we're gonna be legends ◇ Willow

Je m’isolais un peu ces derniers temps, préférant me focaliser sur mes amis, sur les personnes auxquelles je pouvais me raccrocher dans un monde actuellement en pleine tourmente. Le débarquement d’Eden dans ma vie avait mis un bordel monstre et même si je ne lui en voulais en rien pour cela, estimant qu’il fallait que j’apprenne tout ça un jour ou l’autre, je me sentais épuisé et j’avais le sentiment frustrant que ma fin d’année universitaire était incontestablement gâchée. Je n’avais pas encore parlé avec ma mère, essentiellement car au delà d’avoir peur de ce que je pouvais lui balancer sous le poids de ma colère et de mon sentiment de trahison, j’avais aussi peur de la voir se pointer et là tout de suite je n’avais vraiment pas envie de la voir. J’avais du mal à digérer qu’on ait pu me mentir ainsi et je me sentais plus seul que je ne pensais pas l’avoir jamais ressenti. Du coup, j’avais vraiment été ravi par la proposition de Willow d’aller se manger une pizza. C’était typiquement le genre de personnes que j’avais envie de voir en toutes circonstances (c’était pas l’une de mes meilleures amies au monde pour rien), peut-être car a la base on avait réussi à sympathiser dans des circonstances franchement difficiles. Du coup, j’avais un peu le sentiment que nous étions blindés tous les deux, que notre amitié pouvait résister à absolument tout et c’était vraiment très réconfortant, notamment quand toute ma vie sur le plan familial était en train de prendre l’eau. J'étais arrivé sur de notre rendez-vous, dans une petite pizzéria en ville dont nous étions plutôt des habitués et j'attendis tranquillement qu'elle arrive, allumant une clope au passage. Je n'étais pas un gros fumeur, à vrai dire je fumais seulement dans des circonstances particulières et depuis l'arrivée d'Eden, j'avais acheté une cartouche que je consumais doucement.

Je ne la vis pas arriver, à moitié perdu dans mes pensées. J'avais été vraiment un penseur, moi. Enfin, j'étais très loin d'être un idiot, mais je préférais aux grands moments de réflexion l'action elle-même, le fait de se jeter dans l'arène. Les trois quarts du temps, je n'avais de plans, j'y allais juste au feeling, me laissant guider par mes instincts. Parfois, ça finissait mal, très mal, mais c'était ma façon de fonctionner, ça l'avait toujours été, alors c'était bizarre pour moi d'être aussi absorbé par mes pensées et ça dénotait forcément que quelque chose n'allait pas. Ma clope accentuait encore ce sentiment. Willow arriva par derrière et me planta une bise sur la joue. « Alors mon beau, quelque chose te tracasse ? » J'effleura affectueusement sa main au passage en guise de salut tout en la regardant s'installer en face de moi. « T'as pas idée » dis-je avec un petit sourire fatigué. De la main qui tenais ma cigarette, j'écrasa celle-ci sur le cendrier posé sur la table. « C'est le bordel, Willow, y a un bordel monstre dans ma tête » c'était peu de le dire, les pensées s'entrechoquaient dans mon crâne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'était toute ma vie qui était remise en cause et ça me rendait malade et en dépit de mes efforts j'avais du mal à penser à quoi que ce soit d'autre que tout ce que je savais et ce que je ne savais pas. Et j'avais la sensation d'en savoir trop et pas assez tout à la fois et j'avais cette colère sourde en moi... Pfft.

Même si nous n'avions vraiment pas perdus le contact tous les deux, entretenant notre amitié à distance durant le temps où Willow était partie, c'était vraiment, vraiment, bon de l'avoir à nouveau en ville, auprès de moi. C'est bien sympas les appels, les textos, skype etc., mais ça ne vaut pas de pouvoir juste se voir sur un coup de tête et se faire une soirée tranquille d'autant plus quand la vie se corse et que ce qui était d'une simplicité et d'une clarté d'une évidence enfantine prend tout d'un coup des accents incroyablement complexes. Après ma rencontre avec Eden, c'était l'une des premières personnes que j'avais appelé car c'était comme ça, c'était viscéral, ancré en moi. Quand quelque chose déconnait et que j'avais besoin d'en parler, le nom de Willow s'imposait à moi. Sans doute car je savais qu'elle ne me jugerait jamais et que je pouvais lui dire absolument tout ce qui me passait par la tête. Elle pris ma main et je serra doucement la sienne. « Tu sais que tu peux tout me dire. » J'acquiesça de la tête en écrasant ma clope, mon regard toujours rivé sur elle. « Je sais » bien évidemment que je le savais. C'était l'une des rares choses dans ma vie qui ne croulait pas actuellement sous les doutes. « Je te propose quelque chose. Ce soir, on ne dit rien à propos de notre passé. On passe juste un bon moment entre meilleurs amis et surtout à manger cette pizza. D'accord ?. » Je poussa un soupire et acquiesça de la tête, un sourire résolu aux lèvres. « Ca me va » j'aimais à croire que moins j'en parlais et mieux je me portais. J'attrapa mon menu et commença à le parcourir, me tâtant sur ce que j'allais bien pouvoir prendre. « Je me sens d'humeur aventurière, j'ai envie de tenter un truc que j'ai jamais goûter avant » de toute façon, j'étais pas difficile, tant que c'était de la pizza, ça ne pouvait que faire son boulot à savoir ravir mon estomac.

