In god's hands ☛ Indiana&Ethan

Huit années de catéchisme encore ancrées en moi. Depuis toujours, un doute qui persiste et qu’on ne peut éluder. Je n’ai jamais eu la confiance aveugle en le divin qu’avaient mes grands-parents, mais faute de preuves, je n’ai jamais su renoncer à la religion. En tout temps, elle a représenté aux yeux des sociétés, un moyen comme un autre de se rassurer dans les périodes sombres. Certains avaient choisi de se plonger dans l’alcool et la drogue, moi je me contentais de quelques confessions de temps à autre. Par agnosticisme ou par simple habitude familiale, j’ai pris cette régulière manie de me rendre en lieu sacré. Au cas où.

Et en vacances ou non, je ne manquais pas à mon devoir. Sans trop de difficulté, j’ai aperçu le clocher de l’église qui surplombait le village. Un vieil édifice qui respirait la prudence. Le teint gris, les gravures qui l’encerclent, le travail d’une génération ancestrale. En me faufilant entre les deux gigantesques battants de la porte, j’entrais finalement dans la place austère. Un mutisme complet. Une pause, un signe de croix, et je m’autorisais enfin à m’aventurer dans le bâtiment. Le bruit de mes pas résonnait silencieusement dans la bâtisse, je croisais une vielle dame l’âme apaisée. Autour de moi, les flammes des cierges virevoltent dans la pénombre pour rappeler à tous les espoirs qu’ils laissent entre les mains du Tout Puissant. Sans déranger les autres priants, je m’empressais, tout en admirant bouche-bée la nef qui s’étendait au-dessus de moi, jusqu’à arriver au premier rang. J’adressais un sourire affecté au prêtre, en me glissant discrètement sur le banc. Je levais les yeux vers Lui, avant de les clore, les mains jointes. Pendant une dizaine de secondes, j’ai repensé à mes parents, et puis à cette fille qui avait monopolisé mes pensées depuis de trop nombreuses années. « Prends-moi, Seigneur, dans la richesse divine de ton silence… » J’ai récité, comme une ancienne leçon répétée, les mots que l’on m’avait appris, dans le seul but d’expier mes souvenirs, à la recherche d’une accalmie. Un homme a suivi mon mouvement, marmonnant quelques mots inaudibles à mes côtés. J’ai terminé ma tirade, un nouveau signe de croix et j’ai attendu qu’il finisse à son tour avant de l’interpeller à voix basse. « Ethan ? » C’était un des étudiants que j’avais eu l’occasion de croiser à plusieurs reprises dans les couloirs de l’université, et plus récemment au Summer Camp de cet été.

Après une seconde de doute, il avait enfin mis un nom sur mon visage. Je n’en attendais pas moins de lui, puisque nous n’avions jamais eu l’occasion de réellement se présenter. Nous n’étions que de simples connaissances universitaires, sans vraiment se connaître. J’esquissais un sourire amical, acceptant d’un hochement de tête ses excuses. Toujours dans les murmures, nous continuions notre conversation, aussi brève que possible pour ne pas contrarier nos voisins. Mon truc. Ça ne l’était pas. Comme un automatisme régit par un doute. Une hésitation, une incertitude qui persiste et qui me guide jusqu’ici. « A vrai dire, c’est plutôt… une vielle habitude. » Le temps de prononcer ma réponse, il s’était glissé à côté de moi. Le banc avait grincé puis le silence était retombé aussi vite. Il poursuivait ses questions, à la recherche de ce qui m’avait poussé à venir ici. J’ai à mon tour détourné le regard, et ma réplique n’arrivait pas à sortir, une boule d’amertume au fond de la gorge. « En quelque sorte. Un besoin de me retrouver. » Je laissais apparaître une pointe de mélancolie non-désirée sur mon visage. Si j’avais toujours eu cette facilité à mentir, cacher mes émotions lorsqu’il s’agissait de cette partie de ma vie m’était impossible. Aussitôt ma nostalgie ravalée, je lui renvoyais la balle. « Tout va bien, toi ? » Je lui lançais un regard concerné. Il m’avait toujours eu l’air d’être un chic type, et je ne lui aurais jamais souhaité un malheur. Bien qu’au fond, je me doutais que sa présence ici n’était pas inconsciente.

