarettes qu’il avait fumées tout à l’heure. Geste banal pour lui, mais important pour elle, qui avait très certainement vu bien plus de personnes martyriser Mère Nature que de personnes l’ayant remerciée pour ce qu’elle avait à donner. Il retira finalement son manteau, après s’être imprégné de la chaleur que transmettait le foyer en proie aux flammes. Il le déposa sur la patère avant de s’installer sur la chaise qu’il supposait être sienne – question d’habitude. Ils se trouvèrent bien vite installés l’un en face de l’autre, devant deux plats fumants qui n’attendaient que d’être dégustés. Il leur faudra encore patienter un instant avant de sentir la cuillère fondre dans la soupe ou la fourchette se planter dans la quiche, car le nord-coréen décida d’agripper le verre et de le rendre au-dessus de la table, en direction de sa partenaire de voyage.
À quoi devaient-ils trinquer cette fois-ci ? Il lui laissa le soin de choisir parmi les innombrables possibilités, parce qu’il n’était pas certain de pouvoir trouver mieux de toute façon. La banalité aurait voulu qu’ils lèvent le riesling à leurs vacances hivernales, cette pause dont tout étudiant exemplaire rêvait mais ne pouvait que rarement s’offrir – à moins de s’être terriblement avancé sur les divers projets en cours, en tirant une croix sur bien des heures de sommeil. Pour sûr, d’ailleurs, que ça avait été leur cas. Alors, oui, se féliciter du rush des derniers jours pour s’en octroyer deux, loin des tensions des objectifs à tenir, aurait pu être une option, mais la biologiste en décida autrement. À nous , répéta-t-il à sa suite, même s’il ne comprenait pas vraiment le sens de ces deux mots ; à toi, à moi – à toi + moi ? Il n’y avait pas eu grand-chose entre eux. Messages furtifs, repas pris sur le pouce, pas de quoi mériter de célébrer. Il conclut donc que ça devait faire référence aux efforts qu’ils avaient fourni au sein de leur formation doctorale, et il était d’accord avec ça. Le vin blanc toucha les papilles du brun quand, demain, le tour du vin chaud et rouge viendra.
Le cristal eut à peine le temps de résonner, et les lèvres à peine le temps de s’imbiber proprement de l’alcool que Ji-hun enchérit sur les occupations de Joyce. Façon de savoir également ce qui avait bien pu la tenir si loin de lui, mais aussi ce qu’il avait bien pu louper de sa vie. Il n’attendit pas longtemps pour se prendre tout un tas d’informations dans la figure. Tant de choses desquelles ils auraient pu parler durant des heures mais qu’elle avait préféré garder de longues semaines rien que pour elle. Tout ça…, fit-il. Et s’il avait eu plus de facilités à faire monter des sentiments, bien entendu que sa voix aurait paru amère, mais il n’en fut rien. Il était un peu triste de ne pas avoir eu l’honneur de la soutenir comme elle l’avait fait durant ses rencontres sportives, ou bien dans la préparation de ses discours ; n'en avait-il plus le droit, ou n’en valait-il pas assez la peine ? C’était compliqué à comprendre, mais ça avait été ainsi, alors… Tu y as échappé, à la mononucléose , demanda-t-il, sincèrement désireux de s’informer. On pensait souvent au contact direct qu’offrait le baiser, mais la toux et les éternuements pouvaient aussi propager la maladie; avait-elle embrassé ce garçon ?
La probabilité qu’elle se soit rapprochée d’un homme avec lequel elle travaillait n’était pas nulle, et il ne pouvait lui en vouloir. En toute connaissance de cause, le doctorant serait même heureux pour elle si elle avait laissé au passé sa rupture avec Denzel à l’aide d’un nouveau compagnon de vie, quel qu’il puisse être. Il ne la regarda pas longuement, préféra contorsionner la tête vers le feu de cheminée, auquel il tournait le dos, pour s’assurer que les rondins faisaient encore leur travail. Il observa les flammes, sans trouver que dire. Il pensa au programme qui les attendait demain. Les pistes allaient probablement les accueillir, mais pas avant d’avoir rempli le frigo du chalet. Les corvées avant, le fun après, histoire de pouvoir pleinement profiter, puisqu’ils ne savaient pas exactement quand ils pourront s’offrir de nouveau ce luxe. Tu es plutôt ski ou planche, demanda-t-il avant de reporter le bord du verre à ses lèvres. Il préférait le snowboard, se sentait bien plus à l’aise dans ses mouvements qu’avec des bâtons au bout des mains. La discussion se poursuivit de banalités, identique aux échanges qu’ils avaient connus – pas plus, pas moins, ils avaient besoin d’un bon booster.
Après le repas Ji-hun se proposa pour faire la vaisselle, Joyce n’eut qu’à laisser assiettes, couverts et plats sécher à l’air libre ou bien se munir d’un torchon, à sa convenance. Elle s’était déjà occupée de la cuisine, le biochimiste ne pouvait se tourner les pouces ; il la remercia d’ailleurs, d’avoir pensé à apporter de quoi les nourrir. L’éponge retrouva sa place et une bûche fut déposée dans le foyer afin de raviver le feu. Je vais prendre une douche, prévint-il la jeune femme après avoir remis le pare-feu. C’est par là , demanda-t-il confirmation en pointant son index vers l’une des portes fermées du logement. Ça va faire du bien, après cette longue journée , ajouta-t-il. Ils avaient tout de même dû travailler puis subir un long trajet en voiture, le corps avait besoin d’être revigoré pour qu’ils ne s’effondrent pas tout de suite. Il monta l'escalier qui menait à leur chambre, et s’installa sur le lit afin de sortir tous les éléments dont il aura besoin pour se doucher. Pyjama, serviette et produits d’hygiène. Il n’oublia pas non plus sa lame à raser parce que, depuis que l'hiver s’était installé, il avait l’impression de voir ses poils pousser plus vite – ou il avait vieilli.
Il descendit, en prenant garde à ne pas louper la descente, car ses bras étaient pris. Il croisa naturellement la silhouette de la scientifique et ne put s’empêcher de s’arrêter sur le chemin qui l’emmenait à la salle d’eau. Qui aimes les douches à deux, ce n’est pas toi, l’interrogea-t-il, étonné de la voir patienter sans même prendre de l’élan à l’y rejoindre. Il haussa les épaules ; l’invitation était lancée en tout cas. Il marcha de nouveau en direction de cette porte qu’il ouvrit et laissa entrouverte, puis trouva un emplacement à chaque chose qu’il avait apportée. Il put enfin se défaire des vêtements. Un à un, ils quittèrent la peau du brun pour finir par être logés sur un meuble de coin. À présent nu, il n’eut qu’à faire deux pas en avant pour se retrouver dans la douche italienne de la maisonnette en bois. Pas très spacieuse mais refaite très récemment. Il tourna le thermostat pour le régler à une température agréable – ni trop chaude, ni trop froide, et les jets finirent par être activés. L’eau accueillit le soupir de bien-être de l’Asiatique aussitôt qu’elle eut commencé à glisser entre les mèches de ses cheveux épais.
Alors : était-elle en couple, était-ce simplement la fin de leur relation, ou bien allait-il la voir apparaître à ses côtés pour qu'ils puissent profiter, ensemble, de ce moment de détente ?
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)
Blossoming
In the land of cherry blossoms,
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.