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« J'avoue éprouver quelques difficultés à le comprendre. » répondis-je, presque malgré moi. Je savais que contrairement à moi, Lily appréciait toutes les formes d'art. Je préjugeais même qu'elle excellait dans ce domaine. Je me souvenirs qu'au cours de l'un de mes nombreux voyages en terre inconnue, j'avais fait la connaissance d'une petite fille qui, comme elle, avait des prédispositions pour la peinture. Son médecin me racontait qu'elle pouvait peindre jusqu'à une dizaine de tableaux par jour et que souvent, c'était le moyen qu'ils avaient trouvé, ces enfants appelés à disparaître trop tôt, pour s'exprimer. Rendre la beauté accessible par le biais de leur imagination, malheureusement cloîtrée dans une chambre d'hôpital, privés de voir le monde en raison d'une maladie quelconque. Or, je ne pouvais m'empêcher de faire le parallèle avec Lily. Sans avoir l'audace de croire que son sens artistique émanait uniquement de sa longue maladie qui l'avait privé des joies totales de l'enfance, on ne pouvait que comprendre les raisons qui l'auraient poussé à s'intéresser de près à l'art pour mieux dépeindre ses doutes, car parfois, les mots paraissent vides de sens ou trop ambigües pour exprimer réellement ce que l'enfant ressent. Son souhait de me faire voir un jour, ce qu'elle entendait sans doute par « art », me fit froncer les sourcils bien que je gardais le silence. Encore une fois, mon ignorance me faisait cruellement défaut.
Plus tard, je reconnaissais dans ses paroles le vécu d'une certaine femme chère à mon cœur. Les yeux baissés sur l'invisible, j'écoutais sans oser l'interrompre, coupable d'avoir moi-même eu ce comportement à l'égard de Catherine, et incapable de voir suffisamment tôt les dérives et les conséquences de ma conduite. Je n'avais plus été mari ou père, je n'avais été qu'un agent, bien trop longtemps et avais fini par les perdre toutes les deux. Pourtant, Catherine ne m'avait jamais été infidèle. Dieu sait pourtant maintenant que Lily y revenait, que je l'aurais mérité. Conscient de ma traîtrise à l'égard de celle à qui j'avais pourtant juré fidélité et amour éternel, j'avais privilégié ma carrière, pour mon plus grand regret aujourd'hui. Ses mots résonnent encore à l'intérieur de ma tête, et je compare sa situation à celle que m'évoque Lily à cette heure tardive. Encore une fois, je ne pouvais que comprendre les choix de sa mère, bien qu'en tant que mari moi-même (ou ex mari si vous préférez) j'avais du mal à les accepter complètement. Quoiqu'il en soit, je ne me sentais pas le droit de les juger, ni Lily par son silence vis à vis de son paternel, ni Lénore par son absence qui n'avait pas manqué de briser les défenses de sa fille, même si celles-ci n'en étaient peut-être pas forcément consciente aujourd'hui. Les jambes repliées l'une sur l'autre, un bras appuyé de tout son long sur le dossier du canapé, je tends l'oreille, observe fixement mais ne dis toujours rien jusqu'à ce que l'humour se joigne à la partie. De l'humour un peu noir qui, personnellement, fut loin de me faire sourire quand je songeais à l'impact qu'une telle réalité aurait eu sur la vie des gens qui lui sont proches. Et lorsque j'apprenais que Lily se préparait psychologiquement à sa mort imminente, je ne peux que me reprocher mon absence à mon tour, mon attitude ainsi que celles de ses parents qui n'avaient pas été à même de la protéger comme il se devait. Biensûr, j'avais moi-même cherché à remonter le moral de Jonathan, à le raisonner lorsqu'il s'était fustigé pour ne pas avoir senti la détresse de sa fille unique. Malgré tout, je n'acceptais pas, pour moi-même, qu'une jeune femme comme Lily se sente l'envie de mourir. Je comprenais ainsi