“... in all the world's noise.” | Xiver.

De l’autre côté du fil, il ne réalise certainement pas, l’effort surhumain dont elle fait preuve pour ne pas s’énerver. Déboulonner par rapport à celle avec qui il a passé sa soirée. Avoue même qu’elle ignorait qu’il puisse encore la côtoyer. Pas après cet hiver, pas après Wind River… « Attends. » Mais elle n’a plus envie de t’entendre pour le moment. Elle a besoin d’avaler la pilule. De ressentir sa gorge moins nouée. Et pourtant elle n’a pas raccroché. Trop malléable, la Haiwee. « J’suis seul aussi, » Et avant ? Et après ? Wendy n’est pas célèbre pour sa pudicité. Ca lui en arrache un rire, aussi nerveux que mauvais. « Depuis un bon moment, alors la tranquillité... » il y a ses paupières qui se sont fermées, indubitablement soulagée. Bien évidemment qu’elle a envie de lui parler, qu’elle pourrait rester des heures à l’écouter, ne serait-ce que le fait de l’entendre respirer. Niaise à souhait. Néanmoins, avant de continuer, il lui faut éclaircir un détail, un besoin de vérité qui résonne jusque dans ses entrailles. « Sheng, tu l’apprécies ? » en tant qu'amie, comme présence dans sa vie, dans la chaleur d'un jacuzzi, ou bien dans son lit. Oser le demander, frôler la folie, pour craindre de l’entendre souffler un oui.

Ils n’ont fait que diner ensemble parce qu’elle lui a dit de rester, presque en un ordre parce que Witter ne sait jamais être aimable avec lui, toujours amère même si elle s’est un peu adoucie. « Sheng, tu l’apprécies ? » Il s’est laissé tomber, sa tête jouxtant la tête de lit capitonnée pour appréhender la question. « Qui ? » Mais il sait très bien qui est visé, qui sa langue souhaite incriminer. Elles ne sont pas des centaines à envenimer le quotidien de la Haiwee alors forcément, c’est le visage de Wendy qui naturellement lui apparait. « Ce n’est pas une question de l’apprécier ou pas, » mais il se doit d’entretenir avec elle ce genre de rapports, d’être un point noir - ou pas - dans son champ de vision. D’ailleurs il ne s’est jamais posé la question, trouvant cette relation des plus normales pour deux héritiers que leurs familles ont tout fait pour lier. Dans son monde, de son point de vue, Wendy et lui ne font que jouer comme on leur appris sur les cases de ce noble échiquier. « Elle a de bons côtés » mais il faut être du même univers qu’elle pour les mériter et savoir les apprécier. Il marque alors un temps d’arrêt pour inspecter le manque d’activité avant d’ajouter : « Mais beaucoup de mauvais. » Depuis toujours formatée aux us et coutumes du milieu, elle en a oublié la définition même du mot humanité.

« Qui ? » Elle déteste, lorsqu’il fait ça. Lorsqu’il se joue de ses émois. Parce qu’il sait qui la question visait. Qui était l’apostrophe de son apprécie. Ce elle qui adore lui pourrir la vie. Celle qui lui a prouvé qu’elle ne serait jamais à sa place, à côté de lui. « Ce n’est pas une question de l’apprécier ou pas, » Si justement, dans le monde de la Haiwee, c’est blanc ou noir, dans ces cas là. Tu aimes ou tu n’aimes pas. Mais tu préfères effectuer des pirouettes, une énième fois. Si tu ne réponds pas directement par la négative, par un catégorique non, c’est que tu le fais, dans le fond. L’estimer pour ne pas savoir t’en passer. La garder à proximité. « Elle a de bons côtés » Les paupières encore fermées, elle accuse le coup qu’il vient de lui donner. Wendy Witter avoir de bons côtés, elle pourrait de rage en pleurer. Alors elle s’accroit, son envie de raccrocher, parce que les scénarios dans son imaginaire n’arrêtent pas de fuser. En tous sens, jusqu’à l’aliéner. Et ces représentations, elles lui donnent la nausée. « Mais beaucoup de mauvais. » Un soupir résultant d’une expiration ratée, un rictus étouffé dans cette tranchée obstruée. « J’ai pas – » les mots sont bloqués, se mélangent avec son désir de ne pas se disputer. Elle s’émiette à constater que malgré tout ce qu’elle est, ce qu’elle a fait, elle lui plait. Mais elle ignore comment se contenir, l’amérindienne, avec lui ses émotions sont trop diluviennes. « J’imagine qu’on les voit mieux de nuit, les bons côtés. » dans un jacuzzi, pas vrai ? « Réponds pas, j’veux plus en parler. » Elle a voulu jouer, elle a échoué. C’est elle, qui est jalouse, écorchée, avec la preuve qu’elle ne compte pas assez. Oui, il a gagné. Sheng ne perd jamais.

