Stay High {Adam & la plus belle }

Ce soir, je en suis en concert à l'Alberta, ce bar déglingué de Boston. Et j'ignore ce qui parvient à faire le plus de boucan : ma voix qui se brise dans un micro over-saturé ou les étudiants ivres qui s'écroulent comme des dominos le long du bar. J'pense que personne n'écoute vraiment ce que je suis en train de foutre. J'pourrais bien chanter de la merde que l'on ne le remarquerait même pas. Et vous savez quoi ? J'en profite pour changer mes paroles, improviser quelque chose de bien plus personnel en y incorporant quelques "connards", "bande d'ivrognes dégueulasses", "je baise vos mères"... Et la mélodie se déforme, et la chanson devient juste un chaos d'insultes. Oh, enfin un qui capte mon regard acerbe. Je crois qu'il se vexe, le con. Il avance à toute allure avec l'idée assez distincte de me sauter dessus... Dans la précipitation, je débranche ma guitare de son ampli dans un larsen insupportable, me lève en faisant tomber ce putain de tabouret et évite le mec qui s'écroule sur l'estrade et tout le matos. Je soupire, accroché au manche de ma guitare, passe ma main libre dans mes cheveux en scrutant la scène en une certaine exaspération.

Il est temps d'aller se mettre bien, pour moi aussi.
Mon portable vivre contre mon cul. Un message de.. Effie. Oh, l'on a apparemment les mêmes objectifs pour ce soir. J'sais pertinemment qu'elle ne s'adresse pas à moi par hasard. Mademoiselle ne doit pas avoir la foi de descendre se trouver son herbe. Ou peut-être préfère-t-elle fumer avec quelqu'un. C'est tout de même plus drôle, je veux bien l'admettre. Je tapote un simple "J'arrive.", avant de ranger mon téléphone. Derrière moi, l'autre s'agite à nouveau, et je me presse pour aller prendre ma paie au bar (cent ridicules petits dollars), me casser plus sobre et plus pauvre que jamais.

Je reprends le van jusque chez elle.
6ème étage, me voilà. La gratte sur le dos, je frappe à la porte, la sens finalement se défaire sous mes doigts. C'est ouvert. Depuis cet été, j'ai pris l'habitude de venir. C'est devenu presque routinier, et je me sens à peu près aussi à l'aise dans cet appartement que dans ma piaule de 12m² à la fac. Et puis, Effie est cool. On ne se prend pas la tête.

J'entre, lance un "C'est moi..!" et referme la porte derrière moi, avant de retirer mes chaussures trempées par la pluie.

T’as l’impression que ça fait une éternité que tu l’attends, que le message envoyé date de trois heures et qu’il a pris son temps -le con- pour venir .
T’es affalée sur le canapé, la tête dans les nuages, t’arrête pas d’revoir des flashs du vendredi soir, ce fameux soir où toute la bande et toi vous avez fait la connerie de rentrer en voiture après avoir passé la soirée à boire comme des trous .
Cinq jours se sont écoulés depuis et aucun flash info n’a encore parlé de la découverte d’un corps de jeune femme enterrée dans les bois, personne n’a signalé sa disparition non plus. C’est quand même dingue que ce soit passé inaperçu, normalement ce genre de choses, on s’en rend compte au bout de 24 h non ?

T’en as marre d’attendre Adam, t’as même pas vu qu’il t’avait répondu puisque ton portable n’a plus de batterie, donc forcément quand tu entends la porte de ton appart s’ouvrir puis se refermer, tu sursautes, t’étais clairement à l’ouest bien que t’aies encore rien fumé ou bu.
“T’as pris ton temps idiot ! Putain la prochaine fois sonne au lieu d’débarquer comme ça !”
Bon, okay, ce soir t’es de mauvaise humeur, ça change pas grand chose de d’habitude, mais là t’es vraiment sur les nerfs, et c’est Adam qui va prendre pour tout le monde.
“T’étais où ? Tu pues l’alcool, me dit pas que t’étais encore dans ce bar rempli de fils à papa ?”

Ouais, je retire ce que j’ai dit : Effie a ses humeurs et peut être chiante. Je sens que l’on ne tardera pas trop à se rouler quelque chose, histoire de calmer ses ardeurs. A sa première remarque, je réponds simplement en roulant des yeux ; je pose ma gratte contre le mur, retire mon manteau. “Je n’ai rien bu, si c’est la question que tu te poses.” Pas question de prendre le risque d’un nouvel accident. Le dernier nous aura servi à tous de belle leçon de morale. Difficile, d’ailleurs, d’en occulter complètement le souvenir. Pourvu que tout cela tombe dans l’oubli et que personne n’en reparle jamais. “Et il faut bien que je gagne ma vie, moi. Je choisis pas les endroits où je joue…” Dans ma nonchalance habituelle, je me permets un léger soupire et traîne les pieds jusqu’à son canapé, sans oublier de prendre ma gratte avec moi. Calant celle-ci contre les coussins dans l'angle de l'accoudoir, je m'assois, et sors d'ores et déjà le sachet d'herbe écrasé dans la poche de mon jean déchiré.