sa décision, au regard des épreuves qu'elle avait traversées, de la souffrance endurée seule – même si les proches pensent que leur présent suffit parfois à aller de l'avant, ce n'est malheureusement jamais le cas. Pas tout à fait. - et de l'envie d'en finir pour mieux vivre libre, d'une certaine manière. Mais entre comprendre et accepter, il y avait une différence notable. Toutefois, gardant mes arguments pour moi, je préférais me concentrer sur ses dernières paroles, ses doutes concernant la vie qu'elle pensait devoir. « Tu penses qu'il est plus juste que tu sois décédée parce que tu étais malade ? » tentais-je de comprendre, très calmement. « Tu penses donc que ta vie a moins de valeur que celle d'un autre ? Chaque vie a son importance, Lily. » Du moins, mises à part celles que je prenais volontiers car elles ne servaient qu'à détruite celles des gens biens, mais passons ce n'est pas le sujet ici. « La tienne vaut autant que celle d'un autre. Je comprends ton raisonnement, je t'assure, mais ce n'est pas ainsi qu'il faut voir les choses. Tu as survécu après des années à vouloir être libérée de ta maladie, de ta solitude et de tes souffrances. D'autres, plus âgés que toi n'ont encore rien vécu. D'autres encore ont connu plus d'expérience que leurs parents en quelques années à peine. C'est la vie, Lily. Tu ne peux pas décider pour les autres ce qu'ils feront de leur vie. Tu ne peux pas t'en vouloir pour ce qui leur arrive. » De la chance, oui, sur laquelle je ne reviendrais pas. Son père m'avait fait la promesse de ne pas parler des circonstances qu'avaient entraîné le don de ses nouveaux organes. « Je ne dis pas que cette personne qui t'a offert une nouvelle chance de vivre une vie « normale » devait mourir ou vivre d'ailleurs, qui sait. Je dis que tu méritais de vivre tout autant, et que ce ne serait pas fondé de penser que la vie t'a octroyé une chance qu'elle a repris à un autre. Parce que c'est justement comme ça que ça fonctionne. Tous les jours, la vie reprend ce qu'elle a offert si généreusement. C'est triste, c'est horrible, c'est froid, et ça fait mal, certes, mais ce n'est certainement pas injuste. L'injustice, à mes yeux, serait que la vie s'offrirait par choix à certains et la mort à d'autres. » J'ignorais si mes mots avaient un sens pour elle, si elle approuvait ou non, mais je l'avais toujours imaginé ainsi. Sans croire néanmoins en un Dieu omniprésent et immatériel, je voyais la vie comme un fil qui pouvait se rompre à tous instants, sans qu'il y ait de raison particulière, juste comme une balance qui penchait un peu trop à droite ou à gauche et qui éliminerait chaque brindille qui risquait de la faire définitivement basculer d'un côté ou de l'autre. Une vision peut-être trop mathématique, maintenant que j'y songe, pour une âme aussi soucieux du bien-être d'autrui et passionnée que l'était Lily. « Pourquoi devrais-je t'interrompre ? J'aime t'entendre parler. C'est...rafraîchissant. Même s'il est l'heure pour moi de te quitter. » Je n'aurais jamais pensé être resté aussi longtemps à son appartement. Comme quoi,le temps file à une vitesse... « Pardonne-moi d'être resté si tard, je n'ai pas vu l'heure passer. » Attrapant mon manteau d'une main, je me risque à me lever, heureux de constater que la douleur dans mon genou n'est pas aussi constante que je l'aurais cru. « Tiens, c'est ma nouvelle adresse. » Ecrivant sur un bout de papier qui traînait l'adresse de mon nouveau logement, je le dépose sur la table basse, avant de me diriger vers la porte d'entrée, non sans la gratifier d'un dernier sourire au passage. « Bonne soirée Lily. Si tu as besoin de quoique ce soit, tu sais où me joindre. »
@Lily-Rose S. Hopkins
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