Quand on parle de Lou...

  Roulant toujours en direction de chez elle, c’est de Lewis qu’on finit par parler. Pas que le sujet m’enchante, mais c’était un peu la raison pour laquelle je m’étais déguisé en chevalier servant. Et ça me faisait plaisir d’entendre combien il allait désapprouver ce petit trajet. Lorsqu’elle évoqua la future interdiction de me parler qu’elle allait recevoir, j’en conclus, résolu, que ça serait donc notre unique tête à tête. Elle s’en étonna, ajoutant une phrase qui m’amusa, sur la petite taille d’Harvard. « Tout petit ce campus en effet… » rigolai-je, croisant ses yeux un instant en ajoutant : « J’aime pas remettre les choses entre les mains du hasard. » J’aimais contrôler, maitriser et diriger. J’aurais préféré qu’elle me réponde qu’elle n’écouterait pas son frère, qu’il n’avait pas son mot à dire sur ses fréquentations. Mais puisqu’on ne connaissait que depuis quelques minutes, je devais surement me contenter de cette hypothétique future nouvelle rencontre au détour d’un couloir de la fac… Sauf qu’un bar se dessinait sur le côté, et que je sautais sur cette opportunité pour prolonger un peu cette première rencontre. Elle accepta l’invitation et après s’être garé, on courut rapidement vers l’établissement, les trombes d’eau continuant de se déverser à l’extérieur. La remarque de la demoiselle, alors qu’on entrait dans la salle bondée me fit rire, et en même temps, des oreilles traînantes pouvaient nous entendre alors je rectifiais : « Tu sais que je suis un homme pris. Si ça peut te rassurer sur mes chastes intentions… » Je l’entrainais alors vers une table de libre, un peu plus au calme, dans un coin de la pièce, lui écartant galamment sa chaise pour qu’elle s’installe avant d’aller m’asseoir à mon tour. Mon regard se reporta sur elle, la détaillant alors avec plus d’insistance que lors de notre petit trajet où j’avais du me contenter de rapides coup d’œil. Et rapidement, il n’y avait plus rien de chaste dans mes yeux…  

C'est une façon de parler, mais j'ai sans cesse l'impression de retomber sur les même personne. Puis ne disions nous pas en général que le monde était petit ? Alors certes, Harvard était une université gigantesque mais parfois, elle le semblait un peu moins. Sûrement une question de point vue à vrai dire. Si le hasard ne te plais pas, sois plus explicite. Après tout, quand on voulait quelque chose, le demander était parfois plus simple que d'attendre gentiment que ça arrive. J'savais pas si j'interprétais bien ses paroles et peut être que j'étais à côté de la plaque ce qui au fond ne serait pas totalement étonnant mais s'il n'avait pas envie que cette rencontre soit la seule et l'unique il lui suffisait simplement de le dire. Quoi qu'il serait probablement étrange d'entendre de la bouche de ce quasi inconnu qu'il souhaitait remettre ça. Après tout, de base, ce n'était rien d'autre qu'un petit service. Oh, merci de me tenir au courant. Et clairement, non, je n'étais pas au courant. Prévisible puisque la vie des autres n'étaient pas ma préoccupation première et qu'hormis les quelques ragots qu'on pouvait entendre je n'étais pas du genre à me soucier de la vie d'amoureuse d'autrui. Heureuse que tu ais trouvé quelqu'un capable de voir au dessus des "on dit". Sincèrement. Il était rare de trouver quelqu'un voyant plus loin que les apparences, semblait-il qu'il avait eu cette chance. Prenant place sur la chaise qu'il venait de tirer pour moi, je retirais ma veste posant finalement mon sac sur le sol. Je rêve ou tu me dévisage ? que je demandais avec un petit sourire moqueur. Les regards insistants, ça avait tendance à se sentir, surtout quand on se trouvait face à la personne. Alors, qui se cache derrière le présumé froid et hautain Cole Wildingham ?

