Rozia + remember that day

C'était un après-midi assez banal. Quand je m'ennuyais et que j'avais envie de voir personne, je prenais mes écouteurs, j'enfilais mes baskets et j'allais courir. Mais il faisait exceptionnellement chaud aujourd'hui. Je devais faire une pause toutes les dix minutes tellement j'avais soif. Je longeais la plage en déviant de temps en temps mon regard vers l'eau. Puis je me suis encore arrêté. J'avais retiré une oreillette pour écouter aussi le son de la mer et je tournais mon visage vers le soleil qui réchauffait mes joues. Lorsque je rouvris mes yeux, je fus ébloui par la lumière brûlante et j'apercevais difficilement une silhouette face à moi. Je clignais des yeux pour retrouver ma vue et je chassais mon autre écouteur. C'était Marzia, elle me regardait et je la regardais. Cela devait faire des années qu'on ne s'était plus adressé la parole depuis l'accident, depuis que je l'avais envoyé à l'hôpital, depuis que son père avait porté plainte et depuis qu'elle avait retiré cette plainte. Je n'ai jamais compris d'ailleurs. J'imagine que c'est elle qui a retiré la plainte, je ne vois pas pourquoi son aurait fait ça. « Pardon, tu as dit quelque chose? » demandai-je timidement en faisant un pas vers elle. Peut-être qu'elle m'avait dit quelque chose pour que je la remarque mais que je n'avais pas entendu avec la musique dans mes oreilles.

Le soleil, l'odeur de la brise d'océan, ce salée qui régne dans l'air ambiante. J'adorais la mer et ses alentours, je ne regrettais pas du tout d'avoir suivi le troupeau en allant en Nouvelle-Écosse. Je passais le plus clair de mon temps seule mais j'y étais habituée. Faut dire, la vie est vachement plus simple lorsqu'on ne vit que pour soi et pas pour plaire aux autres... Parfois je me demande comment les gens font pour avoir autant d'amis. Je suis sans doute celle qui manque réellement quelque chose, en fait.

J'enfilais mon maillot directement sous ma robe d'été, puis mes ballerines. Démaquillée et les cheveux en cascade sur mes épaules, je me dirigeai vivement là où le sable chaud et l'eau bleu était maître. Je marchais jusqu'à une destination bien précise, mais m'arrêtai à mi-chemin lorsque mon regard croisa celui d'un garçon que je connaissais que trop bien. Naturellement, je plongeais ma main dans ma chevelure blonde pour y trouver ma cicatrice. Tous les souvenirs sont remonté d'un coup.

Pardon, tu as dit quelque chose?
Euh... sympa tes baskets.
Je n'avais rien dit du coup, mais j'avais réfléchi très rapidement : Si je ne lui disais rien maintenant, si je l'ignorais, je n'aurais pas d'occasion d'avoir une conversation potable avec lui. Depuis le temps qu'on se lance des regards dans les couloirs sans se prononcer la parole... Il était à peu près temps qu'on chasse cet énorme éléphant dans la pièce.
Tu vas bien...?

Alors la première chose que Marzia avait à me dire, ça concernait mes baskets? Je fronçais un sourcil puis je regardais vers le bas pour voir si y'avait quelque chose d'anormal au bout de mes orteils. Je relevais le visage vers elle et j'affichais un petit sourire maladroit. « Oh bah merci. » c'est tout. C'est tout ce qui sortait de ma bouche. J'aurais aimé lui dire autre chose. Je gonflais l'air dans mes poumons, prêt à parler mais rien ne venait. Comme si elle m'avait entendu galéré, elle lança la conversation. Essaie d'avoir l'air normal Royce. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu'on avait pas brisé la glace. Je crois que le jour j est enfin là. Je me rendais compte que ma musique tournait toujours donc je la coupais et je fourrais mon ipod dans la poche de mon short. Elle me demanda comment j'allais. Mmh est-ce que je vais bien? Mis à part que mon fils était entre la vie et la mort et que Sacha ne me donnait plus signe de vie, je dirais que oui. A mon tour, je passais une main dans mes cheveux. « Oui je vais bien enfin... pour tout t'avouer, je suis plutôt... mal à l'aise. » mal à l'aise de lui reparler après tout ce temps. Peut-être qu'elle ressentait la même chose. « Et toi? Comment tu vas? » soufflai-je. Comment va-t-elle depuis le temps? J'ai surement loupé un nombre incalculable de choses.

