AILUS ✱ Here we are again ✱#2

Boulot, métro, dodo sont désormais mon vocabulaire. Je me lève tôt, je déjeune devant ma fenêtre, regardant la ville se réveiller petit à petit. Puis je vais me doucher en vitesse et j'enfile une tenue qui sera de toute façon camouflée par ma blouse blanche. Je cours ensuite derrière le métro et je ressors face à l'hôpital. Mon nouveau lieu de travail. J'entre dans le bâtiment en effervescence, je trace ma route et je me cloître dans mon bureau. J'enfile ma veste de professionnel puis je relis mes dossiers avant de recevoir mes premiers patients. Aujourd'hui n'a pas échappé à cette succession d'événements. Me voilà dans mon office, saluant mon dernier patient de la matinée. Un enfant de six ans qui a déjà des difficultés. Mon ventre se creuse, je descend donc vers la cafétéria la plus proche, celle près de l'accueil général. Mon coeur se serre lorsque la longue chevelure blonde d'Aileen me fait face. Cela fait plusieurs jours que nous nous sommes pas vus, la faute à la vie quotidienne et son lot d'imprévus. Elle me manquait pourtant atrocement mais le temps m'avait manqué pour le lui dire. Sa présence dans ce lieu synonyme de "mauvaises nouvelles" m'effraie. Je me précipite en sa direction et lui attrape son épaule menue. " Leen, tout va bien ? " demandais-je nerveux. " Qu'est-ce que tu fais là ? " ajoutais-je en déposant un baiser sur sa joue lorsque nous nous étions retrouvés en face à face. Tout à coup, la femme de l'accueil fit glisser un prospectus sur le comptoir en apostrophant Aileen. Mon oeil curieux capta l'information en un rien de temps, il s'agissait d'un flyer sur la grossesse. Ai-je loupé un truc ou quoi ? Je fis mine de n'avoir rien vu, attendant que les explications sortent de la bouche de la jeune femme.  

Tu veux faire ça rapidement, vite fait bien fait, histoire de ne pas croiser des gens que tu pourrais potentiellement connaître. T’es à l’accueil, à discuter avec la dame, plutôt âgée et qui dit âgée, dit qu’elle prend son temps cette conne. A te poser des questions trop indiscrètes, à te sortir que tu aurais dû te protéger, qu’à ton âge tu es encore trop jeune pour avoir un gosse. T’as bien envie de lui faire bouffer ses lunettes à l’autre vieille. Qu’elle se dépêche par pitié. Puis une main sur ton épaule te sort de tes pensées, tu reconnais cette voix, oui, tu la connais que trop bien d’ailleurs, c’est celle de Gus. Et tu as même l’impression que ça fait une éternité que tu ne l’avais pas entendue.

Pourtant, ton corps se tends sous ce simple geste, t’es nerveuse d’un seul coup, parce qu’il ne devrait pas être là, pas pile à ce moment super gênant. « Gus. » c’est tout c’que tu arrives à lui répondre, pour le moment, puis la femme de l’accueil sourit en voyant Gus près de toi. « J’vais bien, je…suis juste venue me renseigner. » Tu ne veux pas l’inquiéter, mais l’autre conne sort pile à ce moment le flyer sur la grossesse, quelle conne. Donc forcément tu te mets à rougir, tu ne sais pas trop comment tu vas t’en sortir cette fois-là. Tu soupires et attrape presque violemment le papier avec toutes les informations dessus et attrapes la main de Gus pour l’entraîner ailleurs, sans même prendre la peine de remercier la dame. Trouver un coin tranquille, trouver les bons mots pour le rassurer, ça va pas être de la tarte.

Je suis dans mon élément, dans mon milieu. L'hôpital peut parfois être un endroit redouté pour certain mais pour moi, c'est un point de rencontre riche en humanité. C'est ma première semaine dans les parages et autant dire que les patients affluent. J'ai déjà de quoi me triturer les méninges pendant de longues soirées. Je n'avais encore jamais pensé à ce que Leen puisse  débarquer sur mon lieu de travail et mon comportement vis à vis d'elle fût froid. Qu'allait penser les collègues en me voyant l'embrasser à pleine bouche ? Malgré les petites années qui nous séparait, Leen faisait bien plus jeune et cet écart m'avait conduit à me montrer distant. Le problème n'était pas à ce niveau, mais plutôt pour la raison de sa venue. Le flyer sur la grossesse n'était pas passé inaperçu pour l'observateur que j'incarnais. Aileen s'en était munis et l'avait planqué au fond de son sac avant de m'embarquer plus loin vers un coin à l'abri des regards indiscrets. Mes yeux s'étaient écarquillés, et mon visage avait affiché une grimace loufoque. " Qu'est-ce qu'il t'arrive ? T'es vraiment bizarre " balançais durant le chemin où je m'étais fait trimballer par la blouse. Connaissant Aileen, elle devait s'en doute protéger quelqu'un. Ce n'était pas possible qu'elle soit concernée par cette histoire. " Anna est enceinte ? " demandais-je franchement en haussant les épaules. Fallait-bien tenter une approche sur le sujet non ?

