Goûter aux plats végétariens, oui. Participer à leur préparation, non. Ji-hun ne s’était jamais présenté comme un passionné de cuisine, et ça, ça n’allait pas changer, pas même pour les beaux yeux de son invitée. Il détestait laver, éplucher, couper, émincer, cuire, et la surveillance de cette dernière étape n’était pas son fort non plus. Il se retrouvait souvent avec des aliments trop cuits et fades, pour ne savoir les assaisonner correctement. Il avait tenté, pour se nourrir au moins, jusqu’à ce qu’il découvre cette fameuse application de livraison, et le rayonnage de ces nombreux plats préparés. Il s’était fait une raison : seuls les ramyeons le mèneront à utiliser les ustensiles de la Pforzheimer House, pour le reste le micro-ondes et son téléphone feront l’affaire. Il n’était pas bien compliqué, de toute façon ; comment pouvait-il l’être ? Joyce, elle, connaissait quelques recettes. Sans nul doute qu’il se plairait à en déguster davantage, même s’il fallait pour ça traverser le campus et rejoindre la Dudley House. Il n’avait aucun problème avec les résidents de cette maison, et la biologiste confirma que cette guerre ridicule ne les atteindra pas ; lui aussi en était persuadé, de toute façon.
Ils finirent ainsi leur entrée, et les assiettes furent débarrassées par le garçon de salle qui reçut des éloges du brun. Le plat principal tarda un peu – probablement que la présentation demandait un peu de temps –, alors le scientifique décida que le moment était venu de lui dire son âge. Mystérieux jusqu’ici, il articula le chiffre vingt-six. Vingt-six années qu’il avait vu le jour, bientôt vingt-huit années coréennes derrière lui. Ça revenait à un peu moins de deux ans de différence entre eux deux, ce qui fit sourire l’homme. Une bonne nouvelle quand on le savait plutôt attirer par les femmes mûres ; pas sûr qu’il serait resté aussi longtemps exclusif à une demoiselle de moins de vingt-cinq ans. Il se lassait vite des jeunes femmes, parce qu’elles se montraient très instables autant au quotidien qu’au lit. Elles passaient bien souvent par trop d’émotions et c’était déplaisant pour le biochimiste qui était bien plus posé. La folie et l’excentricité c’était bien, mais à petites doses. Et encore, elles pouvaient être légères, ne pas mêler l’étrange à l’histoire. Pour tout avouer, Ji-hun n’aurait jamais supposé partager, sur une si longue durée, les draps de sa vis-à-vis ; deux semaines, un mois, auraient pu suffire.
Il ne savait pas trop ce qui avait joué en cette faveur. Était-ce le fait qu’ils entretenaient d’autres choses à côté, que ça ne rimait pas simplement avec des parties de jambes en l’air ? Est-ce que c’était parce qu’il n’y avait pas que du désir sexuel, qu’ils étaient tous deux intéressants l’un pour l’autre ? Sans ce dîner, et tous ces autres moments plus banals pour équilibrer la relation, pour sûr que le doctorant aurait fini par poser son regard ailleurs. Même si elle et lui s’entendaient très bien de ce point de vue là, le sexe ne restait que du sexe, et sa curiosité, elle, était intarissable. Et pour continuer dans cette lancée, il demanda à sa dame de l’eau une information inédite, de celles qu’il n’avait pas encore eu le loisir de découvrir au détour d’une activité ou d’une conversation. Il lui laissa le temps de réfléchir, but une gorgée de ce verre de nouveau rempli. Un triathlon…, répéta-t-il ; il peinait à imaginer Joyce courir. Il ne lui semblait pas qu’elle soit très fan de la course à pieds, avait toujours préféré son vélo. Elle avait un joli corps, mais ne pratiquait aucun sport si ce n’était les distances qu’elle parcourait sur son deux-roues, ou dans l’océan. C’était vraiment inédit, comme information.
