La lecture des résultats ne prit que peu de temps à Joyce, et les sourires illuminèrent bien vite les lèvres des deux doctorants. Ils étaient rassurés, autant pour la santé de l’un et l’autre que pour les risques qu’ils avaient pris en ayant une activité sexuelle, pour le reste… Que rien ne changerait tu m’avais dit, se rappela-t-il. Ji-hun en profita pour la ramener à cette conversation qu’ils avaient eu autour des résultats de ses tests. À ce moment-là, la biologiste avait appris que les siens étaient négatifs, ce qui signifiait qu’à l’instant T. elle n’était pas infectée et le brun ne lui avait rien transmis. Embêtant pour toi, ça aurait été,, dit-il, pour ça je me suis inquiété. De devoir l’obliger à tirer un trait définitif sur tout ce qu’elle avait pu imaginer possible de vivre avec lui. Exclusivité confiée sans aucun détour qui s’aurait avoué vaincue face aux IST portées. Obligation de revoir les plans pour leur sécurité, voire même de tout arrêter malgré une entente certaine dans ce domaine. Ce n’était pas tant pour lui qu’il était rassuré, mais pour elle, ses envies et ses besoins.
Il afficha un sourire bien plus grand toutefois, parce que cette crainte de la voir déçue était loin derrière. Il avait été pressé de lui annoncer pour voir ces jolies couleurs sur son faciès, il n’aurait pas aimé y lire morosité et fatalité. Le sujet était lancé, et l’ambiance aussi cosy que sérieuse de l’établissement supposait que c’était le moment le plus favorable pour approfondir ce genre de conversations. Il ne se voyait pas passer à la chambre de la Dudley pour ça. L’environnement était trop propice aux rapprochements, et même s’ils arrivaient à y étudier, les choses dégénéraient tout de suite après. Ils couchaient ensemble ou s’enlaçaient pour sombrer très vite dans les bras de Morphée, apaisés par la présence de l’autre ; comme tout début de relation, qu’importait son nom – à l’extrême. Le cadre était dessiné, Ji-hun n’avait plus qu’à se lancer. Parce que si ça semblait naturel pour la jeune femme de se laisser aller dans des ébats tels que ceux-là, lui avait des questions à poser et des aveux à faire avant de franchir les limites qu’il s’était toujours instauré.
À quand remontait la pose fut sa première question, et il l’écouta attentivement, ce qui lui permit de comprendre qu’il s’agissait donc d’un moyen de contraception sans hormone. Dans sa tête, les calculs se firent instantanément. De décembre à aujourd’hui, cela faisait neuf mois. Si on enlevait leur mois d’exclusivité, ceux de célibat et le(s) départ (s) de son ex-copain militaire duquel elle lui avait parlé, cela ne représentait que très peu de temps à exploiter pleinement les bénéfices du dispositif. Il fut toutefois heureux de constater que son corps n’ingurgitait ni œstrogène, ni progestérone, car les études quant aux risques restaient très controversées. Trop aux yeux du nord-coréen qui gardait en tête que les contraceptifs – tous confondus – étaient déficients ; le mal incarné. Heureusement, ça ne faisait pas de lui un homme inconscient qui jouait au petit bonheur la chance. Ses expériences avec les femmes avaient toujours été maturément réfléchies au point qu’il était clean et n’avait à ce jour aucun enfant prêt à lui succéder dans le monde scientifique – comme le voulait la tradition.
Et les problèmes, dans tout ça. Avait-elle été confrontée à quelconque souci que c’était durant ce court laps de temps ? Parce que c’était important pour lui de savoir dans quoi il s’embarquait, il avait besoin de la sentir confiante, pour lui-même s’avouer prêt à franchir cette étape. Planificateur hors-pair d’une vie schématisée aux détails près, il avait imaginé découvrir ça auprès de la femme qu’il aurait épousée, et non durant une relation … distrayante ? Remplie de complicité et d’affection certes, mais d’une relation qui ne promettait pas, et ne voulait pas promettre, grand-chose. Il prit un autre amuse-bouche et elle commença, très vite prise d’une émotion qu’il n’aurait jamais supposée bienvenue après « tout ça ». Il releva, surpris, ses agates sur le visage de la jeune femme. Tête légèrement penchée du fait de l'incompréhension, il fronça légèrement ses paupières pour tenter de déceler ce qui se passait, là. Moment loin d’être aussi malaisant que celui qu’ils avaient vécu à la pool party, mais presque aussi révélateur de son point de vue à lui.
