CARTER ▬ save me from myself

J'ai emménagé dans la chambre d'Ava et Carter il y a quelques jours à peine, mes affaires sont toutes installées, je suis bien installée, Ava est sympa, Carter ça fait maintenant quelques années que je la connais, donc de ce côté là, tout roule. Mais le fait de me retrouver entourée comme je le suis désormais, me rappelle à quel point au fond de moi je me sens seule et à quel point mes problèmes de confiance me bouffent la vie. J'en ai marre d'être cette fille qui drague pour au final, partir comme une voleuse quand la fille tourne le dos. Je veux passer cette foutue barrière entre les autres et moi. Mais je sais que seule, je n'arriverai pas à grand chose. Alors j'attrape mon iPod, et je mets ma musique à fond, le temps de réfléchir à comment faire pour palier à cette souffrance que je m'inflige depuis trop longtemps. Après tout, je connais Carter depuis assez longtemps, je sais que je peux lui faire confiance aveuglément. Je me mets alors à penser que je suis sacrément en train de dérailler, puis je vais à la fenêtre pour regarder le campus de nuit, en fumant une clope, le son toujours dans les oreilles. Puis merde, je n'ai qu'une vie, et je vais pas la gâcher en jouant les fausses vierges effarouchées. « Carter ? T'es occupée ? » Je ne savais pas trop en quoi consistait mon plan, mais je n'allais pas rester là éternellement, à réfléchir sur lon sort. Tant pis si elle me prend pour plus dingue que ce qu'il n'y parait.

Cela fait plus de trois ans que j'attendais patiemment qu'Aly revienne me voir, que j'espérais qu'elle revienne parce que je n'ai pas réussi à tirer un trait sur notre histoire mal achevée. Je suis une fille sentimentalement faible, et psychologiquement encore plus faible, voire instable quand il est question de relations humainement personnelles. J'ai la fâcheuse tendance à ne jamais aller au bout de ce que j'entretiens avec une fille, je fuis toujours, d'une manière ou d'une autre. J'écrasais ma clope sur cette pensée, au moment où Carter me répondit qu'elle m'écoutait. Je m'asseyais alors au pied de son lit, les jambes croisées en tailleur. Il fallait absolument que je trouve des solutions, ou au moins des options pour me débloquer de mes blessures du passé, en dehors de séances hors de prix chez un psychiatre qui me dira que je suis complètement folle. « Tu saurais pas comment je pourrais me débloquer avec les meufs ? J'veux dire, j'vais pas passer ma vie à attendre pour avoir confiance en quelqu'un ou qu'Aly revienne dans ma vie pour pouvoir coucher. » J'étais assez cash sur le sujet, mais depuis toutes ces années, j'allais pas jouer la fine fleur avec Carter. C'était pas comme si je lui demandais de coucher avec moi. Je la regardais alors pleine de questions, la suppliant presque de m'aider ou de me dire de me bourrer la gueule pour être totalement désinhibée, même si ça n'a jamais marché.

Je dois être l'une des seules personnes sur ce campus qui ne baise pas avec quelqu'un. D'un côté je peux être fière de moi, mais d'un autre côté, c'est un putain de fardeau à porter. Je dois passer pour une allumeuse incapable d'assumer quoi que ce soit. Ce n'est pas si faux que ça, dans le fond. Mais Carter posait une question assez intéressante, bien qu'elle soit loin de la réalité. « Je ne laisse aucune femme me toucher depuis Calixte. Elle est la seule qui y soit parvenue. Et dès que j'ai un ticket avec une fille, j'me sauve comme une voleuse quand elle a le dos tourné ou je trouve une excuse. J'y arrive pas, même si j'pense pas à Aly tu vois ? » Je me laisse embrasser, emporter dans mes envies, mais dès qu'il s'agit de me foutre à poil dans un lit avec la fille que j'ai trouvé, je perds toujours mes moyens. Puis Carter me demandait si j'allais la repousser si elle tentait de m'embrasser, ce qui me fit rire légèrement. « Parce que t'as envie de m'embrasser ? Avec toi ça serait pas pareil, j'te connais depuis des années, j'ai confiance en toi et tout. C'est pas le cas avec les autres. » Tourner la page entre Aly et moi. Je ne peux pas m'y résigner. Ca serait comme effacer ce qui fait que je suis moi. Même si espérer la revoir me tue plus que ça ne me fait de bien. « Oublier la seule personne qu'on a su aimer, c'est pas possible. J'suis sûre que tu peux pas me contredire là dessus. Mais j'devrais essayer d'arrêter de l'attendre, peut-être. » Je baissais alors les yeux. « Faut que j'arrive à passer le cap avec une autre fille, ça m'aidera peut-être à tirer un trait sur elle...» dis-je alors avec un léger sourire.