Revoir Gus ici…ça t’fait des picotements au cœur, parce que t’as cette foutue impression que ça fait trop longtemps que tu ne l’as pas revu. Mais dans ces circonstances, non, t’es incapable d’assumer, de penser que t’es ptêt vraiment enceinte de lui, trop jeune, et lui, si ça se trouve il n’a pas envie d’être jeune papa. T’es sur le point de craquer, parce que tu flippes, t’as peur qu’il décide de couper les ponts avec toi pour une bête histoire de bébé. Enfin ce n’est pas une bête histoire… c’est tout un tas de responsabilités à prendre, alors au fond de toi tu espères sincèrement ne pas l’être.

Tu n’as pas de famille pour t’aider dans cette situation, si jamais tu l’es, la seule personne sur qui tu pourrais vraiment compter c’est Anna, ou même Happy, mais Gus…t’en sais absolument rien. Alors c’est pour ça que tu l’as entraîné dans un coin, loin des trop curieux, nerveuse. Déjà parce que quand il t’a vue, il n’a pas été top chaleureux avec toi, et t’as toujours ces picotements au cœur.

« J’ai l’air bizarre vraiment ? » okay, keep calm, respire un bon coup, mais tu n’as pas le temps de continuer sur ta lancée qu’il t’offre plus ou moins une porte de sortie, une excuse bidon. « Non, non, Anna va bien, c’est une autre amie, qui veut des renseignements. » Tu t’sens mal de lui mentir « Et si jamais elle est enceinte, elle a peur que son petit ami réagisse mal et décide de se barrer… » Tu lui tends inconsciemment une perche, pour voir sa réaction, voir si lui il déciderait de rester ou non.
« Mais je suis contente de te revoir moi aussi… je vais bien merci… » tu lâches, un peu vexée, la moue triste qu’il ne t’ait pas demandé comment tu allais.

Je me fais trimballer comme un toutou, ne captant plus vraiment le décor qui défile autour de moi. Lorsque nous nous retrouvons dans un coin plus intimiste, je lance une piste sur le comportement étrange de Leen et il s'avère que j'ai apparemment tapé dans le mil. " Oh la pauvre ! S'il l'aime vraiment il comprendra la nouvelle et il la suivra dans ses choix je suis sûr, sinon c'est que c'est pas le bon et là je lui souhaite vraiment de ne pas porter son gosse " lui expliquais-je en grattant nerveusement ma tignasse emmêlée. Mon raisonnement paraît logique mais s'il s'agissait de moi, peut être que l'annonce d'une telle nouvelle me ferait réagir comme un gros con. Qui suis-je après tout pour donner des leçons ? Je n'ai encore jamais vécu une pareille situation.
Leen semble par la suite vexée, je m'en doutais, je n'ai pas été affectueux depuis nos retrouvailles. Sa bouille attristée m'aguiche paradoxalement. Ma bouche se tord, mes yeux se noient dans les siens avec  une ivresse palpable. Mes bras s'élargissent et l'entourent pour la coller contre mon torse. Mon nez s'enfouie dans ses cheveux et hume l'odeur de son shampooing. J'embrasse le sommet de son crâne et caresse son dos lentement. Après ce câlin désiré, ma curiosité revint à l'assaut " Si elle veut en parler ton amie je suis là, c'est mon métier en quelque sorte " dis-je avant de lui offrir mon sourire compatissant. " En tout cas ton amie a beaucoup de chance de t'avoir, c'est pas tout le monde qui va prendre des renseignements sur ce sujet. On aurait pu croire que c'était toi la concernée et tout, t'es une folle Leen ! " confiais-je en encerclant son cou de mon bras pour l'entraîner de nouveau vers l'accueil. " Tu veux continuer ta journée avec moi où tu dois partir ? " demandais-je en me dirigeant vers l'extérieur, afin de respirer de nouveau un air pur.  