  « Tu ne sors pas assez alors… Et puis regarde, on ne s’était encore jamais vus… » Quand on comparait au nombre, bien trop important d’ailleurs, de fois où j’avais croisé son abruti de jumeaux… « C’est bien dommage d’ailleurs. » Mais nous allions remédier à ça, très vite. Parce que non, je n’avais nullement envie de remettre entre les mains du –destin- la date d’une hypothétique future rencontre. J’avais l’intention de m’instiller, de m’immiscer, de m’imposer peu à peu dans la vie de blondie. Si son imbécile de frangin pensait pouvoir m’avoir avec sa bande de racaille de mathers, en foutant le feu à ma confrérie ou en balançant des insanités sur moi par sms, il n’avait pas idée des ripostes et magouilles dont j’étais capable en retour. « Plus explicite ? Comme : donne moi ton numéro de téléphone Lou ? » fis-je alors, pouvant difficilement faire plus clair, ajoutant néanmoins ensuite, comme un gosse à qui on apprenait la politesse : « S’il te plait. » Et puis ensuite, histoire de la rassurer sur mes louables et chastes intentions, c’est de mon faux couple dont je me mis à parler, évoquant mon statut d’homme pris, bien pratique quand il s’agissait d’endormir la méfiance des demoiselles. Sauf que mon regard criait probablement tout le contraire, un peu trop vorace pour être innocent. Je rigolai quand elle me fit remarquer l’insistance de mes yeux. « Je cherche une ressemblance avec Lewis en fait… » me défendis-je en détournant un instant les yeux alors qu’elle me questionnait sur ce que cachait derrière la façade. « Un chevalier servant et serviable… Mais le répète pas trop, je voudrais pas que mes faiblesses se sachent sur tout le campus. » Et le simple fait que je qualifie ma serviabilité imaginaire de faiblesse était révélateur. J’étais pas quelqu’un d’attentionné, de prévenant, mais peut être que je pouvais encore un peu maintenir l’illusion, d’ailleurs quand le serveur arriva pour prendre nos commandes, j’annonçai : « C’est pour moi. » Galant par dessus le marché. Comme si dégainer sa carte bleue pouvait impressionner la petite dunster. Et après que le serveur ait pris note de nos boissons et se soit éloigné, je repris : « Et toi Lou, dis moi, qui se cache derrière ce petit visage d’ange ? » Etait-elle aussi sage que son image ? 

Je pense que c'est ma curiosité qui parle à ce moment précis. Peut être que c'est indiscret et au fond, il n'a strictement aucune obligation de se livrer à une inconnu mais j'ose demander. Après tout, il a voulu aller boire un verre, j'osais espérer qu'on allait pas se contempler dans le blanc des yeux comme deux idiots. J'crois que y avait rien de pire que les longs silence en fait. C'était généralement ce qui mettait réellement mal à l'aise. Faut croire que le destin a finalement voulu réparer son erreur que je balance avec un sourire. Puisqu'il semblait déçu de ne pas avoir fais ma connaissance plutôt je préférais appuyer sur le fait que maintenant, c'était une affaire réglée. Euh.. Ouais ? Là au moins c'était super clair. J'rougissais tentant de masquer le tout dans un rire. Evitant son regard quelques secondes, j'attendais qu'il prenne son portable avant de finalement dicter mon numéro. 456-554-2477. Lewis allait me buter s'il savait que j'étais en train de donner mon numéro au vice président de la Eliot house. Ouais, clairement. Et pour éviter d'y penser, j'préférais me rabattre sur sa manière de me dévisager peut être un peu trop. Bon courage. La forme du visage j'dirais. J'haussais les épaules mais clairement, le fait qu'on soit de faux jumeaux n'aidait pas pour la ressemblance. Quoi que ça dépendant la personne, certains disaient qu'on avait pas mal en commun. Promis, je garderais ton secret. Muette comme une tombe, aha. Et surtout interrompue par le serveur qui souhaitait prendre la commande. Mh, j'croyais que je devais t'inviter en guise de remerciement pour ton sauvetage. Néammoins, refuser une invitation ne se faisait pas et j'passais commande sans rien ajouter de plus. Non clairement, j'étais pas spécialement d'accord avec ce que l'on pouvait dire sur lui. Rien de bien intéressant que je répondais dans un haussement d'épaule. J'crois bien que je suis d'un ennui mortel que je rajoutais sur le ton de la plaisanterie. Mais clairement, y avait pas grand chose à découvrir de ma personne. Peut être bien que je suis un ange. Ou pas.

   Cash, clair, direct. Pas de détour pour réclamer son numéro, provoquant au passage un petit rire nerveux chez la demoiselle dont les joues se mirent alors à rosir élargissant un peu plus mon sourire amusé. Portable en main, je composai le numéro qu’elle énonça pour l’enregistrer dans mon répertoire. J’avais annoncé mon statut d’homme en couple alors je pouvais désormais tout me permettre. Réclamer son numéro, la dévisager ou encore même lui proposer de régler la note. Et lorsqu’elle souligna qu’elle était censée payer, puisque ce pot qu’on partageait était censé être son remerciement vis à vis de mon sauvetage, je me risquais même à une réplique très ambigüe : « Tu trouveras une autre façon de me remercier… » Et si elle manquait d’idée, dans mon esprit elles fleurissaient en nombre, les façons dont elle pourrait s’y prendre pour se montrer très très reconnaissante… Et elles déplairaient toutes à ce cher Lewis bien sûr. En attendant, l’idée que blondie pouvait avoir une dette envers moi était une bonne chose. J’avais une longueur d’avance ainsi, et ça pourrait toujours m’être utile à l’avenir. Je voulais profiter de ce moment pour en apprendre davantage sur Lou, qui décrivait elle même sa petite vie comme inintéressante. Elle était peut être l’ange qu’elle semblait être. « Un ange ne qualifierait pas sa vie vertueuse d’ennuyeuse mortellement. » rectifiai-je alors. Si elle trouvait que le manque d’action dans son petit train train était barbant, c’était qu’elle avait envie de passion, de rebondissement, c’est qu’elle était beaucoup moins sage qu’elle ne le laissait paraître donc. Nos boissons arrivèrent et je levai mon verre pour trinquer avec la dunster : « A notre rencontre. »  

