CARTER ▬ save me from myself

Carter trouvait qu'il n'y avait rien d'horrible à être amoureuse, alors que depuis trois ans, j'ai la fâcheuse tendance à penser tout le contraire. Il n'y a rien de plus horrible et destructeur qu'un amour qui ne mène à rien de plus que la torture mentale d'une personne qui veut simplement être heureuse dans les bras d'une autre personne, dans une entente magique, dans des étreintes fabuleuses. Dans une relation,  rien n'est simple, alors que tout le devrait. 《Je deviens dingue Carter. Elle me manque autant que je la hais, et je la hais autant que je l'aime. Mais je sais pas comment je peux gérer cet amour fantôme, et je sais même pas comment je pourrais réagir si je la revoyais un jour. Et je peux pas me fourvoyer dans les draps de la première fille qui passe, j'ai peut-être peur que le schéma se reproduise, que je commence à m'attacher à cette autre personne pour souffrir encore. 》 Je trouvais peut-être l'explication la plus sensée sur les blocages qui me caractérisent depuis trois ans, et le pire, c'est que cette fois je suis sobre comme personne et que je pourrais m'en souvenir. J'aimerai pouvoir être plus frivole avec les filles, moins dans la retenue tout le temps, comme ma colocataire,  mais c'est plus fort que moi. Calixte à marqué ma vie jusqu'à la fin de mes jours alors que parfois je voudrais qu'elle n'ai jamais existé. Mais je ne peux pas contrôler mon passé,  autrement,  beaucoup de choses n'en feraient pas partie. Mais changeons de sujet. 《Faut que tu me révèle tes secrets pour te remettre en scelle si vite après une rupture,  je t'admire presque ! 》 dis-je alors à mon amie en riant. Il fallait avouer que sa séparation avec Roman l'a pas mal marquée. Pourtant elle est au top de sa forme mentale, visiblement,  même si je me doute qu'au fond d'elle,  elle est au bout de sa vie. J'allais récupérer une bouteille dans un sac près de mon lit, avant de lui tendre. À elle l'honneur de l'ouverture de cette bonne bouteille d'alcool. Puis on va pas faire dans la dentelle, on boit au goulot,  vu que j'ai pas envie de laver deux verres. Pour une fois que j'ai la flemme...

Sa vision de l'amour est peut-être une réalité que je me refusais, parce que la gradation sentimentale est une sorte de loterie, qu'au début tout est beau, t'as des papillons dans le ventre et les guiboles qui tremblent, pour qu'au final on sorte les mouchoirs à cause d'un ou d'une enfoire qui donne envie de se jeter sous un train ou le métro. Et depuis Aly, l'amour est devenu mon pire ennemi et mon coeur foutu ne veut plus être victime de cette roulette russe. Alors j'haussais les épaules quand elle eut terminé son explication sur le sujet. 《 Tu sais, j'ai beau lui en vouloir de ne pas m'avoir expliqué pourquoi elle partait, j'ai surtout jamais essayé de lui demander pendant les trois dernières semaines avant son départ, et le truc que je lui reproche, c'est qu'elle n'a pas essayé de me retenir quand je me suis sauvée. J'ai pas graille pendant une semaine après ça, j'avais trop mal à l'âme pour ça. 》 Je marquais une légère pause dans mon discours avant de reprendre. 《 J'ai pas envie de recommencer ce genre de délires complètement inutiles alors que je pense toujours à elle. Ça serait faire souffrir une personne inutilement et me torturer. Alors je refourgue ce problème aux autres.》 Je brossais alors son dessus de lit du revers de ma main, puis j'enjambais son lit pour aller chercher la fameuse bouteille d'alcool en écoutant sa confidence vis à vis de son ex copain. Elle expliquait presque qu'elle était malheureuse de devoir coucher avec d'autres personnes que lui, que c'était une sorte de vengeance envers ce mec. 《La meilleure vengeance c'est pas de lui faire du mal en te donnant à n'importe qui, c'est de ne plus lui donner d'importance et de continuer à être heureuse loin de lui. Je te dis pas d'être à la limite dans un club d'abstinence ou d'entrer au couvent, parce que même moi j'irai pas le faire.》 dis-je alors en riant, en attendant de récupérer la bouteille entre mes mains pour laisser l'alcool brûler ma gorge un instant.