J'adorais Willow et j'adorais notre amitié. Elle n'avait pas commencé autour d'un verre ou un autre contexte fun et agréable, mais elle n'en était pas moins particulièrement réelle et importante pour moi. Après tout, être l'ami de quelqu'un, c'est pas juste être là pour les bons moments pour ce qui est sympas. A mon sens, les amitiés les plus vouées à perdurer sont celles qui se construisent également autour des moments où on se sent au trente-sixième dessous. Avec Willow. C'était ça. j'avais une très bonne vision de son tempérament, du meilleur comme du pire chez elle et vice-versa et de ce fait, j'avais totalement foi en elle. Nous étions sur la même longueur d'ondes, aptes à nous comprendre en deux-deux. Elle ne savait pas avec exactitude ce qui me chagrinait, mais peu importe. Elle ne se prenait pas la tête, ne faisait pas tout pour me faire parler. Elle se contentait juste d'être là pour moi et je lui en étais reconnaissant. Je n'avais pas envie de parler de mon frère jumeau sorti de nulle part, ni de ma mère, cette foutue menteuse, non, j'avais juste envie de manger de la pizza avec ma meilleure amie. Ca, au moins, ça faisait parfaitement sens et j'avais besoin de ça. Je lui fis part de mon envie de sortir un peu des sentiers battus en ce qui concernait mon choix de pizza et elle ne tarda pas à prendre les devants en fermant les yeux et en en sélectionnant une au pif. « Alors ça sera celle-là. » Je me pencha pour voir. Hawaïenne. Elle ne faisait pas partie de mon top pizza perso mais en même temps c'était carrément le but. J'acquiesça donc. « Alors va pour l'Hawaïenne, ça sera l'été dans nos bouches avant l'heure » je me frotta les mains, tant pour illustrer mon impatience de manger que d'être effectivement en été. « J'ai l'impression que la fin de l'année arrive à la fois trop et pas assez vite » surtout pas assez ces derniers temps.

Mon goût de l'aventure ne s'arrêtait pas à mes choix au restaurant. J'avais toujours été du genre tête brulée depuis tout gosse et même si je m'étais un peu assagit après avoir perdu ma petite soeur, je conservais ce côté impulsif, en mode agissons et réfléchissons après. Ca me donnait le sentiment d'être en vie, de savourer cette dernière à fond, mais ça me plombait aussi parfois. Le revers de la médaille. « De toute façon on a pas vraiment le choix. Le destin en a décidé ainsi. » J'acquiesça de la tête, résolu. « T'as raison, c'est plus de notre ressort ! » C'était comme ça. Penser Hawaï m'amena à songer à l'été, cette fameuse saison chargée de promesses et qui se profilait maintenant très sérieusement à l'horizon. « J'aime mieux ne pas penser à cela. J'ai plus l'impression que je vais passer tout mon été à faire du rattrapage. » Je fis la grimace, compatissant. « J'essaierais de pas trop te faire enrager quand je t'appellerais depuis une plage de sable fin » la charriais-je gentiment avant de tirer légèrement la langue. Je déconnais. Enfin, si, je comptais bien m'allonger dans le sable cet été comme toujours, mais j'allais pas lui mettre encore plus les boules. « Alors dit moi, qu'est-ce qui te tracassait tout à l'heure. » Je me mordis la lèvre, l'envie de déconner me passant un peu. Mais j'avais envie de lui en parler. « Je viens d'apprendre que j'ai un frère jumeau et il est maintenant à Harvard. Du coup, si tu vois un type qui me ressemble comme deux gouttes d'eau en peut-être un peu plus bronzé, lui saute pas dessus » dis-je, essayant d'en rire, même si ça me prenait la tête. Comment pourrait-il en être autrement ? Au delà de ça, je venais d'apprendre que ma mère m'avait menti, que mon père n'était pas vraiment mon père et que mon vrai père, au sens biologique du terme, était un total inconnu pour moi.