« Non. Non je n'en sais rien. » Pourquoi n'en savais-je rien ? Ma déception s'accumulait, mais cette fois, contre moi-même. Parce que ce n'est pas une question anodine que l'on pose naturellement entre amis, mais qui pourtant tient son poids dans l'ordre des choses. Parce que j'aurais dû le savoir malgré tout. Songeant à la décision que revenait alors, si elle ne se réveillait pas, à son paternel, je quitte un moment l'infirmière pour m'enquérir d'Heather, notant son soupir d'exaspération au passage.
Indifférent à la haine que ressentait Heather à mon égard mais navré de constater autant de vulgarité chez une femme, encore plus d'un âge aussi jeune, je la ramène avec moi jusqu'à l'intérieur du bâtiment immaculé. L'état de ses mains ensanglantées ne semble pas émouvoir l'infirmier qui nous propose d'attendre aux urgences, pour mon plus grand regret. Plus vite elle aurait été guérie, plus vite je me serais retrouvé seule et nous aurions pu avoir notre petite discussion morale. Mais non, là encore je suis obligé d'attendre.
Libérant son bras pour éviter le scandale bien que l'envie de le lui fracturer proprement m'avait longuement titillé, mon regard devint noir d'encre suite au chantage qu'elle me fait. Cette gamine qui ne cesse d'exiger commence à m'énerver.
« Continue comme ça et tu ne passeras pas la nuit, petite. » la menaçais-je à faible voix mais suffisamment grave pour qu'elle comprenne que je ne plaisantais pas. Certes, sa menace à elle était bien réelle, mais mon inquiétude pour Lily l'était plus encore. Quant à sa façon de s'adresser à moi, il faudrait que ça change sous peine que je lui apprenne moi-même les bonnes manières. Après tout, je ne l'avais encore jamais insulté jusque-là, mais sans doute que mon éducation n'équivalait pas la sienne. Tiens donc, et voilà l'infirmière qui s'en mêle maintenant.
« Elle a chuté en transportant un vase à l'intérieur de la maison. » répondis-je sans attendre le retour d'Heather. Je pressentais que son explication aurait quelque chose de farfelu qui aurait rendu ses blessures suspectes, et moi encore plus.
« Monsieur, reste. » soulignais-je alors en toisant d'un regard clairement autoritaire l'infirmière. Pas question que la gamine s'évanouisse encore dans la nature.
« Elle est sous ma responsabilité. » annonçais-je alors plus posément, en guise d'explications. Finalement, je reprends le contrôle, malgré la colère qui gronde à l'intérieur et j'entraîne Heather un peu à l'écart, en feignant un sourire à l'encontre de l'infirmière. L'annonce d'une bombe me causerait pas mal d'ennui. D'abord le fait que Heather ne porta pas le même nom de famille que moi, alors que j'avais parlé d'elle en tant que parente n'arrangerait pas mon sort. Ensuite, les corps dans mon coffre, quoique je puisse les faire disparaître facilement étaient un danger immédiat à éviter devant la stratégie de Heather. Enfin, et le plus important, Lily avait besoin de moi. Alors si je devais passer trop de temps en cellule, je craignais qu'il ne lui arrive malheur. D'autant que son père n'était toujours pas informé. Je fis donc ce que j'avais à fait : être franc, tout en ménageant mes nerfs face à cette gamine écervelée.
« Ecoute moi bien, petite. Je tiens à Lily bien plus que tu ne sembles le croire. Je l'ai vu grandir quand toi tu n'étais encore qu'en couche-culotte et je ne permettrais à personne de lui faire du mal. Par ton attitude irresponsable, elle a manqué de se faire tuer ce soir. J'ignore encore ce qu'il y a entre vous deux, s'il s'agit d'une amitié telle qu'on la conçoit à votre époque, mais pose-toi la question de savoir si une amie véritable la laisserait dans l'état où elle se trouve actuellement sans aucune protection face à ces types. Tu penses sans doute que je lui veux du mal, en attendant, ce n'est pas moi qui ais éliminé tous ces gens dans cette station. Ce n'est pas moi non plus qui l'ait mise dans cet état. En revanche, je l'ai transporté ici, et je veillerai sur elle jusqu'à ce qu'elle se réveille. Je te propose bien gentiment de rester aussi, parce que visiblement elle tient à toi et que, par corrélation je me sens donc obligé de veiller sur toi, mais je te fais la promesse de te le faire payer au centuple si par ta faute, ces types parviennent jusqu'à elle parce que tu auras cru bien faire en appelant la police. » Ce fut le monologue le plus long et le plus froid que j'avais murmuré au creux d'une oreille, et ce, depuis longtemps. La libérant de mon emprise, je préfère après quoi, quitter les lieux en la laissant aux bons soins de l'infirmière, pour aller passer un coup de téléphone. Jon injoignable - pour changer - je décide de lui laisser un message rapide et concis. Un agent s'attarde rarement. Entre temps, le médecin avait quitté le bloc opératoire et je me dirige aussitôt dans sa direction, l'air fermé, avec la peur au ventre des nouvelles qu'il allait m'apprendre. Indifférent à Heather qui s'était avancée en même temps que moi, mes sourcils se froncent d'instinct dès les premiers mots qu'il nous adresse.
« Sa mère ? » Méfiant, car j'avais toujours pensé que sa mère avait fini par mourir quelque part puisque Jon n'avait plus reçu aucune nouvelle depuis qu'elle l'avait quitté quand Lily était encore enfant, je songe d'abord à un piège tendu par ses ravisseurs, avant que la raison ne reprenne le dessus. Quel intérêt pour eux de savoir qu'elle était ici, blessée ? A moins d'un pugilat, ils la voulaient en vie et bien portante et surtout ne prendraient pas le risque de descendre tous les hospitaliers, ce qui ne manquerait pas d'informer la presse et d'engager une enquête officielle ET officieuse, comme c'est toujours le cas bien que le public lambda en ignore tous les tenants et aboutissants - et qui pouvait, au final, contrecarrer leur plan initial. Je n'en arrivais donc qu'à une seule conclusion, difficile à admettre cependant : il s'agissait bel et bien de la mère de Lily. Comment ? Pourquoi ? Des questions pour le moment sans réponse.
« Je l'ai contacté, il devrait arriver d'ici peu. » l'informais-je en priant pour que Jon ait bien reçu mon message. Hors de question de fournir son numéro privé, même à un médecin qualifié. Ce dernier nous évoque alors l'état de santé de la jeune femme. Durant ces longues minutes, je garde le silence, les bras croisés contre mon torse, mes yeux dans les siens. J'entends, je comprends, mais n'accepte pas. Malgré les reproches adressés auparavant à Heather, je me sens coupable. Responsable de ce qu'il lui arrive.
« Merci, docteur, mais je reste ici cette nuit. » Pour ce qui est d'Heather, c'est moins sûr, mais pour le moment, je n'en ai cure. Occupé à réfléchir à cent à l'heure sur les choix que j'avais désormais, je prends rapidement une décision. Reste à savoir ce que Jon en penserait. Je ne savais pas quelle somme d'argent comptait son épargne, mais puisque je me sentais un devoir de les aider, la seule famille qui me restait, je ne pouvais permettre qu'il s'en serve pour la santé de sa fille. Aussi, c'est moi qui m'en chargerais. Lily serait alors sur la liste principale, la première à recevoir de nouveaux organes.