Oh bah merci.
Ouais... c'était nul comme approche. Mais il m'avait ouvert une porte sans vraiment faire exprès et j'avais réfléchi rapidement. Il y avait mieux, mais ce n'était pas la pire approche quand même. Bref, pour le coup, je ne savais plus quoi dire. Je pensais trop. Je pensais à lui, à nous, à ce qui s'est passé, à ce qu'on est devenu et je me demandais si c'était pas trop étrange qu'on se parle en ce moment. Quoi que parler est un grand mot... Royce enleva les oreillettes de son oreille et rangea son ipod dans sa poche pour mieux se concentrer sur la conversation.
Oui je vais bien enfin... pour tout t'avouer, je suis plutôt... mal à l'aise.
Mal à l'aise ? Mes joues se sont mises à brûler. Soudainement, parce qu'il était mal à l'aise, j'étais mal à l'aise. C'est comme ça, je n'y peux rien. Je me pinçais les lèvres en callant ma tête entre mes épaules. J'aurais voulu lui dire que j'étais désolée, mais il reprit la parole bien trop rapidement pour m'en laisser la chance.
Et toi? Comment tu vas?
Question à laquelle j'aurais dû m'attendre, pourtant, je me retrouvais quand même prise au dépourvu. J'haussais les épaules et souriait.
Ça va. J'ai un petit ami maintenant, ça fera bientôt sept ans qu'on est ensemble... Hum Alois, tu l'as rencontré je crois, à la petite fête où on s'est rencontré aussi. M'bref...
Alois était le meilleur ami de mon frère. Qui aurait cru qu'un jour j'aurais un petit ami ? Bon, ce n'est pas tellement parfait... Il n'est jamais là, après tout.
Qu'est-ce que tu fais ici ?

Attendez, faut que je réalise. J'écoute le son de sa voix comme si c'était normal alors que ça faisait bien trop longtemps que cela n'était plus arrivé. J'ai bien cru qu'elle était devenue muette. Sa voix était moins aiguë, ce n'était plus une fille de seize ans. Maintenant elle avait sa voix de femme. Bref, ce petit détail me titillait. Je la regardais rougir et j'en concluais que nous étions mal à l'aise à deux. Je rougissais aussi mais vu que j'avais transpiré, so glamour, cela ne se voyait pas. Je fronçais les sourcils. Alois... c'est qui lui déjà? Ah oui, je me souviens. Il en a de la chance. Il fut un temps où j'en pinçais pour elle. « Vraiment? J'aurais jamais cru. » dis-je en souriant. Sept ans avec la même personne, non mais moi je deviendrais fou. « Je suis content pour toi si tu as trouvé quelqu'un... » comment mon ancien moi prenait cher là. Sa belle Marzia dans un couple ultra solide.  « Je cours souvent ici. » non idiot, elle demandait qu'est-ce tu fais ici à Cap-Breton. « Je participe au Summer Camp. Toi aussi?» ça semble évidant. Mais je lui retournais quand même la question.