Les vraies raisons du départ d'Aly sont inconnues pour moi, et je ne cesse de me torturer depuis trois ans avec des spéculations aussi tordues les unes que les autres. Peut-être qu'elle n'assumait pas de pouvoir rester en couple avec moi, peut-être qu'elle avait déjà une copine à Orlando qui l'attendait patiemment et que j'étais la meuf la plus stupide de toute la Floride, ou alors elle était fugitive et ce n'était pas sa réelle identité. Je suis peut-être partie assez loin dans mes délires après son départ, mais franchement, qui n'aurait pas imaginé de tels scenarios dans le même cas ? Alors Carter me conseillait d'attendre qu'elle revienne un jour pour tout lui demander. J'en avais envie, qu'elle revienne. Tout comme j'avais envie de fuir cette idée qui me nourrit de faux espoirs depuis environ 1095 jours. Du moins, je me suis arrêtée de compter à ce moment là, parce qu'on a largement dépassé le seuil. « Et si elle revient pas ? Je vais rester toute ma vie sans avoir une seule raison qui tienne la route, une peur panique de m'engager dans une nouvelle relation, et des souvenirs qui traverseront mon esprit dès qu'un peu de joie m'approche ? C'est vraiment nul comme avenir, meuf ! » répondis-je, dépitée, mais en souriant tout de même. Faut que je reste positive. Puis elle me conseillait autre chose, comme quoi m'attacher à quelqu'un d'autre sans forcer le destin ne serait que bénéfique pour moi. Ca, j'en suis pas du tout convaincue, et je ne manque pas de lui montrer avec une moue boudeuse. Alors je ne pouvais pas suivre ce conseil. Ne serait-ce que pour une seule et unique raison. « Se mettre avec une personne et en aimer une autre, j'appelle ça de l'infidélité morale, et c'est pas cool du tout. C'est comme les gens qui aiment deux personnes en même temps, j'peux pas concevoir ce truc bizarre. Soit t'es à 100% à une personne, soit tu enchaînes les relations sans attaches. J'suis encore une romantique accomplie. Pour le moment. » dis-je en riant alors. Après tout, on ne sait jamais de quoi demain sera fait, et si demain je revoyais Aly et que les choses se compliquent encore plus, je pense que je plaquerais tout pour m'enfermer dans des histoires sans lendemains. Mais j'aime trop cette fille, putain. Puis là, Carter me lançait LA bombe du moment, à chaud. Elle est enceinte. Ma tête se figea, avant que ma bouche ne s'ouvre en grand durant un instant. « T'es enceinte, sérieux ? Et lui il s'est barré ? Mais quel connard ! C'est pas un mec bien, Carter. Même si c'est le père de...du petit alien qui te fera vomir avant même d'arriver, et qui va t'en faire voir de toutes les couleurs à l'avenir. » Je ne savais pas quoi dire de plus, avant de prendre la bouteille entre ses mains. « Et les femmes enceintes, ça picole pas. »