Non, en fait j'dirais pas que je suis un ange. J'aurais pu être catégorisée comme tel fut un temps mais disons que j'avais dérapée à un moment et même si cela restait un secret très bien gardé, j'avais mon côté de noirceur. Par contre, il était clair que ma vie n'était pas vraiment intéressante. J'étais pas du genre à sortir, pas du genre à boire et encore moins à fumer et disons qu'il était plutôt courant de me retrouver en train de bosser à la bibliothèque qu'à sortir avec des amies. Oh mh, probablement. J'savais pas tellement comment interpréter ses paroles. Quelque part, j'pouvais pas m'empêcher de trouver quelque chose de louche dans tout ça. Et.. Peut être que c'était juste les ragots des autres qui influaient un peu le tout. J'inspirais un coup avant de sourire. Non, il avait juste l'air gentil et agréable et ouais, j'trouverais probablement une façon de le remercier. Comme en lui payant un verre un autre jour où quelque chose comme ça. Je rectifie alors, tu trouverais ma vie mortellement ennuyante si je tentais de te la raconter. Et mon but n'était pas qu'il s'endorme en m'écoutant déverser un flot de parole inutile. Le serveur venait à ma rescousse, nos commandes sur plateau et après avoir récupéré mon verre je le levais à mon tour le faisant tinter contre celui du président Eliot. A notre rencontre. Je prenais une gorgée avant de le reposer sur la table regardant autour de moi. Peut être que j'étais un peu mal à l'aise en fait. Disons que j'avais pas trop l'habitude de ce genre de moment et ouais, je ne savais pas vraiment comment agir.

  Je vis bien qu’elle était sur la réserve, que néanmoins elle ne nota pas l’ambiguïté de ma remarque sur les autres occasions qu’elle aurait de me remercier… Peut être qu’elle était un petit ange innocent en fait, peut être pas… Elle se corrigea néanmoins, et l’on trinqua. Si elle espérait juste que l’idée de la taquiner et d’en savoir plus sur elle s’était évaporée lorsque nos verres s’étaient entrechoqués, elle se plantait. Non, une gorgée plus tard et je revins à la charge. « Tu ne peux pas juste balancer ça et espérer que je fasse comme si j’avais pas entendu Lou. Je suis désolé d’avance de me montrer indiscret, mais… Dis moi, tu t’ennuies dans ta vie ? » Petite dunster posée, sage et studieuse, voilà ce qui se dégageait d’elle en façade. Mais peut être que la blonde aspirait à davantage, peut être qu’elle aurait voulu du frisson, de la passion, de l’aventure. « Tu peux le dire si tu as des envies de plus, tu sais bien que c’est pas moi qui irais cafter quoi que ce soit à ton frère… » l’invitai-je à la confidence avec un petit sourire amical. Allez dis moi Lou, t’es de celles qui veulent secrètement faire le tour du monde, s’engager dans l’humanitaire, devenir une pop star, ou bien sauter en parachute ? Quel genre de fantasme secret pouvait habiter cette petite tête blonde ?  