Carter n'est pas la première personne à me faire comprendre qu'il faut que je passe à autre chose, que si ces trois dernières années sont restées silencieuses du côté de Calixte, c'est que je n'ai plus rien à attendre d'elle et qu'il faut que je tire un trait sur deux ans d'amour. C'est pas si simple, bien que je le voudrais, mais en même temps, je n'ai pas non plus envie de l'oublier et me dire que je n'étais qu'une distraction dans sa vie. Beaucoup disent que c'est stupide de s'accrocher à quelque chose qui fait du mal. Ce qui me ferait le plus de mal, c'est d'abandonner ce que j'attends depuis trois ans, du jour au lendemain. Et les paroles de Carter allaient dans ce sens, plus en douceur, certes, mais elle me conseillait de l'oublier. « Et si elle revenait ? S'il y avait la moindre chance qu'elle revienne ? Je serais là, à l'aimer et à la snober ? Ca me ferait encore plus de mal de la voir sans l'approcher. J'ai l'impression de lui appartenir, même si mon corps n'est plus à elle. Ca m'rend dingue ! » Je soupirais alors. Dans le genre fille paradoxale et indécise, j'en tiens une sacrée couche. Carter me conseillait ensuite, pour défaire le blocage sexuel qui m'habite depuis trois ans maintenant, de faire ça avec quelqu'un en qui j'ai confiance, ou bien de picoler à mort pour être totalement désinhibée. Cela m'amusait quelque peu. « J'ai déjà été au bord du coma éthylique pour essayer de pécho une meuf. J'ai même pas réussi, et en plus j'ai gerbé sur ses chaussures. J'étais blacklistée de son plumard pour au moins dix ans ! » dis-je en riant, avant de reprendre « Faudrait limite qu'on essaie de coucher ensemble pour voir si ça bloque aussi. Mais ça serait un peu chelou sans alcool. Puis, j'pense pas que j'sois ton genre de meuf. » Comment ça je passe pour une fille désespérée ? C'est pas faux, je suis un peu désespérée pour le coup, mais au point où j'en suis...autant que ce soit avec quelqu'un qui ne me jugera pas. En plus, on pourra mettre ça sur le compte de l'alcool.

Aly est la seule histoire d'amour que j'ai vécue, la seule histoire qui m'a entraînée dans une frénésie sentimentale, une passion amoureuse, une tendresse salvatrice, un nouveau souffle de vie qui me procurait tellement de choses à la fois que je n'ai jamais su dissocier ces émotions mêlées les unes aux autres. Aly était tout mon univers. Tellement belle et tellement parfaite à mes yeux. Même si elle avait ses défauts, même si parfois elle semblait distante, je l'aimais de tout mon être. Je l'aime de toute mon âme. Je me suis damnée pour ses beaux yeux dès l'instant où j'y ai plongé mon regard. J'ai fondu contre sa peau, et tous mes problèmes d'adolescente s'en allaient dès que mes lèvres touchaient les siennes. C'était un amour épique, glorieux, fantastique, qui s'est finalement éclaté contre un rocher trop énorme pour être retrouvé. J'étais et suis toujours persuadée qu'Aly est mon âme soeur, l'amour d'une vie, qui ne se termine jamais, malgré les flots déchaînés de la vie et du temps qui passe, de la distance assassine.Mais Carter a encore raison. Je ne pourrais pas lui tomber dans les bras directement, quand elle reviendra, si elle revient un jour. « J'ai essayé tu sais ? De l'oublier, d'aller de l'avant. Mais j'ai un blocage. Je ne peux pas laisser n'importe qui me toucher trop. Alors je vis, à moitié, dans l'attente d'un putain de miracle. » J'ai essayé des dizaines de fois d'aller plus loin avec une autre fille que Calixte, sans succès. C'était comme si au fond de moi j'étais toujours avec elle, comme si j'allais la tromper en couchant avec quelqu'un d'autre, alors que je sais pertinemment que notre histoire est terminée. « Boire n'est même pas utile pour que j'couche avec une belle inconnue. J'suis un cas désespéré ! » dis-je alors en riant légèrement, avant de passer une main dans mes cheveux. Cependant, est-ce que coucher avec Carter est une bonne idée ? Dans le sens où j'ai une confiance presque aveugle en elle - faut pas déconner, elle pourrait me foutre du piment dans la bouche pendant mon sommeil si elle veut - c'est une bonne idée. Par contre, on est amies depuis pas mal d'années, on vit en colocation, ça pourrait devenir gênant, pour elle ou pour moi. Mais après tout, on a pas d'attaches autres que l'amitié, et on ne compte, ni l'une ni l'autre, aller plus loin qu'une amitié consentie et sans langue de bois. « Faut pas forcer le destin, si un jour ça doit arriver parce qu'on a trop picolé, ça se fera. Mais on va pas s'foutre à poil dans le même lit tout de suite. Et tes ex... C'est vrai qu'il n'y a aucun lien identifiable entre eux ! » J'avais vaguement aperçu ces deux types, mais je n'y attachais aucune réelle importance, finalement. Je n'ai pas de relation poussée avec eux. « En parlant de picoler, j'ai soif. » ajoutais-je alors, avec un léger sourire au bord des lèvres.