SELENE MONTROSE ► Mathilda Bernmark

Fatiguée, tu somnoles à moitié le visage contre ton hublot tandis que ton regard s'épanche sur le ciel sombre et infini que t'offres la vue de ce vol de nuit reliant l'Europe aux États-Unis. Ouais, les États-Unis, finalement après en avoir entendu parler toute ta vie. Certes ce n'est pas la première fois que t'y mets les pieds et ce ne sera sûrement pas la dernière puisque tu comptes rester ici un peu plus qu'un simple séjour de vacances. Tu t'y installes. Carrément. Tu as pas prit de temps pour voir si t'y installer et y poursuivre tes études sont de bonnes idées, tu t'es juste embarquée à la prochaine étape de ta vie. Tu as fait tes bagages sans penser au reste, et tu as quitté le bercail. Bien sûr que non, bien évidemment que non que ça ne s'est pas fait à l'arrache sans papiers et tout le reste. Il y a un pourquoi du comment, voire plusieurs, voire des milliers. En fait, ta vie doit se poursuivre en Amérique, loin de tout et pourtant plus proche que jamais des gens que tu aimes. Ceux que tu aimes putain, c'est ça le plus important. Ceux qui t'ont aidé à te trouver toi, ceux qui ont apaisé ce brouillard qu'étais ta vie, tes sentiments, à peu près tout ce que tu as réussi à cacher jusqu'à ton adolescence quoi. Et peut-être que c'est ce manque, cette absence de sentiments par milliers qui te manquait. C'est peut-être ça qui t'a poussé inconsciemment à comettre la plus grosse connerie de ta vie. Tu as pas envie de t'étaler, tout se résume aux Hale, à ces putains de Hale. Flemme d'expliquer comment tu as tout fait merder, rien que ça te ferait chialer. Tommen a été ce pilier dans ta vie sans lequel toutes tes structures ne tiendraient pas debout, l'élément premier de ta personne et certainement celui qui loge la plus grande place dans ton cœur, ça c'est pas nouveau. Mais votre rupture t'a beaucoup marqué, énormément même et ce même si votre amitié persistait. À distance mais qu'importe, tu as vécu avec le grand amour et c'est inoubliable, tu es devenue en quête de ce sentiment avec désespoir, le goût du passé sans problèmes te manquait. Lorsqu'on y passe des années, Cannes devient une petite ville et les relations s'y font vite surtout quand t'apprends que le frère de ton ex s'y fait hospitalisé. Comme tu le disais, même après votre rupture où tu as changé du tout au tout tu tentais de rester encore proche de votre réseau d'amis et ce par exemple par les réseaux sociaux où rien n'était plus secret, où tu as notamment été mise au courant des opérations de Samson qui portaient leurs fruits, du fait qu'il recommençait à retrouver ses capacités physiques enfin bref, Samson redevenait le Samson que tu as toujours connu, grand frère du Tommen, un véritable portrait craché en plus mûr, certainement. Mais seulement tu le savais bien tout ça, voire même très bien. À vrai dire, tu le voyais de tes propres yeux. N'ayant que toi en tant que vieille connaissance à ses côtés, Samson t'avait toi pour pouvoir discuter, pour se voir revivre petit à petit, et sans forcément trop d'efforts, créer un petit jeu entre vous. Il te faisait du bien, Samson. Il te rappelait son frère qui te manquait, mais avec un souvenir de son visage trop lointain pour ne pas distinguer leur deux personnes et ça t'a poussé à faire cette connerie. Cette connerie de retenter quelque chose avec un Hale, même si ça n'allait sûrement pas fonctionner tu n'y pensais plus, tu n'avais plus envie d'y penser. Faire des expériences tu voyais ça comme l'unique solution et qui sait, peut-être que ça vous mènerait à un futur heureux ? Impossible, tu as été naïve de penser ça. Beaucoup trop naïve. La preuve, y'a qu'à voir où tu en es. Au début, loin de tout, loin de lui tout particulièrement, votre jeu était simple à jouer, sans trop d'embuches. En parallèle, tu ne répondais même plus aux messages, évitait les appels, faisait tout pour rendre la pilule probablement plus simple à avaler si seulement tu pouvais éviter que ça s'apprenne un jour. Tu faisais tout pour plus qu'il n'y ait de règles, que peut-être le bonheur se trouvait aux côtés de l'homme qui n'est qu'à quelques centaines de mètres de toi, non pas avec celui à l'autre bout du monde. Tes souvenirs partagés avec Tommen devenaient des souvenirs à partager avec son alter-égo et tu voulais fuir la réalité à tout prix, te rendant peu à peu compte de tes conneries mais pensant faire le bien. Tu déversais ton manque dans ta relation avec Samson, absolument toutes les odeurs et images de ce qui rendait ton passé parfait. Ce qui rajoutait également de cette passion qui te semblait réelle, non pas modifiée pour rendre les souvenirs d'autant plus vrais. Puis tu as réalisé, finalement, après avoir commis l'irréparable, sûrement trop tard, mais tu as arrêté ce petit jeu. Tu te rendais compte du mal que tu causais, même s'il n'étais pas encore au courant. Tu aurais préféré qu'il ne le soit jamais. Qu'il n'y ait