J'crois bien qu'en fin de compte, j'avais juste peur de paraître terriblement ennuyeuse. Et peut être que je l'étais sans vraiment le vouloir. Après tout, j'étais la bonne copine de tout le monde, douce, calme et sympa mais ce n'était pas pour autant que j'intéressais les autres. J'avais peut être la fâcheuse manie de toujours me tenir à l'écart de tout. Je n'étais pas de celle que l'on remarquait puisque j'étais bien plus à l'aise dans le silence que sur les devants des projecteurs. Alors ouais, ce tête à tête pas forcément prévu ne m'aidait pas à me sentir totalement libérée. Au final, je vivais en total retenu, contraste parfait avec Lewis qui était, lui, bien plus extraverti que moi. Puis de toute façon, soyons honnête, me faire remarquer n'irait totalement pas avec ma façon d'agir en général. J'étais bien dans le monde de l'ombre, inintéressante probablement, mais bien. Pas faire de vague c'était mon crédo et disons que pendant toutes ces années, je m'y étais tenu à merveille. Ou presque. Je.. Non ? J'crois pas. J'haussais les épaules pianotant maladroitement des mes doigts sur la table. Peut être que si en fait. Peut être que je m'ennuyais mortellement mais que je n'avais tout simplement pas le courage de tenter quoi que ce soit de fou. J'voulais me faire oublier la plupart du temps, il était difficile de sortir des sentiers battus. Je me doute bien mais je n'ai pas grand chose à lui cacher. Où si peu. Peut être que la phrase correct était "j'avais pour habitude de ne rien lui cacher". Maintenant ? C'était différent. Entre la surprotection qu'il avait à mon encontre et le passif douloureux que je tentais d'enfouir, il devenait difficile de ne plus lui faire de cachoterie. Des fois j'voudrais juste.. Tout plaquer et recommencer à zéro. Ne plus être moi. Ne plus être cette fille lisse sans défaut. Ce modèle de pureté que tout le monde se plaît à voir. Laisse tomber c'est idiot que je conclus d'un rire nerveux. Totalement idiot même.

  Je la sentais songeuse suite à mes questions. J’aimais cela. C’était le but, la faire se questionner, la faire réfléchir, la faire remettre en question toutes ces certitudes. Qu’elle commence à douter de ce qu’elle voulait vraiment, avant de peut être un jour parvenir à la faire douter de sa moitié. Déstabilisée donc, elle hésita sur la réponse quant à l’ennui qu’elle ressentait vis à vis de son train train quotidien. « Pas très convaincante, peu mieux faire. » commentai-je avec un petit sourire amusé. Je lui soufflai qu’elle n’avait rien à craindre de moi, que je ne serais pas celui qui risquerait de rapporter quoi que ce soit à Lewis, si d’aventure elle avait d’inavouables désirs à confesser. Elle répliqua alors n’avoir pas grand chose à lui cacher. « Raison de plus pour ne pas jouer les timides. » Je l’écoutais donc reprendre, parler de son envie de tout plaquer, recommencer à zéro, ne plus être elle. Mon rire résonna quand elle essaya de retirer ses mots, me demandant d’oublier. « Mais non continue au contraire. La vie n’est pas faire pour être ennuyeuse Lou. Allez viens on joue. Aujourd’hui, avec moi, tu peux être qui tu veux. » Je serais le spectateur crédule de ce nouveau rôle dans lequel elle se glisserait, le temps d’un verre… « Allez parle moi de cette fille qui n’est pas toi. C’est une star de la pop ? Une acrobate de cirque ? Une tueuse à gage ? » m’amusai-je à suggérer, curieux d’entendre dans quelle peau la demoiselle allait bien pouvoir se glisser.

C'était impossible de tout recommencer. Parce que le passé était quelque chose qui nous collait à la peau. On disposait chacun de sa propre identité et il n'était possible de recommencer à zéro que dans les films qu'on se plaisait à voir au cinéma. La vie réelle était bien moins sympa et j'savais que je ne pourrais jamais vraiment échapper à celle que j'étais. Peut être parce que je n'étais pas assez courageuse pour ça et certainement pas prête à laisser tomber ceux qui pouvait m'entourer. Au fond, j'y tenais moi à tout les gens de ma vie et si parfois mon esprit divaguait, j'savais que jamais je ne partirais vraiment. Fallait s'accomoder de ce genre de chose et mon identité elle était là. Ne jamais prendre de risque, jouer la carte de la sécurité à chaque fois. J'esquissais un sourire gênée consciente de ne pas avoir les paroles les plus sûres du monde. J'avais l'impression d'être prise au piège soudainement, la sensation était gênante. Celle que je veux ? J'arque un sourcil me demandant alors dans quoi je m'embarque. Quel est ce jeu qu'il semble vouloir mener et pourquoi surtout ? Mais je tente le tout pour le tout, laisse voguer un peu mes pensées et esquisse cette fois un sourire un peu plus sincère. J'dirais plus une fille de bonne famille. Le genre de gamine à papa qui n'a qu'à claquer des doigts pour obtenir ce qu'elle veut. La peste dans son excellence. Qui ne se soucie de rien d'autre que d'elle même. Et pourquoi pas ? Tout l'opposé de moi. Puis ce n'est rien d'autre qu'un rôle qui sera effectif le temps de quelques heures. Elle s'ennuierait tellement qu'elle mettrait en place un jeu pour se divertir. Un jeu cruel et manipulateur où elle serait la seule à tirer les ficelles. J'hausse les épaules posant mon regard sur lui. J'ai toujours admiré ce genre de filles.