Pourquoi on parlait de ça, là maintenant? On était à l’enterrement de Wyatt, on avait tous les deux trahi la confiance de l’autre, on était tout les deux dans un mauvais état d’esprit. J’avais l’alcool qui me brûlait la trachée et pourtant j’continuais à avaler les gorgées, les mains tremblantes sous le manque et la douleur. Puis tu m’agaces, à toujours tout ramener à toi, genre t’as une famille de merde, une vie de merde. Spoiler alert, t’es pas la seule en fait. J’ai pas de famille royale mais mon père est un grand businessman qui a fait un gosse pour qu’il reprenne l’entreprise. Comme chez vous, quand vos darons font des gosses pour qu’ils reprennent le trône. On n’est pas si différents que ça, Agathe. Ta mère ne t’a peut-être jamais réellement aimée ou plutôt ne savait pas comment le montrer, moi j’avais vécu la même chose avec mon père. Père qui n’a eu aucun scrupule à abandonner Megara, à abandonner Ethan. J’étais loin d’avoir une famille parfaite moi aussi. Chacun ses problèmes. Alors j’préfère ignorer tes excuses, ignorer le sujet de conversation, parce que j’voulais pas qu’on parle de ma famille. Sauf que tu continuais sur l’avortement et c’était pas non plus un sujet que je voulais aborder, j’étais pas à l’aise avec ces questions, avec mes réponses. Tu émettais l’hypothèse d’à nouveau tomber enceinte pour me mettre face à ma volonté. "J’en sais rien. J’aurais rien à dire de toute façon. C’est ton corps, tes choix." J’ai rien à ‘refuser’, comme tu dis. Et du coup, j’préférais tourner les talons pour fuir, décidant de rentrer. Ton regard me serrait le coeur, tout comme cette discussion, tout comme le décès de Wyatt, tout comme le manque, et là, j’avais l’impression de suffoquer. "J’vais rentrer chez moi. J’ai rien à faire ici, c’était une mauvaise idée de venir." J’avais voulu écouter tes conseils mais j’m’étais trompé. J’étais pas fait pour assister aux enterrements, ça m’aidait pas, au contraire, ça ne faisait que me rappeler ce que j’avais perdu. Et la vérité c’est que j’voulais surtout fuir notre conversation sur l’avortement.
À quoi ça rimait tout ça? Ces questionnements par rapport à la grossesse, nous, cette discussion. Chacun notre tour, on déballait ce qu'on avait sur le coeur. Ptêtre un peu trop brutalement et sans filtre mais, au vu des circonstances on réfléchissait pas du tout à ce qu'on disait. J'avais pas envie de revenir sur le jour de l'avortement, de parler et reparler des choix que j'avais faits.. de tout ça. Sauf que, y'avait des questions que j'me posais. J'ignorais à quoi pensait Elliot, j'étais pas dans sa tête. Finalement, j'comprenais pas trop ses mots. Si ça devait se reproduire, il ne prendrait pas les mêmes décisions? Les choses seraient différentes? J'avais le droit une fois de plus à un '' j'en sais pas. '' On tournait en rond, cette discussion menait à rien et j'essayais vraiment d'être compréhensive. Elliot décidait de mettre fin à notre blabla, préférant se retirer. J'savais pas où me positionner, j'savais pas si c'était.. une rupture? Parce qu'il fuyait, voilà. En fin de compte, j'ignorais si on avait réglé nos soucis. On s'était trahi, on s'était excusé et maintenant on avait un autre problème: parler de cet avortement, qui était un sujet tabou. « J'viens avec toi. » Dans un geste, je venais poser ma main sur son bras. Steplais, me repousse pas. J'comprenais que j'aurais pas dû l'encourager à assister à l'enterrement.. c'était égoïste de ma part.
J’décidais de partir. De m’éclipser. De prendre la fuite. Appelez ça comme vous voudrez. J’voulais juste plus être ici. J’voulais pas assister à l’enterrement. J’voulais pas t’affronter. J’aime pas les conflits moi. J’suis un pacifiste, j’ai pas d’ennemis, j’aime pas les embrouilles. Encore moins avec les gens que j’aime. Parce que oui, tu fais parti de cette liste Agathe. Et j’crois que c’est pour ça que tout ça, ce qui s’est passé hier soir, m’a autant blessé. Et puis, cette discussion sur le bébé, sur ton avortement… j’regrettais déjà de l’avoir eue. J’regrettais amèrement. J’aurais préféré ne jamais aborder le sujet finalement. Parce que, ta réaction? Non, c’était pas celle que je voulais. C’était pas celle que j’espérais. Et du coup, j’préférais mettre tout ça sous silence. Le sujet est rangé au fin fond d’un coffre fort scellé et impénétrable. Le genre de coffre qu’on n’ouvrira plus jamais. Du moins, moi, je l’ouvrirai plus jamais. Je sais à quoi m’en tenir maintenant. Du coup, j’préférais juste… partir. Rentrer chez moi. Me poser. Prendre une dose. Et dormir en ne pensant à rien. Tu poses une main hésitante sur mon bras, m’annonçant que tu rentres avec moi. T’as peur? Que j’me bousille, comme dimanche dernier? Peut-être que tu me crois pas quand j’te dis que j’suis pas suicidaire. Soit. "D’accord." Je touche deux trois fois l’écran de mon iPhone pour commander un Uber vers mon appartement. "Je vais me piquer." En rentrant. J’préfère te le dire d’emblée. Et j’sais que t’as pas envie de me contrarier là, alors t’essayeras pas de m’en empêcher. Et c’est tant mieux. Parce que c’est la seule chose à laquelle je pense pendant tout le trajet jusque chez moi, regard planté à travers la fenêtre. Tout ce à quoi je pense, c’est de ne plus penser à rien.
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