jamais de discussion à avoir, jamais de pilule à avaler, rien. Qu'une anecdote à propos de cette relation ne surgisse plus jamais dans ta vie. Mais le monde n'est pas peint que de rose et tu avais écarté une personne en particulier de ta vie que tu n'aurais jamais dû, celle à qui tu ne préférais plus penser tandis qu'elle avait le spectacle sous ses yeux. Dans la famille Hale, pas compliqué de savoir que la carte que tu détestes le plus est Blue-Ivy, la gosse la plus chiante qu'il t'ait été donné de rencontrer. Gamine de la tête aux seins, si ce n'est qu'elle en ait, enfin bref cette personne a toujours représenté tout ce que tu ne pourrais jamais saquer sur cette planète. Au début vous vous entendiez bien, malgré vos années d'écart mais ses actes ont fait que tu ne pouvais plus la voir en peinture. Vous mettre dans la même pièce n'est même plus envisageable. Parce qu'il faut bien comprendre que vint le mois où Tommen avait enfin prévu de vous rendre visite, début de l'été de cette année 2017, tous bien contents que ce soit enfin les vacances pour prendre un peu de repos mais également pour tous se réunir pour fêter la fin du combat de Samson. Enfin, tu allais le revoir. Rien ne serait plus comme avant mais lui ne saura jamais au courant de ce qu'il s'est passé et c'était le plus important. Blesser Tommen pour toi, c'est même pas envisageable. Revoir son visage t'excitait, n'empêche que tu avais la boule au ventre. Devant ton miroir, tu tentais d'écarter les souvenirs de ta bêtise et esquissais un faux sourire, quoi de plus naturel. Vous l'aviez accueilli en beauté, content de l'avoir parmi vous et en croisant son regard maintes et maintes fois, tu avais réalisé que tu avais fait le bon choix en arrêtant tout avec Samson, que Tommen était vraiment le seul avec qui il était envisageable pour toi de construire un truc véritable. Avec qui il n'y avait pas besoin de faire recours au passé pour construire quelque chose de nouveau. Tu étais encore amoureuse, c'était certain, mais vous étiez beaucoup trop loin l'un de l'autre à présent pour continuer, vous aviez essayé et ça n'a pas marché. Évident que de cette façon rien ne pouvait plus fonctionner entre vous et c'est bien dommage. T'espérais que vos chemins se recroisent, d'une façon ou d'une autre, pour que peut-être tu finisses à ses côtés mais tu avais encore tes remords, certes secrets mais qui te pesait sur la conscience. Tu voulais te débarasser de ce poids d'une façon ou d'une autre mais tu n'y parvenais pas, alors quelqu'un l'a fait dignement à ta place. Ouais, tu aurais pas mentionné Blue-Ivy pour rien. Vous vous demandiez qui a tout gâché ? C'est toi, certes, mais Blue-Ivy a donné pas mal là-dedans non plus. Une gamine, tu disais, une balance également qui n'a pas trouvé plus intelligent que le passage de Tommen après tant d'années pour lui expliquer la pire trahison qu'on aurait pu lui faire. Ouais, ok, rien de ce que tu as fait n'était intelligent, n'empêche qu'on aurait sûrement pu te donner une chance à toi ou à Samson pour donner des explications de votre propre bouche plutôt que ce ne soit la peste de service pour balancer salement votre aventure. Tu as eu ce sentiment de haine, mais lui tout autant et ouais t'épargnes les détails des pires journées de ta vie mais tu as fini bloquée de partout, sans plus aucun moyen de t'expliquer et certainement moins de te faire pardonner et tu ne t'étais sûrement jamais sentie aussi mal de ta vie. Tout s'était effondré sous tes yeux, en quelques paroles, plus de messages, silence radio. T'étais seule à assumer les conséquences de ta connerie et tu ne te sentais plus d'affronter ça seule. Demander pardon à genoux n'était certainement pas ce qui allait marcher, mais ça te coûtait quoi d'essayer sérieux ? Mais Tommen était déjà reparti loin, et tu ne te voyais plus vivre ici, en France, à Cannes où tout est devenu gris et reprendre une routine paisible. Tu ne pouvais plus voir les gens d'ici dans les yeux, voir les lieux de tes bêtises chaque jour en te promenant. Le rejoindre était la meilleure solution. Au moins celle qui était envisageable. Voilà ce qui t'a poussé à faire des bagages sans regarder derrière toi, faire des démarches de transfert universitaire et finalement te retrouver pliée en quatre dans ce siège d'avion bien français, qui représente à 100% tes origines que tu voudrais oublier à présent, qui te rappelle d'où tu viens et qui tu es devenue. Et tu peux pas le supporter ça, alors tu as hâte que le vol se termine. Hâte d'avoir une chance de tout recommencer, peut-être, auprès de ceux que tu aimes. Celui que tu aimes. La distance est ce qui vous a séparé, mais ta connerie est sûrement ce qui vous a brisé. Recoller les morceaux dans un premier temps, un tourment nouveau envisageable sûrement, tu structures tout ce que tu vas lui dire et penses à tout ce que tu aimerais lui dire. Tu sais quoi dire, quoi faire. Encore faut-il y arriver.