Ca fait pas longtemps que j'ai débarqué dans cette colocation, et depuis que je suis ici, c'est bien la première fois qu'une discussion aussi sérieuse est présente. Je crois même que Carter est assez choquée de cela pour le penser. Et on se connait assez bien pour se dire les choses qui vont ou ne vont pas dans nos vies respectives, si bien que je suis arrivée à lui parler de mon blocage sexuel alors que personne en dehors de ma conscience est au courant d'une telle chose. Alors elle tente de me conseiller du mieux qu'elle peut, tout en prenant exemple sur ses problèmes relationnels actuels avec Roman. Elle me dit qu'il faut que je me laisse porter par l'euphorie d'une nouvelle histoire, que ce n'est pas le temps qui fait que les sentiments disparaissent, mais bien quelqu'un pour qui de nouveaux sentiments se développent, qui font que les anciens disparaissent. Dans un sens, c'est assez logique, mais d'un autre, je bloque sur le fait qu'on puisse aimer une autre personne en ayant encore des sentiments pour une personne de notre passé. « J'peux pas aimer une autre personne qu'elle, elle est trop présente dans ma tête qu'elle laisse pas d'place à une autre personne. » me contentais-je de répondre à mon amie, validant ainsi que pour moi, c'était peine perdue. Aly allait m'habiter toute mon existence, et j'étais contrainte de l'accepter. « Si dans les six mois qui viennent elle revient pas, j'vais la traquer à Orlando. J'irais demander à ses parents qui vont un peu plus me détester qu'avant, tant pis. » ajoutais-je en riant légèrement. Ses parents ne sont pas...très joyeux et accueillant. Puis Carter m'exposa plus vraisemblablement les faits de sa rupture avec Roman, comme quoi c'était elle, qui était partie, et comme quoi il était pas au courant de sa grossesse. Alors là, je ne savais encore moins quoi dire. « Tu t'es fourrée dans une merde sans nom là, tu sais ? Parce que déjà, être en cloque, en soit, c'est déjà une bonne galère. Mais en plus il est pas au courant, et t'es toute seule. T'as pensé à quelle réaction tu pourrais faire face ? S'il en veut pas, tu vas quand même le garder ? » Il fallait qu'elle se prépare à toutes les éventualités possibles. Si ça se trouve, il va la tabasser ou quoi. Mais s'il fait ça, il aura à faire à moi, l'abruti.

Pourquoi les relations humaines sont à la fois si complexes et salvatrices pour toutes les inspirations artistiques qui demeurent cachées au fond de chacun ? Avant Calixte, je n'avais rien connu que le viol. Après Calixte, je ne connais que l'errance sentimentale qui m'étouffe, qui m'enferme dans une bulle en plexiglas impossible à percer, dans l'attente de son retour, nourrie d'utopie, en attente de la délivrance qu'elle saura me donner. J'ai beau avoir essayé de trouver une infirmière le temps d'une soirée, rien n'est possible. Le fait de l'aimer est comme une maladie incurable, et tout au long de ma vie, j'aurai cette maladie qui sommeille en moi. Elle a ce pouvoir dans le regard, au creux de ses bras, qui a su me rendre accro à elle, comme une droguée à son héroïne, sa cocaïne, sa meth, son crack. Alors j'envie un peu la vie sentimentale de Carter. Son Roman n'est pas la seule relation qu'elle a eue, alors peut-être que c'est pour cette raison qu'elle est plus détachée de sa situation sentimentale « dépravée » tandis que je m'agrippe comme une sangsue à cette histoire. Elle m'amusait quand elle me disait qu'elle viendrait avec moi pour aller la traquer, parce que je sais très bien qu'elle en est plus que capable. C'est presque elle qui me pousserait à y aller, en vérité. « Tu pourras faire du charme à Monsieur Wilkins avec ton regard de biche, pendant que j'essaie de remettre sa mère un peu dans ma poche ? » dis-je en riant légèrement, imaginant presque la scène dans un coin de ma tête. Puis j'écoutais attentivement tout ce qu'elle me disait sur le père du foetus qui habitait son ventre, sur le peut-être avenir de ce petit être qui, selon le bon vouloir de monsieur, ne sera plus qu'un souvenir dans la vie de mon amie. « Et s'il te dit qu'il veut pas assumer une paternité, ce genre de choses, tu vas faire quoi ? Tu vas assumer seule ? » Le cas de grossesse, j'ai jamais fait, donc je ne sais pas trop quoi lui dire, ni comment la conseiller, alors je fais comme dans les séries que j'ai pu regarder quand j'étais plus jeune, après, j'aviserais.