S’il l’aime vraiment… et toi Gus, qu’est-ce que tu ressens pour moi ? Tu m’aimes ? Tu lèves tes yeux bleus vers le jeune homme, perdue dans une tempête de sentiments, t’aurais bien besoin d’aide, qu’il vienne t’en sauver, qu’il te rassure comme il sait si bien le faire. Les sentiments sont là, et bientôt ça va vous exploser à la gueule, tu n’sais jamais comment t’y prendre de toute façon, alors tu verras bien. Et toi Gus, t’es le bon ?
Tu sais qu’au fond de toi oui, c’est le bon, il serait le gars que tu aurais pu présenter à ta grande sœur, à tes parents, mais tout ça, aujourd’hui c’est tout simplement impossible, enfin… Il reste ton père, mais comme tu as coupé les ponts avec lui il y a de ça des années, tu ne connais même plus sa nouvelle adresse. Tu t’en fous, du moment qu’Anna approuve ton choix, alors tu seras prête à faire un bout de chemin avec lui.

Puis il semble comprendre que t’es vexée qu’il ne soit pas content comme toi de te revoir, te prends enfin dans ses bras, et là tu retrouves ton Gus, tes repères rien qu’avec ce simple câlin. T’aurais voulu qu’il t’embrasse, mais tu as oublié que tu étais sur son lieu de travail. Ta tête posée contre son torse, tu soupires de soulagement, même son parfum t’avait manqué, c’est fou l’effet qu’il te fait, tu n’aurais pas cru ça possible en fait. « Ouais, elle en a de la chance… » sauf que la vraie concernée c’est toi, alors tu ne sais toujours pas comment il réagira si jamais tu étais enceinte. Enfin, c’est peut-être seulement qu’un retard, du moins c’est ce que tu espères secrètement.

« J’veux rester avec toi. » tu réponds du tac-au-tac sans même lui laisser le temps de continuer sa phrase, c’est vrai quoi, tu n’es pas venue ici pour rien, sauf si au début tu étais là pour un test de grossesse. Mais ça peut toujours se faire chez toi, suffit d’aller dans une pharmacie. Alors tu le suis, sourire aux lèvres, à l’extérieur « Ton nouveau boulot te plaît ? » tu lui demandes, curieuse, mais un peu inquiète que les infirmières du service lui tournent autour. « J’parie que les infirmières te draguent souvent non ? » Jalouse toi ? Noooon du tout.

Je suis aux anges que Leen puisse rester auprès de moi pour ma pause. Les textos c'est bien mais la voir en vrai c'est mieux. Nous nous extirpons de l'hôpital et nous nous dirigeons vers le parc qui l'entoure. C'est bien plus gai que l'intérieur du bâtiment. On en oublierait presque la misère qui peuple l'intérieur des murs. " Mon boulot est génial, c'est tout ce que j'ai toujours voulu faire. " lui répondis-je en osant enfin mêler mes doigts aux siens. À cette époque de l'année, peu de fleurs et de parfums émanent des jardins mais la nature est toujours là, disponible pour me ressourcer. Le commentaire de Leen par la suite me fit éclater de rire. Les infirmières ? Je ne les ai toujours pas remarqué. Maintenant que le sujet est soulevé, je ferais davantage attention. " Je ne m'en suis pas aperçu ! Ça te dérangerait si c'était le cas ? " répliquais-je joueur. Il fallait vraiment que nous arrêtions de tourner autour du pot. Nous étions en train de former un couple, le premier qui viendrait s'intéresser un peu trop à elle prendrait probablement mon poing dans la gueule. Je pense que je suis juste en attente du parfait moment pour éclaircir la situation. L'enceinte d'un hôpital ce n'est pas l'endroit le plus romantique. Mais est-ce que pour elle aussi notre histoire est claire ? A-t-elle envie de s'afficher avec moi ? De me découvrir en long, en large et en travers ? Enfin sortis du labyrinthe, je prend la première à gauche, direction la petite boutique bio qui prépare d'excellents repas rapides. " Tu as mangé ? Je meurs de faim, on se prend un truc à emporter ? " proposais-je en caressant le revers de sa main de mon pouce, n'osant pas rompre le rythme pour enfin l'embrasser comme je le désire. De toute façon, je dois absolument me ravitailler pour attaquer l'après-midi, je m'avance donc en direction de l'épicerie, radieux et heureux d'être en sa compagnie.