Il semblait qu’Ethan traversait une période difficile, ou du moins, plus difficile qu’habituellement. Il était venu ici pour demander une aide morale et bien que mon esprit brulait d’envie de découvrir ce qui n’allait pas, je me retenais. Mes années d’études en psychologie m’avaient apprise à comprendre les autres, à les analyser et à les soutenir. Alors je voulais qu’il sache qu’il pouvait compter sur moi. Au même moment, une femme d’une cinquantaine d’année s’était installée sur le rang qui nous suivait. Conscients de la gêne que nous pouvions occasionner dans ce lieu sacré, Ethan proposa, dans un dernier chuchotement, de nous rejoindre à l’extérieur du bâtiment pour mieux discuter. J’ai acquiescé d’un mouvement positif de la tête, pour ne pas déranger plus longtemps.
J’étais ravie de pouvoir continuer notre conversation, puisqu’il m’avait toujours semblé être un jeune homme intéressant. Je le suivais, hors du banc, puis quittais le bâtiment après un dernier signe de croix. Mes yeux, habitués à la lumière tamisée eurent un temps d’adaptation avant de pouvoir me guider enfin, avant de me retrouver contre mon compagnon. Par inattention et déséquilibre, il m’avait bousculé avant de s’être excusé platement, confus. « Ce n’est pas grave, il n’y a pas de blessé. » prononcais-je réconfortante et sans inquiétude. Il me pointait alors du doigt un saule pleureur à quelques mètres d’ici pour nous installer. Sans attendre ma réponse, nous nous étions mis en route jusqu’à l’arbre.

Alors que je commençais à fouiller dans mon sac à la recherche d’une cigarette, il continuait de poser ses questions. Le paquet de Lucky Strike finalement trouvé, j’en portais une à ma bouche avant d’en tendre une deuxième à Ethan. A vrai dire, je n’avais aucune idée de s’il fumait, mais c’était la moindre des politesses de lui proposer. La flamme de mon briquet s’empressa d’allumer la cigarette qui commença à se consumer dans un fin nuage de fumée. J’en inspirais son poison avant de lui répondre. « Je commence un doctorat de psychologie et philosophe à la rentrée. Tu es dans l’architecture, non ?J’avais cette faculté, parfois impressionnante, de retenir les détails des personnes qui m’entourent. « Ma mère était architecte. » Je me laissais glisser contre le tronc afin de trouver une position confortable. « Bientôt ma huitième année à Harvard ! J’ai toujours aimé l’ambiance sur le campus, mais parfois, le sale temps de Londres me manque. »ai-je continué sur un ton plus comique. Bien sûr, la pluie et le ciel gris n’était la chose qui me manquait le plus. Nous étions servis, ici aussi, lors des saisons hivernales. C’était plutôt la ville, et bien sûr la famille. « Tu viens d’où, toi ? »

Il avait accepté ma cigarette en ajoutant une remarque. « On devrait tous arrêter, mais c’est plus difficile à faire qu’à dire. » Arrêter de fumer. J’avais essayé, un an plus tôt, et par manque de volonté, j’avais replongé au bout de six mois. En forçant sur ma mémoire, je peux me souvenir du jour où j’ai commencé, cinq ans plus tôt. « Juste une, pas plus » j’avais dit, et me voilà, complètement accro à la nicotine. Je repensais à mes années passées, à mes pauses clopes à geler sous la pluie, et définitivement, arrêter était l’idée la plus brillante que nous avions eue, mais que nous n’avions jamais atteinte.
Répondant à ma question, il admettait débarquer du Texas. Immédiatement, une tonne de stéréotypes véhiculés me passait par la tête. Le désert, les cow-boys et même Chuck Norris. Je laissais échapper un rire léger. « Non, ce n’est vraiment pas le même climat ! Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller au Texas. » Les rumeurs qui courraient sur lui étaient fondées : Ethan avait en effet un sourire plus que charmant. Un mélange de douceur et d’élégance, il était adorable. Ethan avança jusqu’à moi, pour s’installer lui aussi contre le tronc, et je décalais mon sac afin de lui laisser de la place pour trouver son confort. Notre nouvelle position donnait un avantage considérable : nous n’avions plus besoin de craindre le regard de l’autre, et instinctivement, je me sentais plus à l’aise quant aux confessions que j’aurais pu lui avouer. Sa nouvelle demande attira particulièrement mon attention. Ma raison ici. Je détournais le visage vers le ciel, qu’on ne pouvait apercevoir à cause des feuilles de l’arbre. « A vrai dire, j’ai grandi dans une famille chrétienne. Ma mère a toujours ressenti ce besoin d’aller à l’église, parce qu’elle y avait trouvé le soutien nécessaire dans les moments durs. Alors je l’ai accompagnée, et puis c’est resté comme une habitude… J’ai toujours eu certains doutes sur Son existence, mais peu importe, c’est un moyen pour moi de me retrouver, loin des cours. Parfois, j’ai l’impression de faire ça uniquement parce que j’ai peur qu’en n’y croyant pas, il y a cette possibilité que je fasse erreur. » Il semblait être quelque peu inquiet, dans sa question. Peut-être une hésitation, mais il avait l’air de craindre certaines de ses négligences vis-à-vis de Dieu. Je le regardais du coin de l’œil, un sourire apaisant dessiné sur les lèvres, et d’une voix réconfortant, je lui prononçais quelques paroles rassurantes. « Quoi qu’il en soit, Il ne t’en voudra pas. L’essentiel, c’est que tu étais là aujourd’hui. Si tu as besoin de Lui, il sera là pour te soutenir. » Ces mots étaient ceux que ma mère m’avait raconté pour me rassurer, enfant.