« J’ai pas – » la motivation de terminer sa phrase parce que sa langue l’avorte face à la fatalité. Il aurait beau la détester, il lui faudrait côtoyer Witter parce que telles sont les volontés de son oncle, de leurs familles respectives. Depuis des siècles déjà il est coutume de lier les futurs héritiers entre eux pour assurer la pérennité des plus grands consortiums, alliances signées dans la nécessité. « J’imagine qu’on les voit mieux de nuit, les bons côtés. » Combien de fois cet écart de conduite lui sera reproché… Ses yeux se sont déroutés vers les hauteurs à défaut de rouler, se remémorant les conséquences que son geste a entrainées.  « Réponds pas, j’veux plus en parler. » Pourtant c’est bien elle qui vient de remettre une pièce dans le manège mais il ne s’abaissera pas à lui répéter ce qu’il a déjà proclamé, n’ayant toujours pas changé de position quant à ce fait, libre de baiser qui bon lui semble jusqu’à ce qu’il ne soit marié. « Pourtant ça te travaille. Alors qu’il n’y a aucune raison. Il y a un monde entre apprécier et aimer,  » mais de toute évidence, aveuglée, cela ne satisfait à Haiwee.

« Pourtant ça te travaille. » Forcément, parce que cette relation est déjà bien trop bancale. « Alors qu’il n’y a aucune raison. » Aucune raison, puisqu’elle n’est pas partagée, cette affection. Elle n’est pas en droit de revendiquer quoi que ce soit. Elle a accepté sans avoir signé de contrat. « Il y a un monde entre apprécier et aimer, » Sauf que non, elle ne le sait pas. Blanc ou noir, pas d’autre choix. Elle ignore comment il pourrait apprécier la fille qui a manqué de tout gâcher. Une femme qui a cherché autant à la blesser, juste par plaisir, sans aucun autre intérêt. Nocive dans son entièreté.

Et sur ses lèvres, elle va brûler, à la finalité, la question, de connaître avec lequel de ces termes s’acoquinerait le sien de prénom. S’il aime ou apprécie la Haiwee. Mais c’est la peur du rejet qui prend le pas sur le reste, et qui fait que de l’interrogation, elle se déleste. Elle tente de l’omettre en tous cas. Consciente qu’elle ne supporterait pas qu’il le dise à haute voix. Que la réciproque de ses sentiments n’existe pas. « Ca me travaille parce que tu es chez elle, malgré ce qu’il s’est passé. » Comme si ne pas dépasser les limites du monde professionnel était incroyablement compliqué. C’est évident qu’il l’apprécie, même s’il ne le dit. « Puis tu l’as déjà fait ? » entendre son cœur s’accélérer, manquer d’oxygène, « aimer. » La seule chose qu'il semble affectionner, d'après Haiwee, c'est sa liberté.

Règlement de comptes à la finalité parce qu’elle ne parvient toujours pas à oublier ce qu’elle a découvert l’hiver dernier. Ce qui n’a été qu’un jeu entre les deux Adams est devenu un poison pour la sans maison, « Ça me travaille parce que tu es chez elle, malgré ce qu’il s’est passé. » Il n’apprécie pas le mot dont il va user mais il n’a pas d’autre synonyme qui lui vienne à l’esprit lorsqu’il se permet de lui rétorquer, ses doigts venant sur son front le malaxer. « C’est ma patronne. » Entre autres mais il ne se risquera pas de la blesser en avouant qu’il apprécie de se heurter au fiel de la rouquine démesurée, lui rappelant à quel univers il appartient.  « Puis tu l’as déjà fait ? aimer. » Une question qui lui donne matière à réflexions parce qu’il marche sur des œufs avec elle depuis son retour des steppes enneigées. Elle a appris, s’est adaptée à cette situation même si elle ne fait qu’effleurer l’art de la manipulation. Alors il esquive encore comme il sait si bien le faire la vérité. « Non. » Et d’aussi loin que remontent ses souvenirs, il ne s’est jamais attaché à une femme puisque sa famille y a toujours bien veillé, le préparant à devenir l’homme qu’il est aujourd’hui, le successeur sur lequel jamais femme n’aura la main mise. « Mais je peux apprendre. »

« C’est ma patronne. » Est-ce que ça amoindrit les choses ? Est-ce que dans l’esprit de Sheng, c’est mieux que ça résonne, si on couple son acte avec le mot patronne ? Parce que pour Haiwee, ça n’arrange rien, ça rend leur rapprochement d’autant plus malsain. Seulement elle n’en dira rien, elle savait au moment de revenir que d’autres filles, il y en aurait pleins, ses espoirs de ne l’avoir que pour elle extrêmement vains.