Dehors il fait quand même froid, enfin pas trop puisque de toute façon tu es sortie avec un manteau bien chaud, puis tenir la main de Gus, ça te réchauffe aussi. Puis c’est con mais ça t’fait sourire, t’aimes bien ces petits gestes, pourtant si simples mais si rassurants. A quand la grande déclaration de sentiments ? Qui doit faire le premier pas ? Non, tout ça, t’y es pas habituée, tu n’as jamais eu la chance d’aimer sincèrement quelqu’un, parce que t’es pas facile non plus comme fille.
Ton cœur se serre encore un peu, et s’il ne voulait rien de sérieux, et si ce début d’idylle se brisait dans les instants qui suivent ? Et si tes craintes d’être enceinte étaient confirmées par le test de grossesse que tu ferais ce soir ? Si ça te dérangerait de voir des infirmières lui tourner autour ? Il joue avec toi, bien sûr que tu serais jalouse qu’est-ce qu’il croit ? Alors tu fais oui de la tête, timide, ça te ressemble pas d’être comme ça avec lui, possessive qui plus est. « C’est simple, si y’en a une qui t’approche, je lui refais le portrait. » C’est un peu comme lui avouer tes sentiments, lui faire comprendre qu’il est à toi et à personne d’autre.

« Enfin, je ne suis pas une violente hein. J’aurais de la peine en voyant qu’une autre femme te fais les yeux doux, je… » Il te demande si tu as faim et ton ventre grogne à ce moment. Bonjour la honte.
« Je n’ai rien mangé depuis plusieurs jours… » tu arrêtes de marcher alors qu’il tient toujours ta main dans la sienne. « Je veux être la seule à pouvoir te faire les yeux doux Gus. » tu laisses échapper de tes lèvres, les yeux embués de larmes.

Il est loin le temps où je l'ai prise pour une dur à cuir irrespectueuse. Lorsque mes yeux se posent sur son minois, je n'éprouve plus que de l'admiration camouflant probablement plus. Je fond énormément d'espoir en elle ainsi qu'un attachement certain qui ne peut plus être effacé. Si je ne sentais pas la réciproque, il y a longtemps que je serais passé à autre chose. Il y a bien des signes qui ne trompent pas. Sa volonté de pulvériser la première infirmière me tournant autour en est un. Je me réjouis intérieurement même si ce genre de comportement peut être douloureux. Je suis bien placé pour le savoir, car si jamais un homme jouait au rapace avec elle, je perdrais tout contrôle. C'est d'ailleurs cette face obscure que je ne connais pas tellement qui m'effraie. Leen ne l'a encore jamais vu et je prie pour qu'elle ne la croise jamais.
Alors que nous échangeons à demi-mots nos ressentis, je signale à Leen ma volonté de manger un bout ce à quoi elle répond positivement. Elle n'a pas mangé depuis des jours ? Je sens bien que quelque chose cloche. Deux ou trois enjambées plus loin, la jeune femme freine la marche et me fixe de ses grands yeux bleus gorgés de larmes. Mes mains encerclent son visage tandis qu'elle me livre un souhait très personnel qui me fend le coeur en deux. Sa voix est brisée et j'en suis probablement à l'origine, c'est insupportable. Je ne sais pas quoi lui répondre pour la réconforter, d'habitude les mots sortent tous seuls c'est un peu mon métier mais là, c'est le néant. Je jongle entre chacune de ses pupilles, rassemblant mes esprits dispersés. " Écoutes, si ça peut te rassurer t'es vraiment la seule à me regarder de cette façon là. Après j'ignore vraiment ce qu'il se passe autour, sûrement parce que je suis focalisé sur toi... " confiais-je en maîtrisant le plus possible l'émotion montant en moi. " Je te trouve vraiment étrange chou, il t'est arrivé quelque chose ou quoi ? Je sais que l'on se connaît que depuis peu mais je pense que tu peux me faire confiance. Si un truc te chagrine, je suis là "  ajoutais-je en fléchissant légèrement les genoux pour capter son regard à ma hauteur. Nous sommes juste en plein milieu d'un trottoir, perturbant le trafic des piétons avec une scène romantique et fleur bleue. Mais je m'en fous, je m'en fous parce que la seule qui compte à cet instant, c'est elle.