"Tu m'as l'air de mauvais poil, j'me trompe ?" dis-je, le regard rivé vers les petites têtes vertes que je sors du plastique dans ma main.

T'avais même pas remarqué que dehors il pleuvait, c'est seulement quand Adam s'est pointé que t'as vu qu'il était plus ou moins trempé. Et donc, il allait puer le chien mouillé, bordel, pour une fois que ça sentait presque bon chez toi. "J'm'en fou que t'aies bu ou pas, c'pas ça la question...j'suis pas ta mère, tu veux c'que tu veux mon vieux." tu soupires et te décale du canapé pour lui laisser une petite place, quand même t'es pas si méchante que ça avec lui. "Ouais, je sais, mais bon, ça m'agace, ces gens ils savent pas reconnaître ton talent..."
Puis tu t'calmes comme par magie quand tu l'vois sortir le petit sachet d'herbe de sa poche, ça, ça saura te calmer, ouais, tu t'connais par coeur, si tu retombes là dedans, tu seras pas seule, il sera lui avec toi. T'as juste pas envie d'te taper un mauvais trip ou quoi, pas maintenant.
"J'suis pas d'mauvaise humeur, c'est une impression." tu t'redresses un peu, et passe une main dans ses cheveux trempés, mais ils sont doux quand même, t'aimes bien toucher ses cheveux, ça te détends. "Tu veux pas une serviette, j'veux pas que t'attrapes froid, ça serait con."

J'me force un petit sourire quand elle parle de mon soit-disant talent non reconnu. Ouais, peut-être. Ou peut-être plus simplement que j'aurais du naître vingt ans plus tôt. J'suis blasé de tous ces imbéciles qui passent leur temps à écouter de la pop pourrie et du rap des cités. Je ne dis pas que je ne fais que produire des chefs d'oeuvres. Mais au moins j'essaie d'exprimer quelque chose.

"Si tu le dis..." Au moins, Effie croit en moi. Ouais, j'ai quelques amis qui me soutiennent. C'est relativement nouveau, dans ma petite vie de misère. Elle se redresse sur le canapé, passe une main dans mes cheveux, probablement en bataille. J'sens quelques goutes perler de l'extrêmité de mes mèches jusque sur ma nuque, le col de mon T-shirt. Mais j'ai pas froid, je m'en fous. Je hausse un sourcil, la regarde du coin de l'oeil. J'aime bien ce contact. Ça me détend. "Nan, t'inquiète pas."

Entre mes doigts, j'effrite ma chère Marie-Jeanne, libèrant son odeur lourde et sucrée, réduisant le tout en quelques minuscules morceaux au creux de ma paume. "J'te prends une clope." Je les vois sur la table basse, tends ma main libre pour en sortir une du paquet. Un coup de langue sur le papier ; je la décortique pour mélanger le tabac à la weed, et viens chercher un paquet de feuilles dans ma poche pour rouler le tout. Laissant tout ce petit matériel sur la table, je coince le joint entre mes lèvres et m'affale enfin totalement au fond du canapé. "T'as du feu ?"

Tu l'aimes bien Adam, c'est un peu toi au masculin mais genre plus défoncé que toi. Tu t'reconnais en lui, ouais, avant t'étais comme lui, mais ptêt pire que lui, parce que toi, t'es partie en cure de désintox. Ouais, c'pas la meilleure période de ta vie, mais c'est derrière toi tout ça, sauf que voilà, Adam s'est pointé dans ta vie, lui, sa weed et sa gratte, donc forcément ça t'aide pas beaucoup. Il veut pas de serviette, tant pis pour lui "Si t'attrapes la crève ça sera pas de ma faute, pigé ?" que tu lui lances, un sourire aux lèvres, pas malsain mais pas loin. Puis voilà qui prépare tout, lui il a l'habitude, toi, t'as perdu la main, mais ça va t'faire du bien d'fumer un peu, avec lui. T'as oublié d'lui dire que Nienke passera peut-être, tant pis, ça sera la surprise. Tu souris déjà à l'idée d'voir ta meilleure pote ici, t'as besoin d'l'avoir à tes côtés en c'moment parce que tu sais que tu vas pas bien, et c'pas Adam qui va vraiment s'en rendre compte. "Fais comme chez toi." quand il prend une de tes clopes puis tu sors ton briquet de ta poche de jogging, les pieds sur la table basse, le lui balançant sur les genoux. "Ouep, attrape." Tu souris et tu l'laisses allumer le joint, tu fumeras après lui, puis il en a assez pour en faire d'autres.