Vraiment? J'aurais jamais cru.
Il souriait, mais sa réponse restait quand même presque insultante. Mais en même temps, le fait que ça fasse sept ans impressionnait beaucoup de monde... Surtout sachant que c'est une relation à distance. Ce que je ne dis pas par contre, c'est que j'en ai un peu marre qu'il soit loin et que j'aimerais bien qu'il me rendes visite un peu plus souvent. Bref.
Je suis content pour toi si tu as trouvé quelqu'un...
"Si" ? J'haussais les épaules et lui souriait.
M'enfin de toute façon seule ou en couple, je sais très bien me débrouiller.
Façon de dire que je n'avais pas besoin d'un homme pour être comblée. J'avais mes séries, mes animes, mes jeux vidéos, mes études et mes amis pour m'occuper l'esprit ! C'est bien comme ça que j'ai réussi à ne pas devenir folle avec l'absence d'Alois. Enfin, je ne comprendrai jamais les filles qui ne réussissent pas à passer plus de 24h sans leur homme... et les hommes qui léchent les botines de leur petite-amie tellement ils en sont accroc.
Je cours souvent ici.
J'hochai la tête. Ce n'était pas la réponse que je recherchais puisqu'il me semblait évident qu'il courrait. Mais en même temps c'est plutôt évident aussi qu'il soit venu avec le Summer Camp hum.
Je participe au Summer Camp. Toi aussi?
J'hochai négativement la tête.
Enfin si... mais je ne participe pas aux jeux.
Étonnamment. On se serait attendu que moi, la plus grande joueuse de la terre aurait sauté sur l'occasion de jouer. Mais je ne me sentais pas de me mêler aux autres pour l'été, c'est plutôt ça l'affaire. Je lui fis un petit sourire. Ce long silence était awkward, je ne savais pas si je devais l'inviter à aller boire un verre pour rattraper le temps perdu ou juste :
Bon eh bien... bonne course ?
Dire une connerie sous le stress et sans réfléchir. God damnit.

En couple, Marzia est en couple et moi je ne suis plus casé depuis janvier si mes souvenirs sont bons. Ma dernière relation avait duré deux mois à peine. La précédente s'était écoulée sur une année. J'aimerais être à sa place, avoir trouvé la bonne personne, ne plus se soucier si je vais finir seul avec mon môme ou si cupidon frappera à nouveau à ma porte. Je suis éperdument amoureux de Sacha, et je n'arrive pas à m'en défaire. Ça fait mal et j'aimerais bien oublier tout ça. Moi je ne peux tout simplement pas me débrouiller tout seul, contrairement à Marzia. J'ai besoin de quelqu'un, j'ai besoin de mon ancre. Mais ça, je ne dis pas. Les filles préfèrent croire que si je chasse à gauche à droite, c'est juste pour mon petit plaisir personnel. Ça ne me dérangeait pas. Je me reconnectais à la réalité lorsqu'elle me demanda ce que je faisais ici. « Tant mieux, au moins, nous ne sommes pas en compétition. » car elle sait ô combien je suis un mauvais perdant! Toutes les fois où je piquais ma crise quand elle me battait à un jeu vidéo. J'aime gagner, pas perdre. Je portais mon regard sur son visage et je faisais un pas vers elle pour la rattraper. « C'est tout? » j'aurais aimé prendre sa main mais elle la cachait derrière son dos. « C'est tout ce que tu me dis après tant d'années? » elle ne peut pas repartir comme ça. J'ai besoin de plus, je veux la retrouver. Saisir notre chance. « Laisse-moi t'offrir une glace. » j'affichais un petit sourire en espérant qu'elle allait accepter. Je sais que c'est son petit péché mignon et je sais que parfois elle se privait de manger ce genre de chose mais franchement, vu sa minceur actuelle, elle pouvait bien dévaliser le marchand de glaces.

Tant mieux, au moins, nous ne sommes pas en compétition.
Je souriais en réponse à ce qu'il venait de dire. Oui, nous, en compétition ce n'est pas tellement beau. Je me rappelle des soirées qu'on passait devant les jeux vidéos à s'emmerder mutuellement. Quand je perds, je suis mauvaise perdante et lui c'est bien la même chose. On règle toujours nos différents dans une partie, car j'ai beau être très douée il était plutôt un bon champion lui aussi à ses heures.