Qu’on tente, ça te dirait, demanda-t-il, sans plus réfléchir tant que ça entre le moment où elle lui confia vouloir trouver une belle occasion de s’y inscrire et la question qu’il lui posa. Si à San Francisco il y a, ici aussi, non, supposa-t-il ; Boston était une grande ville où plusieurs sports étaient représentés au fil des saisons, et des évènements sportifs il y en avait toute l’année. Il profita que les serveurs soient occupés, et que le plat principal n’était pas encore servi, pour sortir son portable et faire une recherche rapide sur l’appareil. Il ouvrit une page de navigation et tapota de ses pouces les mots clés. Dans le Massachusetts, plusieurs il y en a, en été , conclut-il de sa lecture. La page répertoriait même quelques triathlons pour lesquelles les dates de réservation étaient déjà ouvertes. La même distance ils ne font pas, apparemment, fit-il, en regardant les miles indiqués sous chaque ligne ; de vingt à cinquante. À faire ensemble, une nouvelle activité ça pourrait être , lui proposa-t-il. Il s’entraînait déjà lors de ses préparations sportives, mais avec un coach ce n’était pas pareil qu’avec une « collègue/comparse/partenaire ». De quoi les faire rester exclusifs encore longtemps.
Qu’importa si ça l’intéressa aussitôt, ou s’il lui fallait du temps pour y réfléchir, – compréhensible, après l’incident avec sa cheville –, Ji-hun garda en tête qu’un jour elle s’y était essayée, et peut-être qu’elle l’expérimentera réellement, avec lui. Il l’interpella. Prénom sorti ainsi, voix grave qui commença sa course des lèvres du brun jusqu’aux oreilles de la piratesse. Il profita qu’elle relève la tête, le regard vers lui, pour appuyer sur le bouton central qui déclencha la caméra. Un cliché se figea sur son écran, et son sourire s’agrandit en voyant à quel point les photographies d’elle, prises sur le vif, étaient vraiment jolies. Il laissa ses pierres observer l’image immortalisée avant de reporter son attention sur la scientifique. Ils n’en prenaient pas souvent ensemble, mais Ji-hun savait dégainer son téléphone aux moments les plus représentatifs ; tout avait commencé lors de leur séjour sur les flots. Elle avait avoué vouloir plus de souvenirs d’eux deux, mais le nord-coréen ne pouvait s’empêcher de la capturer, elle. Vraiment bien te va cette robe, la complimenta-t-il une nouvelle fois. Cette robe, ce maquillage, cette coiffure. Il n’en fallait pas beaucoup pour qu’il la trouve ravissante.
Il plongea ses agates dans les pierres foncées de son invitée, attendit quelques secondes avant de lui adresser un clin d’œil. Rapide et efficace. L’homme qui s’occupait de leur table arriva peu de temps après cette mini-scène de séduction ; il fallait entretenir la flamme, toujours. Il présenta les plats élégamment, d’abord à la demoiselle puis au monsieur, avant de se retirer. Nutritif, coloré, bien présenté, un véritable tableau de grand chef que l’Asiatique peina à toucher. De le détruire, je n’ai pas envie, lança-t-il, accompagnant sa phrase d’un petit rire discret. Mais il fallut tout de même se lancer à explorer le magnifique jardin. Les bébés carottes de différentes couleurs réussirent à croquer et fondre en même temps entre ses dents, le quinoa était parfaitement cuit dans un jus doux en bouche, et la burrata se mariait parfaitement aux petits branches végétales. Les places au restaurant étaient assez onéreuses, mais il savait à présent qu’il en aura pour son argent à la fin du dîner. Ça me fait penser…, commença-t-il en levant les yeux vers l’un des lustres, fourchette plantée dans le fromage de buffle, à l’hôtel, de trouver des ingrédients, souvent demandaient les clients.
Il avait eu de nombreuses demandes particulières au cours de ses shift de nuit, mais il n’avait jamais véritablement compris pourquoi les personnes qui logeaient dans les hôtels se montraient soudain friands de déguster fruits, légumes et laitages. Avec tout ça, ce qu’ils faisaient je ne sais pas… un gâteau j’ai pensé, mais de cuisine il n’y avait pas, réfléchit-il, les billes toujours rivées sur le plafond, ; question qui avait demeuré sans réponse. Pour ne pas faire tâche auprès de ses collègues, il n’avait pas osé demander, et maintenant qu’il en avait terminé avec son contrat à l’hôtel, il ne risquait pas de mettre fin à ses interrogations. En plus des sucettes, du chocolat et des glaçons, les fraises, le pamplemousse et la crème chantilly étaient les produits les plus demandés, – de quoi faire une bonne salade de fruits.
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)
Blossoming
In the land of cherry blossoms,
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.