De l’amour, il n’y connaissait fichtrement rien et, au stade de sa vie où il était rendu, n’y accordait aucune importance. Ça le décevait plus pour elle de ne pas avoir réussi à l’évincer complètement de ses pensées et de son cœur, plus qu’il ne pourrait se sentir blessé de coucher avec une femme encore attachée à un autre. Après tout, combien de femmes engagées, fiancées et mariées avait-il satisfaites au cours de ses expériences ? Hm, fit-il vibrer ses cordes vocales en hochant de la tête, à ça, j’y ferai attention. « À ça », comprendre les désagréments que le stérilet de cuivre lui faisait subir. Règles hémorragiques et douloureuses qui pouvaient lui faire passer une mauvaise journée, peut-être l’empêcher de bouger autant qu’elle l’aurait souhaité. Il y veillera, si jamais ils décidaient de se voir à cette période. Il l’avait déjà fait. Une tisane, un câlin, un gant tiède, des petits gestes qui pouvaient au moins apaiser le cœur à défaut de supprimer le reste. Des infusions, tu as encore, d’ailleurs, demanda-t-il. Celle de l’épicerie et/ou l’autre du magasin de plantes où il se fournissait personnellement, lui aussi.
Maintenant qu’il savait ce qu’elle ressentait durant ses menstruations, il pourra dorénavant être plus précis auprès de la vendeuse, et elle saura faire la concoction la mieux adaptée pour Joyce, sans nul doute. Il y repassera très prochainement, parce qu’il aimait prendre soin des autres, qu’importait le degré d’intimité qu’ils entretenaient. Il reprit une gorgée du vin, le laissa poser contre sa langue et son palais. Les yeux baissés sur le plateau à trois étages qui perdaient de ses bouchées colorées au fil de la conversation, il réfléchit à la manière d’aborder ses doutes et craintes sans paraître trop bizarre et suspect aux yeux de l’américaine qu’elle était. Une deuxième gorgée fut avalée avant qu’il ne se lance, et tant pis s’il lui faudrait faire preuve d’intelligence pour éviter de rentrer dans des détails qu’il ne pouvait dévoiler. Je demande parce que…, commença-t-il. Il passa le bout de sa langue sur le côté de sa lèvre supérieure avant de reprendre : en tout ça, totalement confiant, jamais je n’ai été. Ce qui expliquait son aversion pour les préservatifs, forcément.
Outre les effets secondaires indésirables, il expliqua être de ces hommes – et scientifiques – sceptiques quant à la totale sécurité promise par les professionnels, aussi bien concernant les potentiels risques de maladies que les plausibles conséquences sur la fertilité. Mais surtout et avant toute chose : n’existe pas le zéro risque. Ils pouvaient être tous fiers de leurs statistiques sur les infimes possibilités de vivre une grossesse non désirée, Ji-hun n’était pas dupe. Il voyait bien quelques ventres s’arrondir sur le campus, et il osait supposer que ces étudiantes n’étaient pas stupides au point de risquer volontairement leurs études à Harvard ; on ne parlait pas ici d’une université lambda. La grande majorité n’avait même pas vingt-cinq ans, et ne comptait pas sur le salaire raisonnable d’un doctorat chaque mois. Il soupira, laissa passer un couple de clients avant de lâcher : assumer ce genre d’imprévus, je n’ai jamais voulu, et je n’aimerais pas. Franchise absolue, trop d'ambition pour voir ses plans tomber à l’eau pour une histoire charnelle qui ne dépendait pas de sentiments sincères et profonds.
Peur camouflée de la nouveauté, de la dépendance dans laquelle il pourrait sombrer. Il n’était pas effrayé de détester faire l’amour – si on pouvait dire ça comme ça – mais plutôt d’aimer ça. Devenir accro, affamé, au risque de jouer trop souvent avec le danger que représentaient ces « 0,8% » de chances de féconder, qu’il estimait, personnellement, à 2,1%. Les habitudes rassuraient, réconfortaient. Il était satisfait des préliminaires, seule activité sexuelle à laquelle il s’était adonné jusqu’ici. Parce que, oui… C’est pour ça que, débuta-t-il sa phrase avant de passer un regard furtif autour de leur table, histoire de s’assurer que cela restera entre eux deux. Il hésita, ses dents venant pincer sa lèvre inférieure, pour ensuite la faire glisser tout contre la dentelle d’email blanche. C’est pour ça que, répéta-t-il avant de poser son regard marron dans celui de la scientifique, que je n’ai jamais fait. Aveu déballé, il faudra donc qu’elle se montre sûre de sa contraception, sûre d’elle et sûre d’eux pour qu’il accepte de sauter le pas ; c’était en elle qu’il avait confiance, en rien d’autre.
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)
Blossoming
In the land of cherry blossoms,
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.
Love bloomed like delicate petals.
Hearts entwined, two souls aligned.