Je ne savais plus quoi lui dire... tant d'année nous séparait, tous les deux. J'en oubliais presque nos points en commun, même si je n'oubliais pas les bons moments que j'ai passé à ses côtés. C'est juste trop dur de passer outre le fait qu'on a arrêter de se voir ou de se parler pendant si longtemps... Pour quoi exactement ? Un accident ? Je me posais tellement de questions... est-ce qu'il est sorti avec un garçon depuis le temps ? Est-ce qu'il s'assume un peu plus ou pas ?
C'est tout?
Je cessais tout mouvement, un peu surprise qu'il tente de me retenir.
C'est tout ce que tu me dis après tant d'années ?
J'étais vraiment prise au dépourvu, en fait. Je figeais sur place, puis jetai quelques coups d'oeil en espérant trouver quelque chose à lui dire. Je n'y arrivais pas.
Laisse-moi t'offrir une glace.
Royce souriait, j'arrivais presque à me sentir de nouveau à l'aise. Peut-être avait-il lui aussi, finalement envie qu'on se retrouve un peu. Mais je n'avais plus l'impression que je pouvais tout lui dire, comme avant. Pas que j'avais peur de lui. Je sais qu'il n'est pas violent... mais je sais qu'il ne prend pas très bien les conseils.
Hum, okay
Comme je ne m'étais pas encore installée sur la plage, je n'avais pas besoin de me ramasser et j'étais déjà prête à partir. Finalement, je profiterai du soleil autrement aujourd'hui.
Y'a le marchand là-bas, tu veux qu'on y aille maintenant ?

Une glace ouais, ça m'est sorti de la tête comme ça. Je suis très gourmand et les sucreries c'est mon dada. Heureusement que je me dépense sinon je serais en train de suer comme un porc au soleil. Ce n'est pas un temps pour les gros! Comme on dit si bien. Marzia accepta après une petite hésitation, il me semble. Mais elle accepta! Alors let's go les amis. Allons nous rafraîchir à notre façon. « Oui maintenant, sauf si tu as mieux à faire. » je ne veux surtout pas la forcer. Je veux juste... qu'elle ait envie de passer du temps avec moi. Je traînais des pieds dans le sable à côté d'elle et la question qui me brûla les lèvres depuis trop longtemps s'échappa. « Est-ce... est-ce que c'est toi qui a retiré la plainte? » risquai-je avec la voix qui tremblait. Je parlais comme une fillette là. Ce n'était peut-être pas une bonne idée d'en parler. Mais j'ai besoin de savoir, j'en ai besoin pour avancer. Me remémorer cette scène était beaucoup trop douloureux. J'ai jamais voulu ça. Tout ça parce qu'elle voulait que j'assume d'aimer les garçons. Dire que maintenant, ma bisexualité n'était plus tellement d'actualité. Faut croire que les filles me faisaient beaucoup trop d'effet. Marzia m'en faisait, et peut-être qu'elle m'en fera encore. Je ne pense pas à ça actuellement. Elle a un mec merde.

Hésiter, non, pas vraiment. À vrai dire j'étais surtout surprise qu'il me suggère... Mais c'était plaisant. J'espérais qu'il le fasse au fond, parce qu'avec mon talent en communication on aurait été encore là toute la nuit à regarder les mouches.
Oui maintenant, sauf si tu as mieux à faire.
Je m'empressai de secouer la tête d'un signe négatif. Non, je n'ai rien de mieux à faire. Royce est bien mieux que la plage de toute façon, peu importe à quel point c'est trop la vie de s'allonger sur le sable chaud. Elle saurait m'attendre... alors que lui, je ne sais pas. Soudainement, il semblait se faire tout petit, comme si quelque chose lui tournait en tête.
Est-ce... est-ce que c'est toi qui a retiré la plainte?
C'est bien ce que je croyais. Mais je ne m'attendais pas à la question directement. J'aurais peut-être dû, cependant. J'hochai timidement à sa question, j'espérais que ce soit suffisant pour lui. Mais comme à chaque fois, j'ressens tout de même l'impression de devoir m'expliquer.
C'était un accident... mon père n'avait pas raison de porter plainte de toute façon. Il n'était pas là.
J'haussais les épaules. Maintenant, je ressentais le besoin de défendre mon père.
Mais tu le connais... il fait extra attention à moi. Faut pas lui en vouloir d'avoir eu peur.
Il prenait des précautions de plus avec moi, depuis la mort de mon frère. Ça pouvait être étouffant pour certain mais moi, j'trouve ça quand même adorable même si pas nécessaire dans cette situation-ci.
... J'suis désolée d'ailleurs... C'est de ma faute. J'aurais pas dû te pousser à bout.