Le rattrape le feu au vol ; tant que j'ai encore quelques réflexes... Dure soirée, ouais. Le jour viendra où j'aurai un public digne de ce nom, où je jouerai devant des centaines de personnes qui m'écouteront malgré l'ivresse. J'perds pas espoir. Pas en ça, en tout cas.

Je fais rouler la pierre du briquet ; le bout du joint s'enflamme, s'embrase. Et je tire une première taffe d'épaisse fumée, la laisse glisser le long de ma gorge jusqu'à emplir mes poumons d'une douce chaleur. Ca pique ; je l'ai peut-être trop chargé. Tant mieux : ça nous monterait plus vite à la tête.

Doucement, je relâche la fumée en un mince filet blanc qui vient se mêler à l'air de la pièce. Les effets seront rapides. Le coeur qui s'emballe. Les yeux qui s'assèchent. L'euphorie qui grimpera avec les minutes, et la molesse extrême qui me sied si bien. On perdra le fil de nos pensées, on rira à la moindre connerie. Et si j'me sens le courage, je nous ferai planer sur un petit air de guitare. L'herbe est une putain de source d'inspiration. Quoi qu'on en dise.

Une deuxième latte, et je tends notre démon de braise à Effie. "Tiens." dis-je en posant le crâne sur le dossier du canapé, les yeux tournés vers les siens.

C'est comme un rituel, la première taffe qui vous pique les yeux, celle qui vous met déjà dans un état second. Ouais, t'aimes ça, et puis tu laisses Adam tirer en premier, normal c'est lui qui a ramené la weed. Tu l'observes, il grimace quelques secondes puis recrache la fumée, t'aimes bien cette odeur, tu souris déjà bêtement, puis t'attends qu'il te tende l'objet que tu désires tant depuis plusieurs jours. Tu sais que c'est pas une bonne idée, oh ça non, que t'es trop facile à avoir, qu'après cette soirée, tu seras incapable d'arrêter, que tu voudras en fumer autant que possible. Effie, t'as encore l'choix de refuser, de te dire que c'est pas une bonne chose à faire, que tu peux t'en passer. Mais non, trop tard, tu portes déjà le joint à tes lèvres, et putain c'que c'est libérateur. "La vache, tu l'as chargé ou quoi ?" tu retiens un rire, la fumée s'échappe de tes lèvres, ça t'fait du bien, tu t'sens mieux, plus détendue. Mais c'pas assez, alors tu tires une deuxième fois dessus, un sourire con aux lèvres puis tu t'lèves du canapé, "Tu veux quelque chose à boire sinon ?" que tu demandes à Adam, essayant d'être sérieuse. "J'ai de tout, d'la vodka, d'la tequila, tu choisis, j'apporte."

S'il est chargé ? "Possible..." je réponds doucement, faussement mystérieux, sentant les commissures de mes lèvres s'étirer en un mince sourire. J'aime laisser planer le doute. Mais Effie s'y connait, non ? Elle se lève ; je la suis du regard, glisse vers le joint. Han, te casse pas avec... Mes idées sont assez volages, se font emporter lorsqu'elle évoque la boisson qui accompagnerait ce vice. Le kit complet du parfait débauchard. Je relève les yeux, me mordille la lèvre inférieure. Mélanger le tout, ça ne serait pas sage. Pas sage du tout, non... "Ouais, carrément." dis-je avec une certaine once de détermination.

Je fais mon possible pour me redresser légèrement au fond du canapé, m'éclaircis légèrement la voix. "La téquila mademoiselle Archibald, y a que ça de vrai !" dis-je en prenant une voix plus grave et sérieuse qu'à mon habitude. Les poings sur les coussins, je finis par trouver la force de me relever également. Je passe à ses côtés, lui imposant notre bonne différence de taille -j'aime bien me sentir grand-, glisse ma main jusqu'à la sienne pour choper le joint et tirer à nouveau dessus. J'avance dans sa cuisine pour trouver deux verres pendant qu'elle s'occupera de nous dénicher une bouteille. Quand je vous disais que je connais bien la maison. "T'as vu un peu comme je suis gentleman ? J'laisse pas les demoiselles faire tout le boulot, moi ! Pas comme ces putains de bobos de la fac..." Je souris bêtement, fièrement et moqueur. On est bien loin de mes humeurs maussades, et j'pense que j'en avais grandement besoin.