Une semaine de plus, à vaquer à ses occupations de doctorant entre la faculté de médecine et celle de science, venait de s’achever. Elle avait été ponctuée de formations générales en amphithéâtre, d'autres spécialisées et individuelles au sein des laboratoires, et de travaux en pleine autonomie. Le planning de l’année était validé, et il réfléchissait d’ores et déjà à ce stage qu’il devra effectuer à l’étranger au cours de la deuxième. Il était quasiment certain de vouloir rencontrer Big Ben, Hyde Park, le musée des sciences londonien et les divers palais historiques. Il rêvait de visiter l’Europe et ses capitales ; la ville lumière, la cité royale, la ville éternelle et le berceau de la civilisation – entre autres. À moins qu’il ne finirait par jeter son dévolu sur le Japon, et ses frontières maritimes avec la Corée du Nord, dans l’espoir de faire une pierre deux coups puisqu’il avait toujours en tête de voir un jour sa famille réunie. De grands projets avaient parcouru sa tête, mais ce n’était pas exactement pour cette raison que cette fin de semaine avait un goût bien différent des autres.
Son contrat à la Luna Caffe allait connaître quelques modifications pour lui permettre de concilier sa vie d’étudiant-chercheur avec ses extras. Son engagement auprès de l’équipe de natation lui demandait plus de temps que prévu, et il désirait garder un pied dans la vie active, parce qu’il s’était pris de passion pour le café, et qu’il adorait s’adonner au latte art. Mais le plus gros changement résidait dans la fin de son contrat à l’hôtel. Finies les heures du soir, et celles nocturnes plus exceptionnelles. Fini le temps de la réception et du service en chambre. Les petits secrets qui vivaient dans l’immeuble allaient lui manquer, mais ils laissaient place à d’autres occupations. Le nord-coréen allait pouvoir davantage travailler sur sa thèse, se reposer pour accueillir encore mieux le jour d’après, et profiter un peu, aussi. Parce que même s’il était axé sur son avancée professionnelle, il n’en était pas moins important pour lui de rester connecté au monde. Il avait prévu de fêter son retour à la vie normale auprès de Joyce, et pour ça il avait décidé de l’inviter au restaurant.
Le biochimiste avait souligné sur un message qu’ils s’étaient éloignés de la relation saine à laquelle ils s’étaient accrochés. Et même s’ils s’épanouissaient ensemble au creux des draps, qu’ils s’entendaient dans les pratiques, bien nombreuses étaient les options qui gravitaient autour d’eux, sans pour autant paraître moins fun ; envie de sorties et de conversations à la pelle. Tête-à-tête programmé alors en ce samedi, autour d’une table de qualité que le brun avait réservée pour l’occasion. Joyce et lui terminaient tous deux à vingt heures, et le scientifique s’était proposé de venir la chercher en lyft à l’aquarium afin d’éviter de louper une partie de la soirée dans les rues bostoniennes. La voiture attendait déjà devant la Luna Caffe, compteur activé, pendant que Ji-hun se pressait dans le vestiaire des employés pour se changer. Le pantalon de tailleur beige remplaça le jeans délavé, la chemise légère et le pull sans manche en tricot blanc cassé firent de l’ombre au traditionnel sweat-shirt, et la tenue fut accessoirisée – parce qu’il adorait porter bracelets et collier.
Mocassins aux pieds, il enfila son manteau en tweed marron, réajusta les mèches à son front avant de quitter le lieu, à pas pressés. Il monta à bord du véhicule après avoir attesté de son identité et donna l’adresse du New England. Il porta un regard sur la montre à son poignet et conclut qu’il n’était pas en avance. Il n’était pas à blâmer toutefois, parce qu’on ne pouvait rien aux horaires de travail – on n’y pourra jamais rien. Il observa la route, garda son sang-froid à chaque ralentissement et se redressa lorsqu’il aperçut le parc aquatique dans l’espoir d’y trouver la jeune femme. Il fut interpellé par la conductrice, qui cherchait également la silhouette de celle vers qui elle devait conduire son client : ce ne serait pas la p’tite d’moiselle là-bas. Le doigt pointé dans la bonne direction, Ji-hun ne put qu’acquiescer de quelques hochements de tête, la mâchoire prête à tomber. Vous allez finir par gober des mouches mon p’tit, lança la quadragénaire avant de faire les manœuvres nécessaires jusqu’à le rapprocher du parvis. Il ouvrit la portière et sortit du véhicule.
Il lui adressa un grand sourire tout le long du chemin qu’elle eut à parcourir pour le rejoindre, et lorsqu’elle fut à sa hauteur, il ne put s’empêcher de la complimenter : tu es… splendide. Et c’était vrai, la piratesse s’était autant apprêtée que lui pour leur rendez-vous, tout en restant fidèle à elle-même ; pas de chichis, que de la légèreté. Si prendre place, Mademoiselle veut bien…, laissa-t-il en suspens, attendant qu’elle daigne s’installer sur la banquette. Il prit soin de remettre le tissus de sa robe pastelle sur le siège avant de claquer doucement la portière, et fit le tour de la voiture pour s’asseoir côté route. Il retira la veste qu’il avait gardée sur ses épaules, tout en donnant les instructions à la chauffeuse, et plaça le côté intérieur de celle-ci sur les jambes nues de Joyce, parce que l’aération soufflait étrangement de l’air froid. Il mit sa ceinture ensuite et offrit sa paume à la doctorante, afin que puissent s’unir leurs doigts – comme à leur habitude.
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)