Le contact se fit sans rougir, les mains savonneuses se glissèrent sur l’arête des épaules pour les caresser avant de descendre sur les omoplates et profiter de la fine musculature qui suivait de près sa colonne vertébrale. Les nombreuses années à se satisfaire de plonger dans l’océan de la balustrade d’un bateau, ou d’un haut rocher, fonçant tête la première ou pieds en avant dans les profondeurs de l’eau salée. Il aimait sentir le résultat de ses nages se dessiner sous ses doigts – brasse, crawl, dos, papillon, et la douceur de sa peau glisser contre sa paume. Il ne put s’empêcher de lui avouer qu’il trouvait le toucher agréable. L’un des premiers, et d’une longue série à venir il l’espérait. Tu fais bien, commenta-t-il en suivant les dos d’âne dorsaux jusqu’à la partie lombaire qu’il malaxa à son tour, jamais t’arrêter tu ne dois. Pour la qualité de son épiderme, adoucie et hydratée, pour elle, parce que ça devait être plaisant de s’appliquer de la crème, et pour ces autres qui auront le droit d’y goûter ; pour lui qui en baisera chaque parcelle jusqu’à ce que leur histoire tarit.
Il profita du moment autant qu’elle. Il en était certain, parce qu’il avait senti son corps se détendre à son passage. Les yeux dans lesquels il était plongé ne dévoilaient pas grand-chose, mais ces lueurs et différentes teintes marronnées étaient agréables à contempler. Il appréciait le changement qu’il y lisait, seule information qu’elle acceptait de partager, sans doute. Les pensées secrètes mais l’évolution de son cœur mise à nue. Quelques jours plus tôt, elle avait confié avoir grandi, se sentir bien moins chamboulée par son ancienne histoire, et probablement que c’était cet aveu qui avait poussé Ji-hun à penser que c’était le bon moment. Le bon moment de céder à cette tension qui avait mûri entre eux ; l’ « un jour peut-être » transformé en aujourd’hui. Absolument rien, ça change , rassura-t-il sa vis-à-vis. Chilseok restera à jamais une belle légende dans son souvenir. L’un des seuls couples de qui on avait conté le mythe, et qui valait pour exemple à suivre ; respect, loyauté et affection, c’était la devise qu’il voudrait rendre réelle plus tard.
Le flacon de gel douche dans les mains de Joyce, les siennes quittèrent le creux de son dos et le nord-coréen coopéra. Il se tourna, offrant à son tour le verso de son anatomie aux passages délicats des empreintes de sa comparse scientifique. Elle fit des croquis en de petits et larges cercles pour faire mousser le produit puis appliqua plus nettement sa signature sur les parties endolories par les heures de natation de la veille. Muscles malmenés qui avaient gonflé sous l’assaut des interminables répétitions de séries. Il serra la mâchoire au début, mais lorsque les chairs épaisses et tendues finirent par lâcher prise, il ferma les yeux et soupira de bonheur. Son avant-bras se colla à la paroi qui se tenait droite juste devant lui, et son front vint se calquer tout contre. Tête baissée, il profita des va-et-vient appuyés de sa nuque à ses fesses. Massage promis par écrit qui devint concret sous les jets reposants du pommeau qui coulaient encore sur leurs corps. Le silence fut le bienvenu pour accueillir cette quiétude où la femme donnait autrement une partie d'elle à l’homme.
Ses mains glissèrent sur ses côtes, quittèrent le chemin qu’elle avait tracé jusqu’ici pour aller se réfugier sur son torse. Étreinte qui réveilla le mâle de son micro-sommeil. Les paupières s’ouvrirent sur ses pattes adorables posées au-dessus de ses pectoraux, et il vint en saisir une de la sienne sans mettre fin au contact de la paume de Joyce et de son poitrail. Câlin accepté dans le plus profond mutisme. Les secondes se succédèrent sans qu’il ne veuille y mettre un terme. L’espace rien qu’à eux, le temps ne compta plus. De la chance ils ont, les personnes avec qui tu couches, s’avoua-t-il vernis d’un sort favorable lui aussi. Elle était la tendresse qu’il désirait – avait besoin. Il aimait donner beaucoup de sa personne sans jamais obliger un quelconque retour, mais il fallait être menteur pour affirmer que ça ne faisait pas du bien de recevoir aussi. Ça soulageait les maux invisibles, et même s’il n’en était pas vraiment conscient, Ji-hun en avait un sacré paquet en stock. Il serra davantage ses doigts aux siens, le myocarde tranquille sous son toucher.
Le corps masculin trouva la force de se redresser. Les minutes s’étaient écoulées autant que l’eau. Il refit lentement face à sa complice, et ses phalanges longilignes se logèrent de chaque côté de son visage, pouces en action sur ses joues. Il lui sourit, en la dévisageant avant d’attacher ses agates sur ses lèvres. Il les contourna à leur tour de ses pulpes, mais ménagea l’envie de les goûter à nouveau. Déjà parce qu’il ne se l’autorisait pas, mais aussi parce qu’il savait qu’il fallait garder le cœur des femmes intact, et pour ça préserver certaines limites, ne pas les dépasser. Il déporta son regard sur une mèche victime qui, pensant échapper au chignon haut, s’était retrouvée mouillée. Il la prit entre ses doigts et grimaça. Pour ça, tu vas m’en vouloir, demanda-t-il, se rappelant qu’elle ne supportait pas savoir ses cheveux humides quand elle ne l’avait pas elle-même décidé. Un sèche-cheveux j’ai, la rassura-t-il, en espérant qu’elle minimiserait le tragique accident. Après tout, leur union valait bien une chevelure un peu trempée, pas vrai ?
Tarder, on ne devrait pas, proposa-t-il à Joyce de sortir de la douche et de se préparer, les propriétaires, rentrer ils vont, bientôt. Et ils avaient été clairs là-dessus : ils ne voulaient pas d’invités sous leur toit quand ils étaient présents dans le logement. Ça avait été la seule règle qu’ils avaient stipulé à la signature du contrat de location, et l’asiatique ne désirait pas en déroger. C’était dommage toutefois, parce qu’il aurait bien passé la nuit à ses côtés. Dormir avec elle sur le bateau avait été fort plaisant, tant et si bien qu’il se languissait de pouvoir réitérer l’expérience. Jusqu’au matin ensemble on restera, la prochaine fois, dit-il. Invitation à se retrouver qu’il ne tut pas, l’adressant comme un appel à lui envoyer un signal lorsque son envie de lui et de ses bras se fera sentir. Il ferma le robinet de la cabine et laissa sortir la jeune femme en première. Il la suivit aussitôt, posant ses deux pieds près des siens. Il se pencha pour récupérer la serviette qu’il lui avait prêtée, et s’entoura de la sienne avant de frictionner son corps pour le sécher.
Jusqu’à l’arrêt de bus, je vais t'accompagner , la prévint-il alors qu’il commença à se vêtir de ses habits décontractés. Son quartier était plutôt familial, et ne craignait pas lorsque la nuit était tombée, mais il ne se voyait pas la laisser sur le pas de porte, comptait bien avoir droit à son little kiss avant qu’elle ne disparaisse dans le transport en commun pour rejoindre la Dudley.
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)