La légende de Chilseok disait que Jiknyeo et Gyeonwu se retrouvaient chaque septième jour du septième mois lunaire coréen, marquant ainsi le début de la mousson. Cette année, le festival tombait le quatre du mois d’août, et bien que le réchauffement climatique avait chamboulé la météorologie de la planète, repoussant les premières pluies, cette tradition avait de quoi être perpétué puisqu’elle portait aussi l’amour. L’amour d’un homme et d’une femme qui, bien que séparés trois cent soixante quatre jours par an – hors année bissextile, s’aimaient toujours profondément. Cette histoire faisait rêver bon nombre de jeunes femmes asiatiques. Elles se voyaient toutes en la jolie tisserande et espéraient qu’un vacher aussi fidèle que Gyeonwu puisse tomber sous le charme de leurs compétences domestiques, augurant ainsi leur futur matrimonial. Pour ce faire, elles portaient de beaux habits traditionnels appelés hanbok et se rendaient dans les rues destinées à Chilseok.
Ji-hun était là lui aussi, mais loin de là l’idée de trouver une demoiselle à marier. Joyce et lui avaient eu l’occasion de faire référence à cet événement, lorsque la jeune biologiste avait avoué son projet de partir explorer les mers et océans une fois son doctorat en poche. Ils s’étaient alors dit qu’ils se retrouveraient une fois par an à l’aquarium, pour assurer un avenir à leur relation – amicale ? La référence était donc venue naturellement et il lui avait promis de lui faire découvrir cette part de culture qui était la sienne. Alors, les belles jeunes filles avaient beau ralentir devant la grandeur de sa silhouette – trait physique qui attirait la gente féminine de toute l’Asie -, lui n’avait d’yeux que pour le ciel. Il n’avait pas plu la veille, et les nuages ne semblaient pas gorgés d’eaux ; le climat ne tournait décidément plus rond. Patientant à un angle d’Harvard Street, il finit par baisser son regard sur la foule, à la recherche de sa dame de l’eau.
Son mètre quatre-vingt-six l’y aidant, il finit par repérer les cheveux roses de l’étudiante, et son sourire s’agrandit. Quelques jours plus tôt, ils s’étaient revus après un long mois d’absence durant lequel Joyce était partie au large avec ses parents, puis s’était envolée pour l’Égypte, mais aujourd’hui marquait leurs réelles retrouvailles, à l’abri des regards des proches de la biologiste. Il partit alors à sa rencontre, réduisant la distance qui les séparait avant de se risquer à la serrer dans ses bras. Il plaqua la tête de son invitée contre son torse de sa main, et celle-ci se mit à caresser ses cheveux. Haenbokhaeyo*, souffla-t-il en faisant fi des regards curieux qui se retournaient sur eux ; être aussi proches relevait d’un certain degré d’intimité dans ce quartier qui abritait plus d’asiatiques que d’occidentaux. Il était heureux de pouvoir partager de nouveau un moment comme celui-ci avec elle, heureux aussi de la savoir de nouveau sur Boston.
Il avait pris un jour de congé pour l’occasion, ne travaillait donc pas à la Luna Caffe aujourd’hui , et les cours s’étaient terminés pour lui fin du mois dernier. Session intensive qui s’était révélée concluante puisqu’il avait obtenu son certificat d’anglais. Il lui rendit sa liberté, mais lui offrit sa main. Proximité qu’ils aimaient partager et qui pourrait lui permettre de se faire passer pour un homme pris ; au revoir les mariages arrangés par les ajumma. Un gâteau, que je te fasse goûter, il faut absolument , dit-il en l’emportant à sa suite. La parade n’était pas encore pour tout de suite, ils avaient un peu de temps devant eux avant qu’ils ne puissent en admirer les danses et les couleurs. Ils marchèrent alors, doigts enlacés, dans la grande rue montante. De part et d’autres, des boutiques ambulantes avaient vu exceptionnellement le jour, les portant ainsi tout droit jusqu’en Corée du Sud. Souvenirs brodés des silhouettes du couple céleste, et gourmandises en tout genre.
Heureuse de ton anniversaire, tu étais , l’interrogea-t-il. Revoir tous ces amis après avoir quitté la ville avait dû lui faire du bien. Joyce avait pris une année supplémentaire, se rapprochant doucement de « l’âge de nubilité » coréenne, sans pour autant l’atteindre encore. Toutes, une guirlande de fleurs, sur leur pas de porte, elles ont déposé, hier soir, fit-il en pointant discrètement du menton les jeunes femmes prêtes à se marier qui avaient envahi les rues, sur l’autel de leur maison, des offrandes elles ont réservé à Jiknyeo et Gyeonwu. Que le lien fort qui les unit teinte aussi leur future vie maritale, c’est ce qu’elles veulent. Des traditions qui ne pouvaient être complètement comprises, car trop traditionnelles elles paraissaient hors du temps, semblaient appartenir à un autre siècle, mais que pouvait-on faire contre des croyances ? Ji-hun trouvait qu’il était important de faire vivre les coutumes familiales.
Ce genre de rituels, vous avez aussi, demanda-t-il ; est-ce qu'elle devait se préparer au mariage, elle aussi, lorsqu'elle sortait avec un homme ou lorsqu'elle était célibataire ?
@Joyce Millett
* je suis content...
* ajumma : femme mariée qui, en âge d'être grand-mère, n'a pas encore de petit-enfant. A dédié sa vie à son foyer, et tente, d'une façon parfois très franche et grossière, de trouver le meilleur parti pour ses enfants.
(Ji-hun Hwang)