Et parce qu’il l’a lancé sur le sujet de l’amour, elle se risque à lui demander, en appréhendant de son cœur les irréguliers tremblements. Il prend plusieurs secondes afin de lui répondre, la contraignant à penser que s’il lui faut réflexionner c’est qu’une énième fois, elle n’est pas son choix. « Non. » Un choc, qui engendre une gêne de sa poitrine. L’affirmation claire et nette qu’il ne l’aime pas. Elle aurait préféré qu’il ne le dise pas, elle regrette sa question, « Mais je peux apprendre. » Non, ça ne fonctionne pas. Un rire mauvais acoquiné à la douleur s’arrache de sa bouche, elle se recroqueville, comme dans son lit, chez lui, en position fœtale, elle se couche. « Ca ne s’apprend pas, » du moins, c’est ce qu’elle croit, « quand on aime, on le sait, c’est tout. » Ca ne s’explique pas, ce n’est pas un sentiment que l’on peut lire, et que certains s’évertuent à vouloir écrire. L’amour c’est accepté d’être martyr.

« Ça ne s’apprend pas, » Pourtant on le lui a bien appris à le réprimer, ce sentiment dont elle semble vouloir à tout prix le voir doté, annihilé depuis qu’il est petit faute de devoir naviguer seul pour un jour trôner en toute impunité sur cet empire dont il sera le PDG. « Quand on aime, on le sait, c’est tout. » Et c’est celle, qui ne connait que très peu de ce monde, qui va lui faire une leçon de morale. Alors d’un soupir désabusé il replie derrière sa tête son bras afin de s’étirer le flanc, rouillé par cette journée d’enseignements. Il n’a jamais rien demandé à une femme et commence à le regretter amèrement et pourtant, il s’enlise en la questionnant, curieux de savoir comment l’amérindienne le quantifie cet étrange sentiment. « Toi qui sembles tout savoir à ce sujet, » qui se permet de le contrer alors que par de bonnes intentions il est animé, « on le sait comment ? »

Et encore elle l’écoute soupirer, elle qui se sent dans ce lit, de plus en plus, esseulée. A parler d’amour avec celui qui a réussi à la charmer. « Toi qui sembles tout savoir à ce sujet, » Il y a un sourire qui passe sur ses lèvres assez furtivement, elle ne sait pas tout, non loin de là, la Haiwee se contente de croire et de subir ses sentiments, innocemment. Parce que pour elle, à présent, c’est juste évident. « on le sait comment ? » elle en avale de travers sa salive, essaie de racler sa gorge, s’égare faute d’une réponse à cette question qui serait bien trop hâtive. « Je… » t’aime, moi, et je le ressens depuis cet été, tu vois. Et je crois même que mon corps le savait avant moi. mais au lieu de répondre, elle s’écorche d’un rire, elle cherche à se délester de cette sensation de nervosité, de la nouvelle encoche qu’il vient de faire sur les reliefs de son cœur, car s’il ne le sait pas, il lui prouve encore qu’il ne l’aime pas. Alors à le lui dire, elle ne s’aventure pas. Elle pallie d’un « Raaah, » ronchonné, la torture, « j’en sais rien, ça se ressent, » ça ronge, jusqu’à l’usure, « tu le sauras. » Quand de l’amour ton être éprouvera la morsure.  

« Je… » Encore une hésitation marquée, une réponse qui ne viendra jamais même s’il attend patiemment, insatisfait de ce pronom à peine soufflé. Elle éructe un rire nerveux depuis l’autre bout du fil sans même s’expliquer  avant d’être conquise par cet agacement qu’elle lui retransmet. « Raaah, » Pas facile de s’expliquer lorsqu’il s’agit de choses qui nous touchent de près… « J’en sais rien, ça se ressent, tu le sauras. » Mais ce n’était pas totalement la réponse attendue puisqu’elle s’est encore débinée, le sourire du sino légèrement pincé par ce contretemps alors qu’il sait maintenant où gratter. « Tu en parles si bien. Je pensais que tu l’avais déjà été, » au moins une fois dans sa vie avant d’être plongée dans un mariage arrangé. Alors que ses doigts s’amusent sur la couverture du bouquin qui l’a tenu jusque-là éveillé, il pousse au vice parce que les intrigues de capes et d’épées n’ont jamais trouvé place sur les étagères de sa collection privée.  « Je ne crois pas t’avoir déjà vu en train de feuilleter un roman à l’eau de rose alors… » elle doit bien tirer de ses propres expériences ce qu’il semble ignorer.